Mediator: derrière la fable de la «femme formidable» (2/3)

Irène Frachon est l’égérie de l’affaire Mediator, l’emblème d’un combat à la David et Goliath, courageusement mené par une simple praticienne contre des intérêts puissants. Mais est-ce aussi simple? Pas tout à fait. Enquête sur les dessous d’un conte de fées.

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La pneumologue brestoise Irène Frachon a révélé l'affaire du Mediator (16 mai 2016).© Vincent Gouriou

Sans Irène Frachon, il n’y aurait pas eu d’affaire Mediator. La pneumologue du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest est le moteur de cette «consolante aventure d’un médecin de province qui révèle un scandale national de santé publique», pour reprendre la formule de l’hebdomadaire Le Point. Elle est aujourd’hui régulièrement comparée à des lanceurs d’alerte comme Edward Snowden, Chelsea Manning ou Julian Assange. Le combat qu’elle relate dans son livre Mediator 150 mg. Combien de morts? a même inspiré un film, La Fille de Brest, sorti à l’automne 2016. L’actrice danoise Sidse Babet Knudssen (elle jouait Brigitte Nyborg dans la série Borgen) y incarnera cette «femme formidable» (Le Point) qui a fini par faire plier l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et les Laboratoires Servier, fabricant du Mediator. Juste avec l’aide de quelques «copains».

Mais est-ce aussi simple? Pas tout à fait. Son enquête sur la toxicité du Mediator, Irène Frachon la démarre à Brest en février 2007, après s’être retrouvée face une patiente obèse peinant à respirer. Elle découvre que cette dernière est sous Mediator. Elle se souvient alors d’un article qu’elle a lu dans la revue médicale indépendante Prescrire et qui critique que le benfluorex (principe actif du Mediator) soit toujours commercialisé. Le cas de cette patiente conjugué à la mise en garde de Prescrire éveille son intérêt. Lorsqu’elle se lance dans ses recherches, cela fait un peu plus de quatre ans que cette pneumologue a renoué avec son premier domaine de spécialité, la prise en charge de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). L’HTAP est ce qu’on appelle une maladie rare ou orpheline. L’expression désigne les quelque 7’000 affections qui ont en commun de ne toucher qu’un pourcentage minime de la population (moins d’une personne sur 2’000). Longtemps délaissé par la pharma, ce domaine a connu un changement de paradigme en 1983 aux Etats-Unis avec la promulgation de l’Orphan Drug Act, et à partir de décembre 1999 dans l’Union européenne avec l’adoption du Règlement concernant les médicaments orphelins. Ces législations ont entraîné la mise en place d’incitatifs financiers pour encourager l’industrie pharmaceutique à investir dans la recherche et le développement de «médicaments orphelins» ciblant de telles affections. Elles ont transformé les maladies rares en un terrain très lucratif. Comme l’HTAP est l’une des maladies rares qui impliquent en général une prise en charge coordonnée depuis un centre hospitalier, les firmes pharmaceutiques actives dans ce domaine concentrent leurs efforts sur les établissements et les praticiens spécialisés, en plus de se montrer généreuses avec les associations de patients. C’est qu’il y a gros à gagner: grâce à la promotion des maladies orphelines, prédit l’entreprise d’analyse de marché Transparency Market Research, le marché de l’HTAP pèsera plus de 5 milliards de dollars d’ici 2020. Parmi les médecins et établissements hospitaliers auprès desquels ces compagnies s’empressent, il y a Irène Frachon et son hôpital.

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