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6 heures du matin, Yvette est la première à ouvrir le «club». Les clients ne tardent pas à arriver pour découvrir le «programme» de la course du jour ou encore le résultat de la course de la veille.© Magali Corouge

Les chevaux de la Françafrique

Longchamp-Ouagadougou: à 5'000 kilomètres des hippodromes français, les Burkinabés ont les yeux rivés sur les champs de courses et le tiercé. Qu'importent les salaires de misère, au PMU-Burkina on flambe des milliers de francs CFA.

Zone du Bois, six heures du matin. Le quartier résidentiel s’éveille, comme le reste de Ouagadougou, avant que le thermomètre ne franchisse la barre des 30 degrés. En cette fin du mois de juin la saison sèche touche à sa fin, enveloppant la capitale burkinabée d’une chaleur épaisse. Cette année, les premières pluies tardent. Yvette, bien qu’enceinte, ne s’en offusque pas. Tandis que les joggeurs blancs descendent à petites foulées vers le parc voisin où ils croiseront peut-être un crocodile en liberté, la jeune femme de 25 ans ouvre une baraque de tôle jaune sur laquelle on peut lire «La fortune en fin de course». Avec les gestes précis de la routine, Yvette donne vie au lieu sept jours sur sept, à la même heure, toute l’année.

Il s’agit de l’un des 300 points de vente PMU (Pari Mutuel Urbain) de la capitale du Burkina Faso, l’une des 300 variations sur le thème de la tôle jaune. Yvette a apporté la monnaie pour sa caisse, récupérée au préalable au siège de la Loterie nationale burkinabée (LONAB), dans le centre-ville. La première heure est calme. «Avant, on écrivait tout à la main!» raconte-t-elle en désignant du menton le tableau de bord électronique sur lequel elle va enregistrer les montants des paris de la matinée. De nouvelles machines ont été promises par la LONAB pour le mois d’octobre. Elles permettront de parier jusqu’à cinq minutes avant le début de la course et, ainsi, de réduire l’écart creusé par les deux heures de décalage horaire entre la France et le Burkina Faso. Car c’est en France que se déroulent les courses hippiques sur lesquelles misent les parieurs burkinabés. Ce lundi, la course se tient à Auteuil, soit à quelque 6’000 kilomètres de la cahute d’Yvette, dans cette zone où sont installés les sièges d’entreprises d’exploitation minière, des diplomates étrangers et des candidats à la présidentielle. Le journal hippique de la veille traîne devant la caisse. Les chevaux sélectionnés sont décrits dans un jargon de connaisseurs: «Coup sûr», «course visée», «outsider séduisant» ou «capable d’exploit». Il faut maîtriser les codes pour dégager de ces éléments une hiérarchie possible, un ordre d’arrivée probant.

Entre sept et neuf heures, les employés de maison se délestent de quelques centaines de francs CFA avant d’entamer leur journée de travail. Gardiens, cuisiniers, jardiniers: leurs salaires mensuels avoisinent les 50’000 francs CFA, à peine plus de 80 francs suisses. Beaucoup parient plusieurs fois par semaine, et certains tous les jours. Sérieux dans son uniforme beige et kaki, Paul se tient à distance du PMU. Enfin, autant que le lui permet son poste de gardien de jour dans une villa adjacente à la cabane jaune. Aujourd’hui, il ne joue pas. L’air de s’excuser, il explique qu’il ne lui reste que l’argent de son déjeuner. La veille, pourtant, il avait trouvé quatre des cinq chevaux gagnants… à l’exception du premier de la série, ce qui réduit à néant tout espoir de décrocher le quinté. Paul regarde avec envie les hommes défiler. Demain, il aura les fonds, se persuade-t-il pour faire avancer cette morne journée.

Au PMU burkinabé, il n’est possible de parier qu’une seule fois par jour. Il est 16 heures en France lorsque les chevaux se lancent, mais, avec le décalage horaire, l’horloge affiche 14 heures à Ouagadougou. Les parieurs ont jusqu’à midi pour enregistrer leur choix. Sur le tableau noir, à côté du poste de télévision sur lequel sera diffusée la course, Yvette a inscrit une sélection de chiffres basée sur les recommandations du journal hippique. A l’intention des pressés, des indécis, mais surtout de tous ceux qui ne savent pas lire. Dans la matinée, la boutique déborde de monde. On passe à pied, à vélo, en scooter pour consulter les résultats de la veille et réfléchir à la mise du jour. Un ballet de marchands ambulants afflue et propose du miel, des caleçons ou encore des poignées de porte. Souvent ils repartent, comme ailleurs, sans avoir rien vendu. Malgré l’effort de concentration que requiert l’affluence, Yvette reste joviale: «Quand tu as un manquant (une somme qui manque dans la caisse), tu dois ouvrir ton sac, commente-t-elle en rendant la monnaie à l’homme qui attend debout au guichet. Même s’il ne manque que 25 francs sur un gain d’un million, c’est à la caissière de rendre l’intégralité de la somme.» Au-delà de 100’000 francs CFA (165 fr.) de gains, les parieurs chanceux sont invités à aller chercher leur gain au siège de la LONAB. Une manière d’éviter que les caissières ne soient trop exposées, avec des liquidités importantes. Cela dit, en cinq ans de métier, Yvette assure n’avoir jamais eu de problème.

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