11 septembre: les secrets du rapport sur les attentats (1/2)

© Nasa Earth Observatory
Prise de vue satellite au lendemain des attaques du World Trade Center, le 12 septembre 2001.

De crainte de mettre en cause ses relations compliquées avec l’Arabie saoudite, le gouvernement américain a censuré un chapitre de 28 pages du rapport de la Commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. Des indiscrétions permettent de se faire une idée de son contenu…

Dans les sous-sols du Capitole, au cœur de Washington, il y a une salle blindée gardée par des hommes en armes et protégée comme un site militaire stratégique. Et pour cause: c’est dans cette salle que la Commission parlementaire sur le renseignement entrepose ses dossiers les plus sensibles. N’y pénètrent que les personnes habilitées à lire les documents les plus confidentiels de l’administration américaine. Il n’y a pas d’exception: pour entrer, il faut montrer patte blanche. Même quand on s’appelle Thomas Kean, et que l’on est l’un des hommes les plus puissants des Etats-Unis. Ancien gouverneur du New Jersey, Thomas Kean a été nommé en 2003 par le président George W. Bush à la tête de la Commission d’enquête sur les attaques du 11 septembre 2001. Il s’est assis devant une table sous la surveillance d’un garde. Il connaît les règles du jeu: interdiction de prendre des notes ou des photos. Il est uniquement autorisé à lire le document qu’il a demandé, et toujours sous haute surveillance. Si Thomas Kean a accès à bien des secrets de Washington, il en est un qui lui a échappé. C’est un document de 28 pages intitulé «Découvertes, discussion et narration concernant certaines questions sensibles de sécurité nationale». Derrière ce titre relativement anodin se cache l’un des chapitres les plus explosifs du rapport de la Commission d’enquête. Explosif au point que le président George W. Bush a pris la décision de le censurer et d’en limiter strictement l’accès. Raison invoquée: la protection «des sources et des méthodes». Même Thomas Kean n’a pas pu le lire. Un comble pour le président de la Commission d’enquête sur le 11 septembre. A ce sujet, ce républicain ne se laissera aller qu’à une seule confidence: ce document doit être rendu public. Par la suite, on apprendra que les 28 pages sont consacrées aux rapports entre les terroristes du 11 septembre et l’Arabie saoudite.

Mike Jacobson et Dana Leseman, deux enquêteurs de la Commission, ont eux aussi essayé de se procurer le document. Mike Jacobson connaît son contenu puisqu’il l’a rédigé; Dana Leseman a participé, quant à elle, à l’enquête préliminaire et à la rédaction. Mais tous les deux ne se souviennent pas de certains détails, et ont besoin de relire leur prose. Certains éléments pourraient en effet leur servir dans leurs recherches sur les connections saoudiennes des pirates de l’air. Ils adressent donc une requête à Philip Zelikow, directeur exécutif de la Commission. Pas de réponse, ils insistent. Toujours pas de réponse. Pendant ce temps, Zelikow s’est précipité au département de la Justice afin d’interdire aux enquêteurs et aux commissaires l’accès aux dossiers confidentiels de la Commission. Le Département accepte. Fin de non-recevoir pour Mike Jacobson et Dana Leseman. «Philip, comment sommes-nous censés faire notre travail si vous ne nous fournissez pas le matériel indispensable à nos recherches?» tempête Dana Leseman. Ce n’est pas la première fois que les deux enquêteurs se heurtent au mur Zelikow. Peu de temps auparavant, ils lui avaient soumis pour approbation la liste d’une vingtaine d’entretiens qu’ils comptaient mener à propos du rôle de l’Arabie saoudite dans les attentats. «C’est beaucoup trop!» avait tranché Zelikow qui n’avait concédé aux enquêteurs que la moitié des entrevues. Les deux chercheurs avaient aussi souhaité acquérir des dizaines de documents sur le même sujet. Même refus.

Dana Leseman proteste et qualifie la décision de Zelikow d’«arbitraire» et de «folle», ajoutant: «Philip, c’est ridicule. Nous avons besoin des entrevues. Nous avons besoin de ces documents. Pourquoi essayez-vous de limiter notre enquête?» Réponse de Zelikow: «Je ne veux pas accabler les organismes fédéraux avec trop de demandes de documents et d’entretiens.» Selon Philip Shenon, auteur d’une monumentale histoire de la Commission, «Leseman n’avait pas peur de Zelikow; elle n’était pas intimidée par lui. Dès son arrivée dans les bureaux de la Commission sur K Street, elle semblait presque savourer le combat quotidien avec Zelikow.» Leseman n’entend pas en rester là. Elle réussit malgré tout à se procurer une copie du rapport censuré. Elle a conscience de commettre une infraction aux règles de sécurité. Mais une infraction mineure. Après tout, n’a-t-elle pas l’habilitation de sécurité nécessaire à la consultation du document? Prudente, elle entrepose le rapport dans son coffre de bureau et ne le sort qu’à bon escient. Mais nous sommes au pays des grandes oreilles et un membre du personnel s’empresse d’avertir Zelikow. Pour le directeur exécutif de la Commission, Dana Leseman a violé «la politique de tolérance zéro sur le traitement des informations classifiées de la commission» et elle «a commis une série de violations très graves dans le traitement de l’information la plus hautement classifiée». L’avocat de la Commission, Daniel Marcus, approuve. Les deux hommes décident de renvoyer Dana Leseman. Ils ont peur du scandale: il ne faudrait pas que le Congrès ou les Services de renseignements apprennent qu’il y a un défaut dans la gestion des informations classifiées, car ils ne manqueraient pas de s’en servir contre la Commission. Dana Leseman est virée sur le champ mais dans le plus grand secret. L’information ne fuitera que des années plus tard. «Pour les amis de Dana Leseman, explique Philip Shenon, Philip Zelikow a atteint tous ses objectifs. Il s’est débarrassé d’un membre du personnel qui lui était hostile dès le début; il a réussi à l’éjecter sans attirer l’attention de la presse ou de la Maison-Blanche. Et il a trouvé un moyen d’envoyer un message au personnel: «Ne vous mettez pas en travers de mon chemin.» Mieux Zelikow a fait en sorte d’empêcher toute fuite concernant les 28 pages.» Et il y est arrivé. Du moins pour un temps. 

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Un regard vers le passé: une photo de la foule regardant les tours jumelles brûler depuis la promenade Brooklyn. © Jason E. Powell

Pendant près de dix ans, il n’a plus été question des 28 pages. En 2014, deux membres du Congrès, le républicain Walter Jones (Caroline du Nord) et le démocrate Stephen Lynch (Massachusetts), demandent au président Barak Obama la déclassification du document. «Il n’y a rien dans ce document qui menace la sécurité nationale», explique Walter Jones, en revanche, il est question «de l’administration Bush et de sa relation avec les Saoudiens». Stephen Lynch déclare que «le document est magnifique dans sa clarté» et qu’il apporte la preuve directe de la complicité de certains individus saoudiens et entités dans l’attaque d’Al-Qaïda sur l’Amérique. «Ces 28 pages racontent une histoire qui a été complètement retirée du rapport.» Un autre membre du Congrès affirme que «la preuve de l’appui du gouvernement saoudien dans le 11 septembre est très inquiétante et que la vraie question est de savoir si elle a été sanctionnée au niveau de la famille royale ou en dessous.» Les Saoudiens réclament eux aussi la publication du rapport censuré. «Les 28 pages sont utilisées par certains pour diffamer notre pays et notre peuple, s’indigne le prince Bandar ben Sultan, qui était l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis en 2001. L’Arabie saoudite n’a rien à cacher. Nous pouvons traiter de ces questions en public, mais nous ne pouvons pas répondre à des pages blanches.» Les Saoudiens ont peu de chance d’être entendus. Le démocrate Stephen Lynch reconnaît que les 28 pages ont été enfouies dans les catacombes du Capitole afin de ne pas fâcher l’Arabie saoudite. L’homme politique craint «une réponse viscérale» des Saoudiens et un violent «retour de bâton».

En rédigeant les 28 pages, l’enquêteur Mike Jacobson est forcément revenu sur l’origine du mal: la première guerre du Golfe en 1991 et la détérioration irrémédiable des relations entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Au début, les Saoudiens avaient accepté la présence des troupes américaines sur leur sol à la seule condition qu’elles partent une fois la guerre terminée. Le Koweït libéré et les troupes de Saddam Hussein repoussées, les Américains n’ont cependant pas fait leurs valises. Fin connaisseur de la région, Chaz Freeman, ambassadeur des Etats-Unis en Arabie saoudite de 1989 à 1992, m’explique: «Nous n’avons pas quitté l’Arabie saoudite parce que, à notre grande surprise, Saddam n’est pas tombé. Nous sommes restés pour mettre l’Irak en quarantaine aérienne (Southern Watch). Nous avons opéré depuis les bases aériennes saoudiennes. Tout ce que nous avons consommé – l’essence, la nourriture, l’eau, le logement – était fourni par les Saoudiens. A ce moment-là, l’économie saoudienne s’est effondrée sous le poids de la dette de la guerre. Nous étions très impopulaires parce que les Saoudiens savaient que leurs prestations d’aide sociale étaient réduites à cause de notre présence. Les Saoudiens nous ont envoyé des signaux nous suggérant de prendre congé. Je me souviens avoir dit à Washington que nous étions dans la situation où nous avons terminé de dîner chez notre hôte. Notre hôte s’est levé, sa femme était déjà couchée, il est allé promener son chien, il a éteint les lumières et le climatiseur, et nous, nous sommes toujours assis là. Nous ne partons pas en dépit des messages qui nous sont envoyés. Le fait de n’avoir pas compris, d’être restés longtemps et de n’avoir plus été les bienvenus expliquent pourquoi Al-Qaïda s’est renforcé. Sans cela, il est assez probable qu’Al-Qaïda n’aurait pas été en mesure de recruter en vue des attaques du 11 septembre 2001.»

La présence des Américains a en effet perturbé l’équilibre qui permet à la famille Saoud de régner avec l’appui des religieux wahhabites. Sans eux, les chefs religieux n’auraient jamais osé, en 1992, menacer le pouvoir d’un coup d’Etat clérical. La famille royale ne leur aurait jamais octroyé plus de pouvoir et n’aurait jamais accepté la création d’un ministère des Affaires islamiques qui a développé ses antennes dans les ambassades et consulats du monde entier, véritable «cinquième colonne» chargée d’appuyer et d’encourager les extrémistes islamistes. Sans la présence des troupes américaines au royaume de Saoud, deux jeunes Saoudiens membres d’Al-Qaïda, Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar, n’auraient pas débarqué à Los Angeles en janvier 2000. Leur arrivée aux Etats-Unis marque en effet le début de l’opération qui va aboutir aux attaques du 11 septembre. Et c’est ce que racontent les 28 pages. Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar seront aux commandes du Boeing 757 du vol American Airlines 77avant de le précipiter contre le Pentagone. Sans l’appui des réseaux saoudiens implantés sur la côte Ouest des Etats-Unis, les deux hommes n’auraient jamais pu mener à bien leur mission. Aucun des deux ne maîtrisait l’anglais. Ils n’avaient aucune connaissance de la société américaine. Ils ne savaient pas piloter des avions. On voit mal dans ces conditions comment ils auraient pu prendre des cours de pilotage sans aucune aide extérieure. Cette aide viendra d’Omar al-Bayoumi, un compatriote qui les accueille à leur arrivée aux Etats-Unis et les héberge.

En bons enquêteurs, Mike Jacobson et Dana Leseman n’ont pas manqué de se poser des questions sur cet homme de 42 ans. Pourquoi Omar al-Bayoumi a-t-il été payé à ne rien faire pendant les sept années de son séjour américain par la société saoudienne de services d’aviation Dallah Avco, dépendant du ministère de l’Air saoudien, alors qu’il travaillait pour le ministre saoudien de la Défense, le prince Sultan, avant de s’installer aux Etats-Unis? Dès son arrivée à San Diego en 1994, Omar al-Bayoumi brouille les pistes. Aux uns, il raconte qu’il est étudiant, aux autres qu’il est pilote dans l’aviation commerciale; à tous, il dit vivre de subsides envoyés par de la famille qu’il aurait en Inde. Un témoin retrouvé par Newsweek affirme qu’il était chargé à l’époque d’infiltrer et de contrôler les étudiants saoudiens en Californie: il vérifiait constamment leurs activités, les suivait parfois dans les rues avant de rendre compte à ses maîtres saoudiens. Ses contacts fréquents avec l’Ambassade d’Arabie saoudite à Washington DC et avec le consulat à Los Angeles valent à Omar al-Bayoumi la réputation d’être un agent saoudien au sein de la communauté musulmane de San Diego. De son propre aveu, Omar al-Bayoumi se rendait régulièrement au Consulat saoudien de Los Angeles pour voir son conseiller spirituel Fahad al-Thumairy, un fonctionnaire du ministère des Affaires islamiques. Faut-il croire Omar al-Bayoumi quand il explique avoir croisé par hasard les deux futurs terroristes dans un restaurant halal de Culver City après avoir rencontré Fahad al-Thumairy? Sans doute pas. Il n’avait aucune raison de se rendre dans ce restaurant peu réputé, situé à plusieurs kilomètres du consulat et pas vraiment sur le chemin de San Diego où il devait retourner. Le sénateur Bob Graham (démocrate, Floride), coprésident de la Commission d’enquête du Congrès sur le 11 septembre, commente, caustique: «Quand un présumé agent saoudien fait 150 kilomètres pour rencontrer un agent consulaire lié à des terroristes, puis fait encore une dizaine de kilomètres pour aller dans l’un des 134 restaurants moyen-orientaux de Los Angeles où il prend une table juste à côté de celle de deux futurs terroristes à qui il offre son amitié et son aide, on peut difficilement parler d’une coïncidence.» 

Au mois de septembre 1998, le FBI avait ouvert une enquête sur Omar al-Bayoumi. L’homme avait été dénoncé par le gardien de son immeuble, inquiet des allées et venues de jeunes Saoudiens aux allures «suspectes» et de réunions à n’en plus finir. Quand Al-Bayoumi s’était mis à recevoir des colis en provenance du Moyen-Orient, le gardien s’était inquiété davantage. L’un des paquets était, selon lui, arrivé abîmé et, à l’intérieur, il y avait des fils électriques. Pensant à une bombe, le gardien avait aussitôt averti le FBI. La section antiterroriste du bureau de Sacramento avait été saisie de l’affaire. L’enquête avait révélé que l’agent fréquentait des jeunes gens suspectés d’être liés à des terroristes. Mais rien d’autre. Le dossier avait été refermé au mois de juin 1999. Le FBI ne surveille donc plus Omar al-Bayoumi au moment où Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi débarquent chez lui. Ni quand  ils s’installent, le 5 février 2000, dans l’appartement 150 de la résidence Parkwood à San Diego, sur le même palier qu’Omar al-Bayoumi. Celui-ci verse leur caution et se porte garant. Quelques jours plus tard, Omar Al-Bayoumi organise une fête en leur honneur et leur présente les membres les plus éminents de la communauté musulmane. Le Saoudien a bien fait les choses: il a lancé les invitations à tout ce que les mosquées de la région comptent de personnages importants. C’est ainsi qu’une vingtaine de dignitaires se sont retrouvés chez lui pour fêter l’arrivée de ces visiteurs autour d’un agneau rôti. Les deux futurs pirates de l’air viennent d’entrer dans la haute société musulmane. Ils sont invités à prier à la mosquée Al-Medina Al-Munawara, principal lieu de culte de la ville financé par les Saoudiens. D’ailleurs son imam n’est autre qu’Anwar al-Awlaki, futur porte-parole d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Depuis 1995, en plus de son salaire, Omar al-Bayoumi touche, tous les mois, 3’000 dollars d’une fondation saoudienne pour un travail fictif qu’il est censé effectuer en Arabie saoudite. Juste après sa rencontre avec ses deux nouveaux amis, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, la somme est augmentée. D’autres fonds reçus à partir du 4 décembre 1999 suscitent encore une série de questions. Deux mois avant l’arrivée à Los Angeles de Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, Omar al-Bayoumi encaisse notamment 70’000 dollars. Les fonds proviennent de la princesse Haifa bint Faisal, épouse du prince Bandar, ambassadeur saoudien à Washington. L’argent n’est pas versé directement, il passe par l’épouse d’Osama Basnan, un proche d’Omar al-Bayoumi. Osama Basnan est un inquiétant personnage lié de longue date aux milieux islamistes. Dans un rapport daté du 3 octobre 2001, le FBI note qu’en 1992 Osama Basnan organise une fête en l’honneur du cheikh aveugle Omar Abdel Rahman, l’une des personnalités les plus redoutables du terrorisme islamiste. Ce document fait état de liens de longue date entre Osama Basnan et la famille ben Laden. Le FBI le dit aussi proche des terroristes islamistes basés en Erythrée. Enfin, le FBI le soupçonne de travailler pour le gouvernement ou les Services de renseignements saoudiens. Une information d’autant plus inquiétante qu’Osama Basnan est également en contact avec la cellule islamiste de Hambourg dont on connaît les liens avec les pirates du 11 septembre (le chef des commandos, Mohamed Atta, ainsi que d’autres terroristes responsables des attaques étaient issus du groupe basé dans la ville hanséatique, ndlr).

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Chaque année, près de Ground Zero, deux colonnes de lumière fusent à la verticale dans le ciel de New York en souvenir des victimes des attentats du 11 septembre 2001. © Bob Jagendorf

Le 2 août 2002, le prince héritier Abdallah, le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, est attendu à Houston (Texas) pour rencontrer le président Bush dans son ranch près de Crawford. Il est accompagné du prince Saoud ben Fayçal, de l’ambassadeur américain, du prince Bandar et d’une cour qui embarquent à bord de huit avions. Avant l’arrivée de la flottille, le FBI apprend qu’un membre de la suite d’Abdallah est recherché pour terrorisme aux Etats-Unis et que deux autres sont sur la liste des terroristes à surveiller. Le FBI s’apprête à partir à l’assaut des avions pour arrêter les trois Saoudiens. Craignant un incident diplomatique international, le département d’Etat intervient et empêche l’intervention musclée des agents fédéraux. Le Wall Street Journal expliquera en 2003 que «les détails concernant ce qui est finalement arrivé aux trois hommes ne sont pas tout à fait clairs, et personne au département d’Etat n’accepte de parler de l’incident. Ce qui est clair, cependant, est que les trois Saoudiens n’ont pas pu approcher de Crawford, mais qu’on leur a épargné la “gêne” de l’arrestation. Et la Maison des Saoud a évité un “incident international”» On ignore ce que les trois hommes venaient faire à Houston et qui ils devaient rencontrer. En revanche, on sait que l’inquiétant Osama Basnan se trouvait lui aussi à Houston (il s’est rendu dans un commissariat de la ville pour déclarer le vol de son passeport, ndlr). Ce n’est pas une coïncidence. Selon l’hebdomadaire américain Newsweek, Basnan «a rencontré un prince saoudien ayant des responsabilités en matière de renseignement et étant connu pour apporter des valises pleines d’argent aux Etats-Unis». L’agence Associated Press croit savoir de son côté que la rencontre entre Basnan et le prince saoudien est mentionnée dans les 28 pages censurées par la Commission d’enquête sur le 11 septembre.

Le 22 août 2002, le FBI appréhende Osama Basnan et sa femme, Majeda Dweikat. Officiellement, les deux époux sont arrêtés pour avoir fait de fausses déclarations lors de leur demande de visa. Mais un rapport lie leur interpellation à leurs liens avec Omar al-Bayouni. Le Bureau est déjà au courant des liens financiers entre les deux Saoudiens, de leurs contacts avec les deux pirates de l’air Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar, de leurs connections avec les services de renseignements saoudiens. Le 22 octobre 2002, les époux reconnaissent s’être servis de faux documents d’immigration pour rester aux Etats-Unis. Le 17 novembre, Osama Basnan est expulsé vers l’Arabie saoudite tandis que sa femme est renvoyée en Jordanie. Le FBI vient de laisser échapper un témoin essentiel, sinon l’un des suspects numéro 1 des attaques du 11 septembre. Ce n’est pas le seul. De son côté, Omar al-Bayouni a quitté San Diego à la fin du mois de juin 2001 pour aller se réfugier en Grande-Bretagne. Il s’inscrit à l’Université Aston Business School de Birmingham. Peu après les attaques du 11 septembre, à la demande du FBI, il est placé en détention par les autorités britanniques. Lors de la perquisition de l’appartement de Birmingham qu’il occupe, la police saisit les numéros de téléphone de deux employés du ministère des Affaires islamiques de l’Ambassade saoudienne à Washington. Les policiers dénichent aussi de la littérature djihadiste, et affirment qu’Omar al-Bayoumi «entretient des connexions avec des éléments terroristes». Le FBI vient de découvrir qu’outre Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, le Saoudien était en contact avec Mohamed Atta, le chef des pirates de l’air du 11 septembre. Peu après son arrivée aux Etats-Unis, Mohamed Atta se serait rendu à San Diego où il aurait rencontré Omar al-Bayoumi ainsi que Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi. Dans le monde de l’après 11 septembre, cela suffit pour finir à Guantanamo ou dans une prison secrète de la CIA. Pourtant le Saoudien est libéré une semaine plus tard. Les responsables des Services de renseignements britanniques se justifient en affirmant que le FBI ne leur a pas transmis les informations qui leur auraient permis de garder al-Bayoumi en détention au-delà des sept jours accordés par la loi antiterroriste britannique. De leur côté, les responsables du FBI de San Diego disent n’avoir été informés de l’arrestation d’al-Bayoumi en Grande-Bretagne qu’après sa libération. Pourtant, des agents du FBI étaient aux côtés des policiers britanniques qui ont interpellé le Saoudien. Selon Newsweek, les 28 pages censurées révéleraient que l’Ambassade d’Arabie saoudite à Washington a fait pression pour qu’al-Bayoumi soit libéré. Le FBI ne s’avoue pas vaincu. Il lance une vaste enquête sur les connections d’al-Bayoumi avec les diplomates saoudiens et son rôle dans les circuits clandestins financiers du terrorisme islamiste. De crainte d’être arrêté à nouveau, Omar al-Bayouni rejoint l’Arabie saoudite en novembre 2002.

Le FBI avait une dernière possibilité pour en savoir un peu plus sur les liens entre l’Arabie saoudite et les pirates du 11 septembre en interrogeant Fahad al-Thumairy, le fonctionnaire du ministère des Affaires islamiques du Consulat saoudien de Los Angeles. Al-Thumairy se trouve aux Etats-Unis depuis 1996, mais ce n’est qu’en mars 2003 que son nom est placé sur la liste des personnes à surveiller en raison de leurs liens avec des terroristes présumés. Le FBI le soupçonne d’avoir été en contact avec Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar, les premiers assaillants du 11 septembre à avoir débarqué aux Etats-Unis. Le FBI a aussi établi des connections avec un haut responsable d’Al-Qaïda, Wallid ben Attash. Ce n’est pas étonnant. De par sa fonction de représentant du ministère des Affaires islamiques, al-Thumairy est sensé superviser les islamistes intégristes qui se trouvent en Californie. Pour une raison que l’on ne parvient pas à expliquer, il n’a pas été interpellé par le FBI et demeurait libre de ses mouvements après les attaques du 11 septembre. Au printemps 2003, il se rend en Arabie saoudite. A son retour, le 6 mai, il est arrêté à l’aéroport international de Los Angeles et détenu, en dépit d’un visa diplomatique. Longuement interrogé, il ne dira rien. Deux jours plus tard, il est expulsé vers l’Arabie saoudite où il rejoint Omar al-Bayoumi et Osama Basnan. Le retour d’Omar al-Bayoumi en Arabie saoudite n’est pas passé inaperçu. Aux Etats-Unis, certaines voix s’élèvent pour exiger son extradition. Le ministre saoudien, le prince Nayef ben Abdelaziz, réagit en déclarant: «Nous n’avons jamais remis de Saoudiens à des Etats ou à des puissances étrangères.» Le Royaume a récupéré les siens, les trois Saoudiens qui étaient en contact avec certains des pirates de l’air du 11 septembre ont été rapatriés. Un épais rideau de sable s’est abattu sur la piste saoudienne. Reste à faire le ménage aux Etats-Unis. Mais à quelles fins?