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Ces Suisses qui ont combattu pour la France (2/2)

Dans le second volet notre enquête sur les Suisses romands au service de la France, place à Albert de Tscharner, le plus brillant représentant de l'armée de milice à la Légion étrangère, à l'inventeur fribourgeois Paul Girod et à l'ingénieur genevois Marc Birkigt.

Albert Charles Frédéric Henri de Tscharner (1875-1948) est sans doute le plus brillant représentant de l’armée de milice à la Légion étrangère. Né à Aubonne le 12 mai 1875, d’une longue lignée de gens de guerre bernois qui compta pas moins de 27 officiers au service de Hollande, il est originaire de Berne et de Rolle. Fils de Louis Frédéric/Ludwig Friedrich Heinrich (1829-1902), ancien officier au service de l’Autriche de 1845 à 1860, chef d’escadron et chambellan royal et impérial, et de Marie de Bonstetten, il appartient à une longue lignée de gens de guerre bernois.

Chef d’état-major de la brigade d’infanterie 2 il quitte le service de la Confédération le 31 mars 1912 pour raison de santé. Les mauvaises langues prétendent que des préférences sexuelles atypiques pour l’époque seraient à l’origine de l’évolution de la carrière de ce fils de bonne famille patricienne, qualifié par le commandant Deville d’«officier modèle et modèle des officiers». Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, le major de Tscharner commande l’escadron de dragons 25 avant de fonctionner comme chef de classe à l’école d’officiers d’infanterie à Porrentruy en 1915. Début 1916, il commande un groupe de mitrailleurs de cavalerie. Après sa promotion de major officier instructeur de cavalerie dans l’armée suisse, le 29 février 1916, il est mis au bénéfice d’un congé de deux ans; une commission de visite sanitaire le déclare inapte au service.

Suite à sa demande d’autorisation d’entrer dans les rangs de la Légion étrangère, datée de Thonon-les-Bains le 9 mars 1916, il obtient le 15 avril 1916, par décision ministérielle, une affectation au 1er régiment étranger. Tscharner entre en 1916 à la Légion étrangère avec l’autorisation du Conseil fédéral et du général Wille. Le 15 avril 1916, le major de Tscharner est promu capitaine à titre étranger au 1er régiment de marche de la Légion, commandant de la 11e compagnie conduite au feu en juin. Il ne tarde pas à la tête de cette unité d’élite à être grièvement blessé à l’épaule gauche, lors de la prise de Belloy-en-Santerre le 4 juillet 1916. Il est cité, le 15 août suivant, pour la première fois, à l’ordre du jour, par ordre général No 379 de la 6e armée: «Soldat superbe, admirable au feu par son calme et son attitude ferme et énergique». De retour de convalescence, Tscharner prend le commandement de la 6e compagnie du 2e bataillon. Le 18 mai 1917, le général commandant la 6e armée le cite de nouveau en ces termes: «Officier d’un courage et d’un dévouement absolus. A très brillamment conduit sa compagnie pendant l’offensive d’avril 1917. Très belle attitude au combat. Major de cavalerie d’une armée étrangère, est venu combattre pour la France au service de laquelle il a déjà été blessé en 1916. Blessé au bras par un éclat d’obus, est resté à son poste après avoir été pansé.»

Le 17 mai 1917, Tscharner est affecté à la 3e compagnie de mitrailleurs du 3e bataillon. L’année suivante, le 21 juin 1918, il a droit à nouveau aux honneurs d’une citation à l’ordre de l’armée: «Très brillant officier, modèle d’énergie, de sang-froid et d’enthousiasme, inspirant à tous une confiance absolue. A été grièvement blessé le 26 avril 1918, alors qu’avec sa bravoure habituelle il entraînait sa compagnie à l’attaque sous un feu meurtrier de mitrailleuses.» Il jouit alors d’une immense popularité auprès de ses hommes, abasourdis par son panache et ses qualités de chef. En août 1918, il est affecté, en qualité d’adjudant-major au 1er bataillon du RMLE et se retrouve sur la ligne Hindenburg à Terny-Sorny et au plateau de Laffaux. Une fois encore il est cité à l’ordre de la division le 18 octobre: «Revenu sur le front à peine guéri d’une blessure antérieure, a été un précieux auxiliaire pour son chef de bataillon pendant les combats du 2 au 10 septembre 1918.» Blessé grièvement par trois fois durant la Grande guerre, il a successivement participé aux combats de Belloy en Santerre, Aubérive (18 avril 1917), Cumières, Filrey et Hangard en Santerre, dans la Somme. Chevalier de la Légion d’honneur à Verdun, après les assauts de Cumières, le 24 septembre 1917, il reçoit la croix de guerre avec quatre palmes et une étoile en argent. Il est également fait officier de l’ordre de Sa Majesté le roi de Monténégro, médaille d’argent pour la bravoure.

Paradoxalement, la présence suisse dans l’armée française, que symbolise bien un officier de l’envergure d’Albert de Tscharner, contribua à enrichir le concept de neutralité à une époque où l’influence allemande, dont le général Wille fut un vecteur durant la première guerre mondiale, devenait toujours plus envahissante et prépondérante en Suisse. Le fait que des officiers suisses entraient dans la Légion confortait la France dans l’idée que la Suisse avait le désir de maintenir un certain équilibre entre les grandes puissances.
Le 13 mars 1919, Albert de Tscharner est nommé capitaine à titre définitif et à titre étranger, sur préavis très favorable du colonel Rollet, du 5 février 1919: «Le capitaine de Tscharner est un officier de premier ordre, d’une grande distinction, estimé de tous. Au régiment depuis près de trois ans, a montré au feu des qualités exceptionnelles d’initiative, de décision et de sang-froid… Il est dans l’intérêt de la Légion de conserver dans ses rangs des officiers étrangers de la valeur du capitaine de Tscharner.»

Après-guerre, contre toute attente, il reste au service de France. Il se retrouve en Algérie en avril 1919 puis au Maroc le 27 octobre de la même année. Envoyé en mission secrète en Hongrie du 2 décembre 1919 au 20 novembre 1920, il est fait officier de la Légion d’honneur le 16 juin 1920. Il est ensuite incorporé au régiment de marche de la Légion étrangère qui deviendra en 1920 le 3e régiment étranger, et envoyé au Maroc sous protectorat français où il s’illustre jusqu’en 1933. «Aux côtés des Lyautet, des Giraud et des Catroux, il prend part au premier rang, à l’œuvre de pacification du Protectorat». Le 13 mai 1923, Tscharner est affecté comme capitaine adjudant-major au 2e bataillon. Selon Jean-François Rouiller: «Albert de Tscharner se donna corps et âme à la pacification de l’âpre et rude pays marocain». Nouvelle citation qui figure, le 21 juin 1923, dans l’ordre du jour du maréchal commandant en chef: «La bravoure, la ténacité, la volonté de vaincre malgré tout de ce bataillon et de son chef de bataillon, et en particulier de la Ve compagnie commandée par le capitaine de Tscharner, ont ainsi contribué pour une large part à la soumission immédiate et complète des Beni-Bouzert.» Il devient chef de bataillon le 25 juin 1925. «Dans la nuit du 10 au 11 mars 1928, l’explosion d’un dépôt de cheddite dévaste, près de Taza, le camp qu’occupe son bataillon. Une jambe en lambeaux, il oublie pendant six heures ses souffrances pour ne penser qu’à ses légionnaires et organise les secours, exemple de grandeur d’âme et de stoïcisme qu’un ordre du jour porte à la connaissance de toutes les troupes du Maroc». L’ordre du jour du 18 mai 1928 est élogieux à son égard: «Superbe soldat, d’une bravoure légendaire (…) sérieusement blessé par un éclat de pierre qui lui fracassa la jambe, fit preuve de stoïcisme et de grandeur d’âme, ignorant sa douleur pour ne penser qu’à ses braves légionnaires.»

Affecté au 4e régiment, il mène les opérations de Todra en 1931 et combat les Chleuhs dans le Grand Atlas. Les éloges se suivent et se ressemblent. Ainsi en date du 21 mai 1931: «Très brillant chef de bataillon de légion possédant sur sa troupe un ascendant absolu.» Et le 14 janvier 1933 : «Officier supérieur d’une haute valeur morale. S’est distingué à nouveau comme chef d’un groupement lors de l’occupation de Todgha et au combat de l’Oued Ifer, où il a donné à tous un bel exemple de calme, de sang-froid et de superbe attitude au feu.»

Quand il quitte le 3e régiment étranger, le 12 mai 1933, ce soldat qui, au dire du Maréchal Pétain «a le plus beau bataillon du 3e régiment étranger», ne compte pas moins de dix-sept ans de campagne, huit citations, sept blessures et c’est bardé de décorations qu’il revient en Suisse, ayant atteint par mesure spéciale du 25 mars 1931 le grade de lieutenant-colonel au 3e régiment de la Légion et obtenu la cravate de Commandeur de la Légion d’honneur en juin 1933.

Hans Bringolf, qui fut lui-même, selon sa propre expression, «un aventurier suisse sous les drapeaux de l’étranger», a brossé de Tscharner qu’il connaissait bien le curieux portrait suivant: «Parmi les officiers de cavalerie des années 1900 qu’on ne rencontrait guère dans les chemins battus, il y avait Albert de Tscharner (…) Réservé, raide, l’esprit ferme et la tenue impeccable, il semblait maudire le sort qui l’avait condamné à la compagnie des petits paysans qui, selon lui, formaient notre cavalerie. Son attitude méprisante le rendit impopulaire en Suisse. A l’étranger au contraire, pendant la guerre, elle lui conféra une sorte de prestige sui generis que certains hommes supérieurs savent se ménager auprès de la canaille, par leur maintien impeccable. Engagé comme capitaine dans les unités de volontaires combattant sur sol français, ce qu’on appelait les régiments de marche, de Tscharner fut maintes fois blessé, parvint aux honneurs et reçut de l’avancement. Cet ex-major de la cavalerie suisse resta dans l’armée française après la guerre (…) Il savait éveiller chez ses légionnaires un sentiment de fraternité. Ils aimaient sa personnalité bizarre et se reconnaissaient en  lui, sous une forme plus raffinée. Il est nécessaire d’en user ainsi d’ailleurs avec ces rudes gaillards si l’on désire les convertir en une troupe apte au combat». Ce personnage haut en couleurs et aux allures martiales avait su se faire connaître. «Il semblerait qu’il existe un roman de Jean de la Varende pour lequel Albert aurait prêté ses traits au protagoniste».  Grand oublié, Tscharner n’a droit à aucune notice dans l’imposant dictionnaire de la Légion étrangère publié en 2013 dans la collection Bouquins.

Guisan connaît très bien l’armée française: «En 1916, alors lieutenant‑colonel EMG (état-major général), il est détaché, sur le front occidental. Avec les attachés militaires accrédités à Paris, il visite l’Argonne, les Eparges, Verdun. Bien entendu, il ouvre tout grands les yeux, car s’il s’agit de se faire une idée de l’état de l’armée française, il convient aussi de recueillir des renseignements pouvant être utiles à l’armée suisse. Hormis quelques critiques de détail, c’est l’admiration qui prévaut: le moral des troupes est élevé, les chefs sont de véritables conducteurs d’hommes et personne ne doute de la victoire. En 1917, il se rend à nouveau sur le front français, cette fois en Lorraine et dans les Vosges où il recueille foule de renseignements techniques, entre autres sur l’utilisation des chars».

L’inventeur fribourgeois Paul Girod (1878-1951) est un spécialiste de la fabrication des ferro-alliages, créateur (1908-1909) à Ugine, en France voisine, de la «Compagnie des forges et aciéries électriques Paul Girod». Les forges et aciéries Paul Girod ont rendu d’éminents services à l’armée française pendant la Première Guerre mondiale par la mise au point et la fabrication de l’acier auto-trempant employé pour les projectiles de rupture. L’énorme production d’Ugine se monte à 7’000 tonnes de tôle spéciale pour l’artillerie de campagne, 4’000 éléments de canons de tous calibres, 1 million d’obus de 120 au 280 mm, 50% de tous les aciers spéciaux pour l’aviation, 4’000 blindages de chars Renault dont la  production massive du char Renault FT 17 qui, en 1918, permit dans une large mesure la victoire des Alliés sur les Empires centraux.

De tous les moteurs d’aviation de la première guerre mondiale, ceux de la société Hispano-Suiza sont les plus connus. L’ingénieur genevois Marc Birkigt (1878-1953) a marqué l’industrie des transports «de la première moitié du XXe siècle. Créateur des prestigieuses voitures Hispano-Suiza, né à Genève le 8 mars 1878, il était parti en Catalogne en 1899. C’est avec Juan Castro qu’il créée à Barcelone, en novembre 1902, la  «constructora Hispano-Suiza de Automoviles J. Castro». Il présente pour la première fois ses réalisations au Salon de l’automobile de Paris en 1906. C’est d’abord à la demande du gouvernement espagnol qu’il développe le moteur d’avion que finira par adopter la majorité des avions de chasse alliés. Leur fabrication fut entreprise en 1915 et le 180 CV deviendra le moteur de Guynemer et de Fonck, en fait de tous les as des aviations françaises et alliées. Considéré comme le «Chef de l’école moderne de l’automobile» par la presse, en raison des exploits de ses voitures, il crée une usine à Levallois en 1911 dans un dépôt de tramways désaffecté et une autre à Bois-Colombes, opérationnelle en juillet 1914.

Sa première voiture était sortie en France en avril 1911. Ses usines de Bois-Colombes et de Levallois sont réquisitionnées par le ministère de la Guerre pour produire des moteurs rotatifs d’avions de conception Gnome pour équiper le biplan de chasse Nieuport. Les 5 exemplaires commandés en 1917 furent les premiers avions de l’aviation suisse à voilure métallique. Alain Veilly écrit à ce sujet: «Dès la fin mars 1915, Marc Birkigt a établi des contacts avec les constructeurs d’avions français; il les a questionnés, écoutés, ceci dans le but de répondre à leurs besoins propres (…) Ces contacts ont permis de mettre en évidence que leur principale préoccupation du moment était d’avoir un moteur fiable et léger, d’une puissance de 150 à 200 cv, car pendant ce temps là, l’Allemagne avec ses moteurs d’excellente qualité avait pratiquement la maîtrise du ciel. A la mi-mai 1915 les essais probatoires prennent fin en Espagne en présence des officiels et de divers responsables militaires; les résultats sont prodigieux et supérieurs à tout ce qui était espéré; on obtient tranquillement au banc 150 cv pour un régime de 1’500 t/min. (…)»

Pendant ce temps, Marc Birkgit qui a maintenu des contacts très étroits avec la France à laquelle il est très attaché, fait connaître les résultats obtenus en Espagne aux services techniques français. Toutefois, cette nouvelle concurrence, étrangère de surcroit, dérange l’industrie française dans son immense besoin de moteurs de cette puissance. Il faut que le commandant Barès, patron des Services techniques de l’aéronautique militaire, insiste fortement pour qu’une mission soit envoyée en Espagne afin d’examiner et éventuellement d’acheter un exemplaire de ce moteur (…). Courant juin 1915 une commission du Ministère français est envoyée à Barcelone; elle est dirigée par le capitaine Martinot-Lagarde, chef du laboratoire d’essais de Chalais-Meudon et comprend (…) le constructeur Farman et l’aviateur Audemars chargés de cerner les problèmes entourant l’adoption de ce moteur pour les utilisateurs (…) C’est le succès complet, d’autant plus remarquable et intéressant qu’aucun moteur n’avait encore réussi cet essai de 10 heures. Cette réussite incontestable débouche sur une commande conditionnelle de 50 moteurs qui doivent être produits en France».

Malgré la levée de boucliers des motoristes français qui allèrent jusqu’à interpeler les membres de la Chambre des députés, grâce notamment au futur président du Conseil Léon Blum, la qualité suisse l’emporta sur les intérêts particuliers. Fin 1915, l’usine de Bois-Colombes devient «La Hispano-Suiza section Aviation», ayant pour objet la construction de propulseurs aéronautiques pour le Gouvernement français. Bientôt, la société Morane-Saulnier passe un contrat pour l’acquisition de 100 unités. L’adoption du moteur Hispano-Suiza pour l’aéronautique militaire au détriment des marques françaises fit l’objet de nouvelles passes d’armes à l’Assemblée nationale. Les opposants au moteur suisse reviennent à la charge, comme le relate le journal officiel en date du 14 mars 1916. Répliquant aux critiques, écoutons Raoul Anglès: «Tout le monde sait ce qui est advenu à propos du moteur Hispano, qui fonctionnait dès le début 1915 et qui est incontestablement le meilleur moteur d’aviation, parce qu’il est le plus puissant et le plus léger… Eh bien ! il a fallu plus d’un an pour vaincre, en sa faveur, la coalition de routine bureaucratique et d’intérêts privés…» (Très bien ! très bien !…). Si M. René Besnard a dû quitter le sous-secrétariat de l’Aéronautique, c’est parce qu’il avait eu le courage d’imposer ce moteur décrié, déclaré irréalisable par ceux aux yeux desquels il avait le tort de n’être pas leur chose, et qui, a prouvé sa supériorité aérienne… » (Applaudissements).

La pression des lobby des constructeurs de moteurs français (Gnome, Salmson, Clerget et Renault en tête) a failli coûter cher à la France car si, jusqu’en 1915, les Alliés dominent le ciel sur le front de bataille, les forces de l’Axe reprennent le dessus entre mai 1915 et septembre 1916, avec leurs Fokker Eindecker surnommés par les Alliés «le fléau fokker», qui vident le ciel des avions alliés avec leurs mitrailleuses synchronisées. «Les avions alliés sont mal armés parce qu’ils sont mal motorisés et cette mauvaise motorisation ne permet pas d’adapter des armes à la hauteur des circonstances. Birkigt vient précisément d’offrir au Gouvernement français la solution à ce problème, mais la transition est difficile». Birgkit récupère son usine de Bois-Colombes et équipe le SPAD S.VII, un avion spécialement pensé autour du nouveau moteur, lequel «permet d’installer dans le capot une mitrailleuse synchronisée directement dans le point de visée du pilote. Le poids total de l’avion, 700 kg, ainsi que son moteur de 150 hp lui confèrent en outre une maniabilité extraordinaire.

En avril 1916, l’armée française en commande 268 exemplaires pour ses escadrons de chasse, et jusqu’à l’arrivée de son successeur, le SPAD S.XIII en mai 1917, il sera l’avion militaire le plus rapide dans les ciels de la guerre européenne. Avec l’arrivée de SPAD S.VII sur le champ de bataille en septembre 1916, les pilotes alliés disposent désormais de la parfaite machine de guerre qu’ils demandaient à leurs états majors depuis le début des combats. Deux cents avions ennemis abattus dans  les six premiers mois de campagne constituent un palmarès inédit. Le SPAD  S.VII connaît un succès fulgurant et une douzaine de constructeurs français en produisent plus de 5’600 tout au long de la guerre». C’est ainsi que les établissements Brasier et Aries se mettent également à produire des moteurs sous licence. C’est au tour des Anglais de s’équiper du moteur du Suisse Birkigt après que le Royal Flying Corps ait subi en avril de lourdes pertes -300 pilotes et 224 avions- dans la bataille pour la défense d’Arras. Les Etats-Unis suivront l’exemple britannique en faisant construire sous licence par la Wright Corps, le Hispano-Suiza 8 Ab. Même les Russes construiront ce moteur dans les ateliers de la Fabrique nationale de Moscou jusqu’à la Révolution bolchévique.

Birkigt améliorera sans cesse son fameux moteur qui équipe le SPAD S.XIII, «de loin le meilleur chasseur de la Première Guerre mondiale, tous modèles et tous pays confondus. Plus de 8’000 d’entre eux sont construits en France et sont utilisés par les forces aériennes française, italienne, britannique, russe et belge. A la fin de la guerre, 10’000 appareils sont encore commandés, dont 6’000 destinés à être construits aux Etats-Unis. Vingt et une usines ont construit durant la Grande Guerre près de 50’000 moteurs Hispano-Suiza 8A dans ses différentes versions de la France au Japon  en passant par les Etats-Unis. Son biographe remarque avec pertinence: «De nationalité suisse et séjournant en Espagne, Marc Birkigt aurait pu revendiquer, au cours de la Première Guerre mondiale, une confortable double neutralité. Celle-ci lui aurait permis de vendre son invention au plus offrant. Mais la neutralité est inscrite dans la Confédération suisse, et non pas dans les gènes de ses citoyens. Offrir son moteur au gouvernement français est pour l’ingénieur genevois un acte de foi idéologique». Ainsi, le moteur hispano-Suiza a équipé l’escadrille des cigognes de Guynemer durant la Grande Guerre, dans laquelle servit Louis de Diesbach, d’origine fribourgeoise et condisciple de Georges Guynemer au collège Stanislas à Paris en 1907. Leader de l’escadrille SPA-3 dont l’emblème est une cigogne en vol, le capitaine Guynemer (54 victoires) exprima publiquement sa reconnaissance envers Birkigt. «Comme Guynemer participe activement à la mise au point du système de synchronisation de mitrailleuses inventé par Birkigt, ce dernier le considère comme un étroit collaborateur, au point d’adopter comme logo de l’entreprise Hispano-Suiza la cigogne de la SPA-3 et de renommer la rue dans laquelle est installée la fabrique de Bois-Colombes rue Georges Guynemer».

Le capitaine Fonck, «As des as» de l’aviation française écrit dans ses mémoires: «Dès l’arrivée du moteur Hispano-Suiza, nous avons pris la maîtrise de l’air et, grâce à lui, nous l’avons gardée». Les moteurs de Birkigt possédaient les mêmes particularités qu’apprécieront les connaisseurs: les chemises de circulation d’eau fondues en aluminium, les cylindres en acier vissés dans la culasse, la distribution par attaque directe, le graissage… Après l’armistice, le Genevois Marc Birkigt continuera à travailler pour l’aviation française. En 1919, les moteurs d’aviation d’Hispano-Suiza deviennent le standard de l’armée de l’air française. En 1929, un moteur Hispano-Suiza D 500 équipe le Dewoitine D 500 tandis que 60 exemplaires du Dewoitine D 27 munis du moteur de Birkgit sont achetés l’année suivante par l’armée suisse. Il se lancera encore vers la fin des années 30 à la conception d’un canon, à la demande du gouvernement français. L’usine Hispano-Suiza à Bois-Colombes, détruite par les bombardements alliés durant la Deuxième Guerre mondiale, a été reconstruite et existe encore de nos jours.