La semaine prĂ©cĂ©dente, le 26 aoĂ»t 1937, Renata Steiner rencontre Abbiate qui se prĂ©sente Ă elle sous le nom de François Rossi. C’est lui qui va diriger les opĂ©rations en Suisse. Steiner est envoyĂ©e Ă Berne pour prĂ©parer le terrain, pendant que la machine criminelle se met en place. Abbiate la rejoint trois jours après. Le reste de l’équipe, Smirensky, Ducomet et Martignat, ne dĂ©barquera qu'au dernier moment. Sur place, il y a dĂ©jĂ un certain Vadim Kondratiev, ami du gĂ©nĂ©ral blanc NikolaĂŻ Skobline passĂ© au NKVD. Le 1er septembre, Renata Steiner rentre en urgence Ă Paris par avion avec un message d’Abbiate pour un certain LĂ©o, qui lui remet une boĂ®te de chocolats. On ne connaĂ®t pas la teneur du message, mais LĂ©o, jamais formellement identifiĂ©, pourrait ĂŞtre Spiegelglass ou son principal sicaire, Leonid Eitingon, voire mĂŞme le gĂ©nĂ©ral Orlov. En revanche, on sait parfaitement ce que contenait la boĂ®te de chocolats: des pralines fourrĂ©es Ă la strychnine! DestinĂ©e Ă Reiss et sa famille, on la retrouvera oubliĂ©e dans la chambre d’Abbiate et de Schildbach Ă l’hĂ´tel de la Paix. Gertrude Schildbach, au courant de son contenu, n’aurait pas eu le courage de l’offrir. Par contre, elle ne faiblira pas lorsqu’il lui faudra livrer son ami Ă ses bourreaux le soir du 4 septembre, après avoir soupĂ© ensemble dans un restaurant de la banlieue de Lausanne. Que s’est-il passĂ© ensuite pour que le commando s’égaille aussi vite, abandonnant le vĂ©hicule du crime au centre de Genève et des bagages compromettants dans le palace lausannois, et laissant Renata Steiner seule Ă Montreux Ă la merci de la police vaudoise?Â
La jeune Suissesse n’aura pas de scrupules Ă rapporter aux inspecteurs tout ce qu’elle sait du commando et de ses commanditaires, dont elle n’a «étĂ© qu’un instrument entre leurs mains». Elle donne respectivement les noms de François Rossi, qui se fait Ă©galement appeler «Docteur Benoit» (rapidement identifiĂ© comme Roland Abbiate), Gertrude Schildbach, Dimitri Smirensky, Pierre Louis Ducomet et Charles Martignat, et prĂ©cise l’hĂ´tel oĂą sont descendus les deux premiers. On connaĂ®t la suite. L’interrogatoire des employĂ©s de l’hĂ´tel de la Paix, notamment celui d’Albert Favre par la police britannique, livre les dĂ©tails suivants: Schildbach et Abbiate, arrivĂ©s le 3 septembre dans l’après-midi, ont louĂ© deux chambres communicantes, oĂą leur a Ă©tĂ© servi un repas froid après 20 heures. Ils «ont quittĂ© l’hĂ´tel le lendemain dans la soirĂ©e, peu de temps avant le crime. Le mĂŞme jour, entre 18 et 19 heures une personne, probablement venue de Paris, les a rejoints Ă l’hĂ´tel et, apparemment, a mangĂ© avec eux dans leur chambre. Ce dernier, qui a très probablement pris une part active au crime, pourrait ĂŞtre l'homme dĂ©nommĂ© Etienne Charles Martignat», prĂ©cise le colonel-chef de la Police de Lausanne Robert Jacquillard dans un courrier adressĂ© Ă Scotland Yard datĂ© du 15 dĂ©cembre 1937. Le forfait commis, l’équipe de tueurs ne s’attarde pas en Suisse, elle passe en hâte la frontière française, qui par train, qui par taxi. Les polices suisse et française perdent vite toute trace. Le trio a Ă©tĂ© immĂ©diatement pris en charge par les services soviĂ©tiques. Schildbach est expĂ©diĂ©e en Espagne oĂą les hommes du NKVD sont solidement implantĂ©s dans le gouvernement rĂ©publicain. Après quelque temps, un bateau soviĂ©tique la rapatriera en URSS. LĂ -bas, comme beaucoup de pèlerins de la rĂ©volution, loin d’être fĂŞtĂ©e comme une hĂ©roĂŻne, elle finira dĂ©portĂ©e en SibĂ©rie, pour y mourir. Après une courte halte Ă Paris, Charles Martignat rejoint rapidement la Finlande, oĂą il passe le 11 septembre 1937 la frontière finno-soviĂ©tique Ă la station ferroviaire de Rajajoki pour se rendre Ă Leningrad, comme l’atteste une note du major Valentine Vivian, chef du MI6 (contre-espionnage britannique), envoyĂ©e le 3 dĂ©cembre 1939 Ă l’agent Jane Sissmore du MI5 (Service de renseignement de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure).Â
Abbiate l’accompagnait-il? Le Monégasque collectionnant les alias, la police finlandaise ne l’a peut-être pas repéré. Quelques mois plus tard, les deux hommes sont localisés à Varsovie ainsi qu’en atteste une réponse apportée par la police française en décembre 1938 à son homologue londonienne concernant Mireille Abbiate: «Nous avons eu connaissance depuis l’assassinat, qu’elle avait correspondu avec son frère, comme l’indiquent certaines informations en provenance de Varsovie où il se trouvait en compagnie de son complice Charles Martignat. Les enquêtes de la police polonaise concernant ces deux hommes n'ont jusqu'à présent donné aucun résultat.» Dans son dossier aux archives britanniques, il est fait mention d’un dernier signalement en 1939 à Mexico. Sans doute poursuivait-il là l’une des missions préparatoires au meurtre de Trotski. Ces mêmes archives soulignent qu’Abbiate et ses complices bénéficient à nouveau de la couverture de la légation de Minorque à Mexico auprès de laquelle ils sont enregistrés, confirmant ainsi que cette «représentation diplomatique» servait de couverture au NKVD! Si la police suisse a mis la main sur Renata Steiner, les policiers français vont arrêter début octobre 1937 à Paris deux complices: Pierre Louis Ducomet et Dimitri Smirensky. Eux aussi vont parler, sans révéler de choses essentielles. Après quelques mois de préventive, les deux hommes obtiennent leur mise en liberté provisoire. Smirensky est expulsé vers la Belgique. Ducomet obtiendra en 1941 un non-lieu et retrouvera l’anonymat. En Suisse, Renata Steiner, après quelques mois passés en prison, sera condamnée en mai 1939 à une peine symbolique.