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© Gwen Keraval

La face sombre de l’adoption chez les évangéliques (2/2)

Ces dernières années, l'adoption internationale est devenue une mode pour des familles évangéliques américaines. Avec des conséquences parfois tragiques. Enquête.

Les lecteurs de Above Rubies ne sont pas les seuls à être touchés par le virus de l’adoption. En 2007, la Christian Alliance for Orphans, qui prend racine à peu près au moment où Campbell publie ses premiers articles sur l’adoption, tient une séance cruciale au QG de Focus on the Family, la fondation de James Dobson (lobby évangéliste très puissant aux Etats-Unis, nda), dans le Colorado.

Les pasteurs en sortent prêts à prêcher le nouvel évangile des soins à apporter aux orphelins et à l’adoption, selon un article publié dans le Los Angeles Times. Très vite, Focus on the Family décrète que, d’ici une décennie, il sera «vraiment inhabituel» pour des chrétiens «de ne pas adopter ou de ne pas s’occuper d’orphelins».

Et en effet, à peine deux ans plus tard, la Southern Baptist Convention, la plus grande dénomination chrétienne d’Amérique à l’exception de l’Eglise catholique, fait voter une résolution appelant ses seize millions de membres à s’impliquer, que ce soit en prenant des enfants sous leur toit, en faisant des dons à des familles adoptives, ou en soutenant les centaines de missions d’adoption qui poussent comme des champignons à travers le pays pour collecter de l’argent et propager la bonne parole.

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© Gwen Keraval

Le leader «néopentecôtiste» Lou Engle appelle à son tour les megachurches à s’engager dans la cause, qui leur donnera «l’autorité morale dans cette nation». 

Le mouvement donne naissance à de multiples conférences et ouvrages autour de l’idée qu’adopter un enfant nécessiteux est une forme de travail missionnaire. «Le but ultime de l’adoption par des chrétiens, écrit ainsi l’auteur Dan Cruver dans son livre Reclaiming Adoption (2011), n’est pas de donner des parents aux orphelins, si important cela soit-il. C’est de les placer dans un foyer chrétien de manière à leur permettre de recevoir l’Evangile.»

Lors d’un sommet sur l’adoption organisé par la Christian Alliance for Orphans à la Saddleback Church de Californie du Sud, le pasteur Rick Warren déclare à ses disciples: «Ce que Dieu nous fait spirituellement, il attend de nous que nous le fassions physiquement à des orphelins: être nés à nouveau et adoptés.»

Des familles racontent leurs «voyages vers l’adoption» dans des blogs aux noms comme Blessings from Ethiopia (des bénédictions venues d’Ethiopie) ou Countdown 2 Congo, collectent de l’argent pour les frais d’adoption en demandant des dons ou en vendant des T-shirts. 

Se décrivant comme une «folle d’orphelins», une mère écrit être toujours «obsédée par les orphelins» après avoir donné naissance à deux enfants et en avoir adopté quatre. Un ministère déclare simplement: «L’adoption, c’est la nouvelle grossesse.»

Tout cet enthousiasme crée une armée de fervents partisans déterminés à faire revivre un business d’adoptions internationales sur le déclin depuis 2004, et à le réorienter dans une direction plus ouvertement religieuse. 

Sur les 201 agences accréditées et enregistrées auprès du Département d’Etat, plus de cinquante – dont les plus importantes – sont explicitement chrétiennes (sans compter les agences catholiques). Plus nombreuses encore sont celles qui utilisent imagerie ou langage religieux sur leurs sites, ou s’associent avec des groupes évangéliques.

«J’ai adopté en 2001 et il n’y avait rien de tout cela, mais j’ai pu constater cette religiosité rampante depuis lors, indique Karen Moline, membre du conseil du groupe Parents for Ethical Adoption Reform, un organisme de contrôle. Sur les forums d’adoption, les gens ont commencé à signer leurs messages blessings (bienfaits) et à poster des images d’enfants du Tiers Monde avec la mention lost souls (âmes perdues). Il s’agit là d’une ferveur sans précédent.»

En 2010, année où l’ensemble des adoptions internationales décline de 13% aux Etats-Unis, Bethany Christian Services, l’une des plus grandes agences du pays – avec des rentrées d’environ 25 millions de dollars –, annonce que ses placements d’enfants depuis d’autres pays ont grimpé de 66% pour les six premiers mois de l’année. Dans le même temps, les demandes d’adoption ont pratiquement doublé.

Depuis, les chiffres de Bethany ont baissé de concert avec les variations vécues par l’ensemble de l’industrie, mais les pays qui continuent à connaître des booms liés à l’adoption, parmi lesquels des nations d’Afrique comme l’Ethiopie, l’Ouganda et la RDC, ont fait l’objet d’une activité missionnaire intense. «Je pense que si les évangéliques n’étaient pas derrière une grande partie du business de l’adoption, il n’y aurait pas d’adoption internationale, point», dit Moline.

Il est clair que ces familles veulent venir en aide aux enfants, mais les «orphelins» qu’elles espèrent sauver sont un groupe complexe. Beaucoup d’entre eux viennent de pays où les orphelinats sont essentiellement des infrastructures vers lesquelles les familles se tournent en cas de nécessité. 

Dans certains cas, les enfants sont faussement indiqués comme étant sans famille; dans d’autres, des enfants avec de lourds besoins, émotionnels ou médicaux, ont atterri dans des foyers qui n’étaient absolument pas prêts à s’occuper d’eux.

Bien qu’il soit difficile d’avoir des statistiques précises, il est estimé que 6 à 11% de toutes les adoptions aux Etats-Unis se révèlent être un échec; la proportion se monte à près de 25% pour les enfants adoptés quand ils étaient adolescents. 

L’échec des adoptions d’enfants d’autres pays est devenu si courant qu’un débat sur ce thème au sommet 2012 de Saddleback a attiré l’une des assemblées les plus importantes de la conférence.

Revenons aux Allison, la famille du Tennessee ayant adopté six enfants du Liberia. Et qui a visiblement eu les yeux plus gros que le ventre. Ainsi va la suite de leur histoire, telle que la racontent les enfants: un matin du printemps 2008, une dispute entre la mère, Serene, et CeCe pour une histoire de vaisselle se termine par le départ de CeCe. 

Elle quitte la maison avec sa valise. «Je lui ai dit: "J’en ai marre de tout ce que vous nous avez fait, m’a-t-elle raconté plus tard. Vous ne nous envoyez pas à l’école, vous ne nous nourrissez pas correctement"» Quand elle revient chercher ses frères et sœurs, Sam la pousse si fort qu’elle tombe par terre.

Ce soir-là, Sam emmène CeCe et Kula – qui elle aussi renâcle face à la discipline du père de famille – chez une femme qui fréquente la même église qu’eux, le temps que les Allison soient en mesure de décider ce qu’ils vont faire d’elles. 

Mais quand cette femme entend les histoires des deux filles, elle les aide à appeler le Département pour l’enfance. S’ensuit une audience. Kula et son frère Alfred, âgé de 18 ans, sont envoyés chez leur oncle, un immigrant du Liberia, dans l’est du Tennessee. CeCe, elle, est ballotée entre la soeur de Sam et le foyer du directeur de l’orphelinat Daniel Hoover en Caroline du Nord. Elle se sent comme une SDF, «comme un chien des rues dont tout le monde se fiche».

Pour finir, les Allison laissent CeCe à Atlanta, chez Kate et Roger Thompson, de vieux amis des parents de Serene; ce devait être un séjour temporaire avant de l’envoyer dans un foyer pour filles perturbées. Kate est une compositrice et chanteuse chrétienne – elle a sorti un album sur l’adoption – qui s’est autrefois occupée de Serene et de ses sœurs alors que leurs parents étaient en mission.

Elle a quatorze enfants, dont huit qu’elle a adopté suite à des placements sociaux. Les préceptes éducatifs des Thompson sont différents de ceux des Allison, mais Kate se souvient s’être sentie d’abord désolée pour Serene, «âgée de trente ans à peine et essayant de gérer des adolescentes avec des problèmes terribles liés au fait d’avoir grandi en zone de guerre».

Un point de vue qui change quelques mois plus tard, lorsque Serene téléphone pour l’informer qu’elle et son mari renvoient le frère de Cece, Isaiah, âgé de 13 ans, au Liberia. Serene l’a surpris en train de la regarder alors qu’elle prenait sa douche.

Les Thompson supplient les Allison de changer d’avis et d’envoyer plutôt Isaiah en thérapie. Ils appellent également les services pour l’enfance, qui, selon Kate, avertissent les Allison qu’il pourrait s’avérer illégal de rapatrier Isaiah.

Ce qui n’empêche pas Sam et Serene de le renvoyer. «Ils m’ont dit: "Si on disait aux gens ce que tu as fait, tu serais jeté en prison", m’a raconté Isaiah plus tard. Mais je me sentais si mal que cela m’était bien égal.»

Quand Isaiah et son accompagnateur, une connaissance de Sam, arrivent à Monrovia, ils se cassent le nez sur un orphelinat fermé. A la place, l’homme le laisse avec un pasteur qui s’occupe d’enfants des rues. Isaiah supplie l’homme de ne pas l’abandonner. Il n’a sur lui qu’un sac à dos rempli de vêtements et 40 dollars – et sa carte verte arrivera à expiration dans six mois s’il reste au Liberia.

Trois semaines durant, il fouille les poubelles pour trouver de quoi manger, jusqu’à ce que sa grand-tante apprenne qu’il se trouve au Liberia et le ramène à River Cess, une localité perdue sur la côte où il ne comprend plus la langue Kru parlée par ses cousins.

Au moins, il se sent en sécurité, mais la nourriture est rare; il passe la plupart de ses journées à dormir pour échapper à la faim. Il contracte la malaria, comme un cousin âgé de 5 ans qui meurt, une nuit, allongé à côté de lui. «Pour m’empêcher de pleurer, me dit-il, je pensais que ce que j’avais fait était très mal, et que je n’avais que ce que je méritais.»

Au terme d’une quête frénétique, Kate et Roger Thompson finissent par retrouver la trace d’Isaiah et à le ramener à Atlanta. 

Peu avant, les Allison avaient envoyé un e-mail au garçon par le biais de Acres of Hope, pour l’assurer qu’ils lui avaient pardonné ainsi qu’aux Thompson «pour cette interférence… Souviens-toi des merveilleux moments que nous avons passés ensemble, souviens-toi que nous t’aimions toujours. Personne ne pourra jamais enlever la vérité de ce qui s’est passé.»

Quand il débarque à Atlanta, avec dix kilos de moins et un syndrome de stress post-traumatique, Isaiah a sur lui une copie du mail imprimé. Il ne l’a pas lu. En quatre années passées chez les Allison, il n’a pas appris à lire.

Au final, sept des dix adoptions des Campbell et des Allison connaîtront de sérieux problèmes. Pendant un temps, elles n’apparaissent plus sur le site des Campbell, poussant les lecteurs à cancaner sur les «enfants disparus» de la famille. 

Dans une vidéo de 2009, Serene assure que les adoptés manquants ont été envoyés à l’école. La biographie de sa mère est éditée pour dire qu’elle a adopté «des» enfants libériens.

En réponse à mes questions pour cet article, Sam Allison m’a envoyé un e-mail générique qui décrit les allégations des enfants comme autant de «mensonges et contre-vérités». 

Nancy Campbell concèdera que Serene «a en effet eu des problèmes avec ses enfants les plus âgés (qui étaient adultes) qui voulaient leur indépendance tout de suite… Elle les a accueillis comme s’ils étaient sortis de son ventre et cela a été terriblement douloureux pour elle qu’ils la rejettent.» Seule une de ses propres adoptions a échoué, déclarera Nancy Campbell.

Le clan Campbell-Allison n’était de loin pas le seul à se débattre avec les difficultés. Les forums consacrés au Liberia se mirent à déborder de récits d’adoptions ratées, la plupart impliquant des placements facilités par les médiateurs chrétiens recommandés par les Campbell. 

Certaines se terminèrent de manière tragique. En 2008, Kimberly Forder, une femme de Washington dont le fils adoptif de 8 ans était mort de pneumonie en 2002, plaida coupable pour homicide involontaire.

Le parquet imputa ce décès à des abus systématiques, indiquant dans les documents légaux qu’elle affamait le garçon – il mangeait de la nourriture pour chien – et le faisait dormir dans un lit pour bébé. 

L’une des punitions consistait à plonger sa tête dans un seau d’eau utilisé pour nettoyer les couches sales. C’est cette même famille que Nancy Campbell a guidé à l’aéroport de Dulles avec ses triplés libériens – des adoptions organisées par la WACSN après la mort du garçon.

En 2010, le tribunal d’instance a retiré la garde de quatre soeurs libériennes à une famille de Brethren Mennonite de Fairview, Oklahoma (WASCN a également des liens avec les mennonites, dont la plupart ne sont pas des évangéliques). 

Penny et Ardee Tyler avaient été reconnus coupables de mauvais traitements sur enfants pour avoir notamment ligoté l’une des enfants adoptives à une colonne de lit deux nuits durant et pour l’avoir laissé dehors dans le froid; leur fils adulte a été condamné pour viol (autre que par pénétration sexuelle).

L’année suivante, Kevin et Elizabeth Schatz, un couple de Californie qui éduquait ses enfants à la maison et avait adopté par le biais de Acres of Hope, admet avoir battu à mort l’une de ses trois filles libériennes, Lydia, 7 ans, pour avoir mal prononcé un mot. Dans leur maison se trouvait une copie de To Train Up a Child de Michael Pearl.

«Vous savez sûrement qu’ils n’ont pas tué leurs enfants avec les petites baguettes que nous recommandons, dit l’auteur en faisant référence à plusieurs incidents fatals. Ils les «enfermaient dehors, leur donnaient des bains froids, les privaient de nourriture et les battaient à plate couture. Il n’y a rien dans nos livres qui suggère quoi que ce soit d’approchant.»

Les histoires commencèrent aussi à s’accumuler à propos d’enfants renvoyés au Liberia. «Vous avez entendu parler du cas du Tennessee, où l’enfant a été renvoyé en Russie?» me demanda Edward Winant, l’ancien vice-consul en charge des adoptions à l’ambassade américaine de Monrovia lorsque je l’y rencontrais pour mon livre. «Nous avons eu au moins trois cas similaires.» Une fille, âgée de dix ans à peine, fut retrouvée errant dans l’aéroport avec 200 dollars en poche.

Je rencontrais également Bishop Emmanuel Jones, un évangéliste du Liberia qui dirige un foyer pour enfants des rues. Il a recueilli trois enfants adoptés, puis renvoyés, et dit connaître au moins cinq autres cas. La plupart sont des garçons qui ont montré des comportements sexuels, ou des filles «qui refusent d’être soumises», note-t-il. Par ailleurs, difficile de dire ce qui est advenu d’autres enfants libériens replacés (rehomed), parce que les adoptions interrompues (disrupted) sont difficiles à retracer et que, bien souvent, les enfants disparaissent tout simplement de la carte.

Pendant un temps, les forums sur le Liberia regorgèrent de parents adoptifs ou d’accueil recherchant de nouveaux foyers pour leurs enfants. Certaines familles appelèrent à ne pas juger les parents qui devaient faire face à des adoptions ratées, qui commençaient à ressembler furieusement à un élément de routine dans tout le processus. «Soyons une communauté de soutien pour TOUTES les adoptions, écrivit une internaute, dans tous les aspects de ce voyage.»

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CeCe avec son fils. © Kathryn Joyce

Aujourd’hui, CeCe vit avec son mari, Samuel, lui aussi un enfant adopté via Daniel Hoover, et Sammy, leur bambin, dans un complexe bas de gamme d’une banlieue de Charlotte, en Caroline du Nord. 

La sœur de Samuel, qui fut adoptée elle aussi, vit avec eux. Charlotte est un foyer d’appel pour les adoptés du Liberia; Samuel, un jeune homme de 23 ans calme et élancé, faisait partie d’un chœur itinérant adopté quasi en entier par des familles du coin – la chaleureuse histoire du «Hallelujah Chorus» fit même l’objet d’un article dans le magazine O d’Oprah Winfrey.

Lors de son mariage avec CeCe, en 2011, toutes les demoiselles d’honneur étaient passées par Daniel Hoover, et une grande partie des invités étaient des enfants dont l’adoption avait échoué. «La plupart d’entre nous, quand nous sommes venus en Amérique, avions en nous quelque chose que beaucoup de parents adoptifs n’ont pas compris, que nous ne serions jamais comme leurs propres enfants», dit CeCe.

La journée, Samuel travaille dans une usine de poulet Tyson; CeCe a commencé à y travailler de nuit lorsque le bébé a atteint sa première année. Elle essaie de mettre du beurre dans les épinards avec sa propre affaire de vente de bijoux. 

Elle a postulé pour entrer à l’école de cosmétologie mais n’avait ni les papiers d’adoption qui prouveraient sa citoyenneté, ni suffisamment de bulletins scolaires. Elle les avait bien réclamés aux Allison, mais pendant près de quatre ans ils refusèrent de répondre à ses appels.

Il s’avéra que les Allison avaient omis de compléter le processus d’adoption au niveau de l’Etat, mettant ainsi en danger le statut de résident légal de certains des enfants – comme Kula allait le découvrir lors de sa réadoption, en 2011, par Pam Epperly, une mère d’accueil de longue date du Tennessee. «Kula a fait plusieurs révélations qui ont interpellé tant la cour que le juge», m’informa le représentant d’un service à l’enfance du Tennessee.

Le représentant alerta le Département des services à l’enfance, qui ouvrit deux procédures sur les Allison; l’une fut refermée suite à l’absence d’allégations d’abus par les enfants restants. Plusieurs mois plus tard, avec l’autre procédure toujours en cours, les Allison quittèrent l’Etat. Dans l’impossibilité de garder leur trace, le département mit fin à son enquête.

Plus tard encore, il semble que les Allison sont retournés dans le Tennesse. A l’été 2012, espérant avoir des nouvelles de sa petite sœur, CeCe leur a envoyé un message par Facebook. 

Alfred avait déjà repris contact avec la famille, et quand CeCe a demandé à voir Cherish, elle a enfin obtenu une réponse de Sam et Serene. Ils lui demandaient si elle était «prête à aller de l’avant et à laisser le contrôle aux mains de Dieu».

En septembre dernier (2013, nda), pour la première fois depuis des années, CeCe est retournée chez les Allison. Cherish est presque une adolescente et Engedi, qui ne parlait pas encore quand CeCe avait quitté la maison, est maintenant une grande fille. 

Sam a pleuré, Serene a demandé pardon. Sur Facebook, CeCe a posté une image de Serene avec son bébé Sammy dans les bras («Le premier petit-enfant!») et très vite, elle a renoué des liens avec le clan Campbell tout entier. Quand elle est retournée les voir pour Thanksgiving, Alfred et Kula l’ont accompagnée.

Ce revirement ne surprend pas l’assistante sociale qui avait demandé au département d’ouvrir une enquête sur la famille. C’est comme le syndrome de la femme battue, me dit-elle. «Si, à un moment donné, les enfants ont établi une relation, ils vont vouloir retourner. Même si ça s’est mal terminé, cela reste une relation.»

En 2009, le Libéria a imposé un moratoire d’urgence sur les adoptions internationales, invoquant «des cas graves de mauvaise gestion». Une décision prise suite à un conflit autour du trafic d’enfants entre les autorités et Addy’s Hope, qui était alors une agence texane non agréée dont les clients, selon le gouvernement, n’avaient pas le droit de faire sortir des enfants du pays, ce que Addy’s Hope réfute.

Les représentants de l’agence avaient poussé un groupe de sept enfants dans un avion à l’insu de l’ONG britannique Save the Children et d’officiels libériens qui avaient tenté de les en empêcher. Cet incident mit un terme à un programme qui avait connu de grosses difficultés.

Lors de mon voyage, en 2011, j’ai rendu visite à l’ancien orphelinat de Addy’s Hope. Là, dans un bâtiment de béton vide, le pasteur Baryee Bonnor et sa femme continuaient de prendre soin de dix-neuf enfants laissés en plan par le moratoire sur l’adoption internationale décrété au Liberia. 

Les parents américains qui avaient eu l’intention de les adopter «avaient cessé tout soutien lors de l’arrêt des procédures», m’a-t-il expliqué. Rares étaient les parents libériens qui étaient revenus chercher leurs enfants.

Le Libéria s’apprête à rouvrir les adoptions internationales, vraisemblablement selon des critères plus stricts. Jusqu’à présent, seules trois agences ont obtenu l’aval des autorités pour y travailler. L’une d’elles est Acres of Hope, qui est désormais partenaire d’une agence agréée et a également commencé à organiser des adoptions en République démocratique du Congo.

Le tout premier soir de mon séjour à Monrovia, alors que je dînais au restaurant d’un hôtel prisé des expatriés et des employés au développement, le cadre d’une exploitation forestière, un chrétien du Liban, est venu à ma table. Quand je lui dis pourquoi j’étais là, il m’a demandé si je voulais adopter un enfant et a proposé de m’emmener le lendemain à l’intérieur des terres, où il m’aiderait à trouver un bébé à ramener à la maison.

Malgré mon refus, il a persisté à se montrer tout excité par l’idée et s’est mis à échafauder des plans. «Ils ont tous besoin d’être adoptés, me dit-il, alors que les larmes lui montaient aux yeux. Ce serait vu comme un miracle.»

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Albertine Bourget. L’article original, «Orphan Fever: The Evangelical Movement's Adoption Obsession», est paru dans le numéro daté de mai-juin 2013 de Mother Jones.