Cover 39 Cover 39
Sept mook est un trimestriel disponible sur notre boutique en ligne et dans toutes les bonnes librairies et les kiosques de francophonie. © Sept.ch SA

Non, nous n’avons pas oublié l’Afghanistan

Depuis août 2021, l’Afghanistan est de nouveau plongé dans les ténèbres. Celles des talibans qui interdisent toute expression, toute attitude qui ne soit pas oblitérée par le dogme fondamentaliste. Face à ce négationnisme d’une civilisation, le combat pour et par la mémoire est une manière de rebâtir cet ancien royaume au richissime patrimoine qui n’aspire qu’à la paix.

La mémoire contre l’oubli. La mémoire comme arme de résistance. Depuis août 2021, l’Afghanistan est à nouveau plongé dans les ténèbres. Celles des talibans qui interdisent toute expression, toute attitude qui ne soit pas oblitérée par le dogme fondamentaliste. Après avoir banni Norwuz, le Nouvel An persan, la plus grande fête du pays qui marque aussi la venue du printemps, les turbans noirs ont interdit aux filles de plus de douze ans de se rendre à l’école. Toute la mémoire afghane, qui est au cœur du monde, est en péril. Toute la transmission des savoirs aussi. «On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation», écrivait Jean-Jacques Rousseau. Désormais, la seule culture qui demeure dans ce pays est celle de l’obscurantisme.

Face à ce négationnisme d’une civilisation, face à la barbarie, des femmes et des hommes ont décidé de relever la tête. En exil ou à l’intérieur des frontières, fût-ce clandestinement, ils luttent et perpétuent cette mémoire que l’on a voulu anéantir, comme ont été assassinés lors de l’acte I du règne des miliciens les bouddhas de Bamiyan, vestiges emblématiques de l'histoire de l’humanité. «Lorsque le voyageur venu du sud aperçoit Kaboul, sa ceinture de peupliers, ses montagnes mauves où fume une fine couche de neige, et les cerfs-volants qui vibrent dans le ciel d’automne au-dessus du bazar, il se flatte d’être arrivé au bout du monde, écrivait Nicolas Bouvier. Il vient au contraire d’en atteindre le centre.» 

Le combat pour et par la mémoire est une manière de rebâtir cet ancien royaume au richissime patrimoine qui n’aspire qu’à la paix. Une culture exceptionnelle par sa diversité et son syncrétisme, au carrefour du bouddhisme et de la civilisation grecque, puis de l'islam sous influence de la Perse. Contre le chaos s’organise dès lors la société civile, malgré les dangers et les persécutions, afin de préserver ce qui peut l’être face à la liste interminable des oukases, et même l’interdiction de rire à haute voix pour les femmes. Un combat patient et un élan magnifique pour la mémoire d’hier et celle de demain. Avec un leitmotiv: sauver les pierres, la connaissance, la culture, c’est sauver l’être humain.

Dans ce numéro de Sept mook, des voix d’ici et de là-bas, artistes, intellectuels et écrivains afghans et français se mobilisent afin d’évoquer les moyens de préserver et perpétuer la mémoire afghane. Tous racontent leurs trésors d’Afghanistan au pays de Joseph Kessel, cette terre de poussière où s’est réinventée la rencontre entre l’Orient et l’Occident, célébrée déjà par Goethe dans Le divan. Non seulement la mémoire d’hier mais aussi celle d’aujourd’hui et celle à venir. Et cela s’appelle l’espérance.