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Partie d'une aquarelle et or sur papier représentant le fondateur de l’Empire moghol Zahir al-Din Muhammad dit «Babur» (Le tigre). © Musée d’art de Cleveland

La carte-mémoire de l'ancien ambassadeur de France à Kaboul

La diplomatie et la mémoire forment un couple glorieux ou honteux, parfois oublieux, souvent poussiéreux. Pourtant, en cette fin d’été 2005, alors que j’atterris à Kaboul, les mémoires – lues, entendues, imaginées, rêvées – m’attendent de pied ferme sur le tarmac.

Le parcours d’un diplomate n’est qu’une suite de hasards qui font, parfois, bien les choses. Ce 3 septembre 2005, la phrase-boussole de Nicolas Bouvier dans L’usage du monde me conduit dans la capitale afghane: «Lorsque le voyageur venu du sud aperçoit Kaboul, sa ceinture de peupliers, ses montagnes mauves où fume une couche de neige, et les cerfs-volants qui vibrent dans le ciel d’automne au-dessus du bazar, il se flatte d’être arrivé au bout du monde. Il en est au centre. C’est même un empereur qui l'affirme.» Babur (1483-1530), fondateur de la dynastie moghole, considérait en effet Kaboul comme «le centre du monde habité». Posant, enfin, le pied sur le sol afghan, je suis heureux, un peu tendu. Le vrombissement des avions de chasse partant en mission fait monter le taux d’adrénaline.

Kaboul est une ville difficile à décrire. Certains en retiennent les immeubles soviétiques du quartier de Microrayon, d’autres l’habitat sauvage et coloré qui grimpe sur le flanc des collines. La rivière Kaboul serpente en un filet pollué au milieu du bazar et il faut faire un effort pour l’imaginer se mêler à Attock, dans le Pendjab pakistanais, aux flots bleu clair de l’Indus dévalant de l’Himalaya. La beauté du jardin de Babur et de Bala hissar (le château d'en haut) datant du Ve siècle se méritent. Situées en zone rouge, les maisons d’habitation du bazar sont cachées des regards extérieurs par de hauts murs. Chicken street et Flower street ont de beaux restes, sauf que les hippies évanescents ont laissé la place à des humanitaires pressés. En centre-ville, les piétons déambulent avec précaution, les nombreux convois militaires, seigneurs de guerre et autres sociétés privées de sécurité s’octroyant un droit de passage sans ménagement. Pieds nus dans des chaussures en plastique par tous les temps, les gamins des rues nettoient, balayent, charrient, mendient, agitent des fumées d’encens bienfaitrices. Le déficit hydrique guette et la poussière s’introduit partout. Le ciel d’un bleu métallique est livré aux cerfs-volants et aux escadrilles de pigeons que l’on fait voler pour le plaisir. Un peu plus haut, le passage bruyant des hélicoptères rappelle certaines réalités. Plus en altitude, un ballon orwellien scrute les mouvements et les paroles de chacun, à défaut d’en «gagner les cœurs et les esprits» (concept appliqué par les Américains en 2009 en Afghanistan comme le principe de base d’une nouvelle culture opérationnelle destinée à gagner la population afghane à la cause de la coalition, ndlr). André Malraux, venu en 1930, trouvera Kaboul «moche». Joseph Kessel, lui, quand il arrive en 1956 pour le tournage de La passe du diable, est d’entrée émerveillé: «Un soleil de plein été à son zénith, le soleil de l’Asie centrale, brûlait la peau à travers nos vêtements légers. La lumière était une sorte de poudre étincelante. Tout autour, un cirque presque parfait de pics et de monts portait le ciel le plus léger, le plus pur, comme une immense conque dentelée», écrit-il dans Le jeu du roi.

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