La mort du Lion

Dimanche 9 septembre 2001, le commandant Massoud était assassiné à la frontière afghane. Je voyageais alors au Tadjikistan en compagnie d’une chirurgienne afghane et du bras droit du commandant dans le but de gagner les maquis et la vallée du Pandjchir. Deux jours plus tard, le monde entier assistait, stupéfait, aux attentats de New York.

Afghanistan Massoud Afghanistan Massoud
Né en 1953 dans le village de Bazarak au Pandjchir, Ahmed Chah fait des études à Kaboul, au Lycée français puis à l'Ecole polytechnique. Son père était officier dans l'armée, lui voulait devenir architecte. Après le renversement du roi Zaher en 1973, il prend le nom de «Massoud» comme nom de guerre et milite au sein du Mouvement de la jeunesse musulmane (qui deviendra le Jamiat-e-Islami dirigé par Burhanuddin Rabbani et le Hezb-e-Islami dont Gulbuddin Hekmatyar assurera la direction) contre l'influence communiste et soviétique dans son pays. Après le nouveau coup d'Etat de 1978, fomenté par des membres du Parti communiste afghan acquis à Moscou, Massoud prend les armes. En décembre 1979, les troupes soviétiques entrent en Afghanistan.© Keystone / Itar-Tass / Str

Le combat d’une vie. Et une vie pour un combat. J’attendais le commandant Massoud et Ahmed Chah Massoud attendait ses tueurs. En ce mois d’août 2001, le temps est au beau fixe au Tadjikistan, royaume des cimes et des hauts plateaux. J’ai quitté Paris une semaine plus tôt en compagnie d’une amie afghane, la chirurgienne Nilab Mobarez, pour rejoindre l’Afghanistan et le Pandjchir de Massoud. «Doktor Nilab» n’était pas revenue dans son pays depuis sa fuite d’Afghanistan à la fin des années 90, occupé par les talibans. Ce voyage s’avère compliqué, avec un visa pour la vallée rebelle que j’ai obtenu à Londres par le biais de plusieurs contacts. Il s’agit dans un premier temps de rallier Moscou, puis Tachkent et Samarcande. A partir de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, l’affaire se corse. Les deux pays se détestent, se disputent des droits d’accès à l’eau et la tension est palpable lorsque l’on quitte le dernier poste ouzbek. Le passage s’effectue à pied et à vélo, avec un intermédiaire qui pousse dans un no man’s land de grande fébrilité et sur plusieurs kilomètres une bicyclette chargée de nos sacs jusqu’aux abords de Pendjikent, ville rurale et paisible baignée par la rivière Zeravchan au bout des steppes. Après plusieurs jours d’un périple tourmenté dans une Asie centrale qui l’est tout autant, marque des empires disloqués, nous parvenons enfin à Douchanbé, la petite capitale du Tadjikistan. C’est une étape singulière de ce voyage renouvelé vers l’Afghanistan, un pays qui m’a toujours attiré depuis la lecture des Cavaliers de Kessel et de L’Homme qui voulut être roi de Kipling, sans compter les écrivains voyageurs britanniques, d’Eric Newby à Bruce Chatwin. Un royaume de l’insoumission qui a eu raison dans son histoire profonde de tout envahisseur, jusqu’aux Britanniques de l’Empire des Indes et aux Soviétiques.

Balayée par une brise d’été, la ville des confins est calme, posée dans son écrin de verdure entre les montagnes. Aussitôt arrivé, je reprends contact avec les fidèles de Massoud dont son bras droit, le docteur Abdullah Abdullah que je connais depuis des années, depuis mes premiers voyages dans les maquis avec les moudjahidines, les combattants du chef de file de la résistance contre les Soviétiques puis contre l’obscurantisme et les talibans. A Abdullah, je remets les épreuves de mon livre Le faucon afghan que je viens d’écrire à l’issue de mon séjour chez les talibans afin qu’il les transmette à Massoud, que je dois rencontrer dans les prochains jours. Après ces derniers mois de combat et de plaidoyers agités, après mon aventure compliquée dans le fief des mollahs de la pureté incendiaire et de la foi confisquée, la tête chamboulée par cette banalité du mal qui grandit, par ces barbares aux portes du monde, il me tarde de voir à nouveau le rebelle éternel au charisme naturel tout en simplicité, le front barré de rides, la barbe clairsemée, grand et solide, son béret traditionnel afghan aux rebords roulés et posé de travers, qui lui donne des airs d’un Che Guevara d’Orient. Cet homme au profil d’aigle incarne à mes yeux et depuis des années un islam tolérant et démocrate. Seigneur de la paix, militant des droits humains dans un Orient ravagé par le fanatisme, poète féru de vers français et persans perdu dans la guerre, le commandant Massoud n’aura pas le temps de lire mes pages. Des sicaires sont aux basques de celui que ses partisans surnomment l’Amer Saheb, le «chef seigneur». Et les autres assassins d’Al-Qaïda sont en train de fomenter les attentats de New York et de Washington.

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