Afghanistan talibans Afghanistan talibans
Centre de Kaboul, février 2006. Avec la fuite des talibans fin 2001, beaucoup de femmes afghanes ont bénéficié d'une relative liberté. Pour autant, la majorité d'entre elles portent toujours la burqa dans la rue, même à Kaboul, et doivent être accompagnées d'un homme de leur famille quand elles sortent en ville.  © Dimitri Beck

Autant en emportent les talibans

De septembre 2004 à décembre 2006, j’ai dirigé l’agence Aïna Photo, créée à Kaboul en 2001 par Reza Deghati, qui a formé la première génération de photojournalistes afghans. J’y suis retourné en 2019 pour retrouver ces apprentis reporters devenus professionnels. Depuis la reprise du pouvoir par les talibans en août 2021, je suis celles et ceux qui vivent désormais en exil et les rares restés sur place.

Eté 2001, Douchanbé, capitale du Tadjikistan. Avec un ami photographe, nous nous engageons sur la Pamir highway, référencée M41 sur les cartes routières, qui relie l’Afghanistan au Kirghizstan, en passant par le Tadjikistan, sur près de 1’400 kilomètres. Construite sous le régime de fer, de sueur et de terreur du camarade Staline et achevée en 1940, la deuxième «autoroute» la plus haute du monde est un axe vital pour toute la région. Les embûches qui la jalonnent sont aussi physiques qu’humaines. Pour les chauffeurs de camion de marchandises qui l’empruntent régulièrement, cette route est aussi périlleuse que celle du Salaire de la peur: pistes défoncées, raidillons en lacets, chutes de pierre, torrents en contrebas, plateaux désertiques entrecoupés de vallées à couper le souffle et de cols perchés à plus de 4’200 mètres d’altitude balayés par de redoutables tempêtes de neige où les températures glaçantes des hivers contrastent avec les chaleurs étouffantes de l’été. Pour les voyageurs, les multiples checkpoints, tenus par des types armés en uniforme – à affiliation incertaine – et aux mines patibulaires, sont autant de péages pour se faire racketter. C’est lors d’un arrêt le long du fleuve Piandj, qui marque la frontière tadjiko-afghane dans ce paysage aride et minéral, que j’ai fait ma première rencontre avec l’Afghanistan sous la forme de trois silhouettes sur l’autre rive: un homme, suivi d’un enfant et d’une femme en burqa bleue qui, tel un fantôme, a disparu derrière des rochers aussi vite qu’elle m’était apparue. Comme le ferait un gamin, j’ai ensuite soigneusement choisi un caillou parmi des dizaines et l’ai lancé en direction de la rive opposée, en me disant: «Si je l’atteins, je m’y rendrai prochainement.» Touché! Restait à savoir quand.

L’année suivante, il souffle comme un vent de liberté sur l’Afghanistan. Les Américains ont envahi le pays et chassé les talibans du pouvoir. L’envie est trop belle d’aller sur place et de réaliser la prophétie du jet de pierre. Jusque-là, j’avais parcouru des mois entiers les lointains confins des ex-républiques soviétiques d’Asie centrale et du Caucase. Rencontrer le photographe d’origine iranienne Reza Deghati, pour qui ces espaces sont sa zone de prédilection, était une évidence. Travailler avec lui, tout aussi naturel. C’est chose faite fin 2003. Pendant neuf mois, j’officie en tant que rédacteur en chef de son agence photo Webistan à Paris. Durant cette période, j’ai suivi de près le développement d’Aïna, l’organisation non gouvernementale qu’il a fondée fin décembre 2001 à Paris et à Kaboul avec sa femme, Rachel Deghati, et son frère Manoocher Deghati, photoreporter comme lui. Participer à la reconstruction de l’Afghanistan par l’éducation, la formation et l’information afin de développer des médias indépendants et l’expression culturelle, tel est le but des actions d’Aïna, miroir en persan. Plusieurs journaux en sont nés: l’hebdomadaire Kabul Weekly, le magazine pour enfants Parvaz (L’envol), celui pour les femmes Malalaï, le mensuel satirique Zanbel e-Gham. Une bibliothèque, un cinéma itinérant, des studios radio et vidéo, une école photo... Que de défis pour «panser les âmes blessées», comme le formulait Reza! Des dizaines de volontaires de toute nationalité, dont beaucoup de Français, feront tout pour que ce rêve se réalise. Situé face au ministère des Affaires étrangères sur Wazir Akbar Khan, au cœur de la capitale afghane, ce centre de médias est un véritable havre de paix, à l’écart du capharnaüm urbain et de ses embouteillages. Le patio de cette ancienne propriété d’un membre de la famille du roi Mohammad Zaher Shah, orné de rangées de roses qui explosent de vie et de couleur au printemps, respire la sérénité. Les rendez-vous et les réunions de travail se partagent autour d’un thé vert ou noir. Bref, un lieu où il fait bon vivre et travailler, à l’opposé des horreurs qui s’y seraient déroulées. En 1994, les talibans l’auraient en effet transformé en un centre de détention et d’interrogatoires, avec salle de torture incluse… Quel coup de force de reconvertir ce sinistre site en un espace dédié à la liberté de la presse! En octobre 2002, vingt étudiants, hommes et femmes, âgés de 13 à 40 ans, sont sélectionnés sur une liste de plus de quatre cents candidats! «La plupart de mes élèves n’avaient jamais touché un appareil photo, me raconte Manoocher alors que je m'apprête à prendre la relève. Ils ne parlaient pas anglais et ne savaient pas utiliser un ordinateur. Pendant un an et demi, on leur a donc donné des cours d’anglais, d’informatique, d’internet et de traitement d'images, et initié au journalisme…» Ils se sont entraînés sur le matériel rudimentaire qu’ils connaissaient et avaient déjà vu: les chambres photographiques rustiques en bois sur trépied avec lesquelles les portraitistes ambulants, les akasse fawri-zarouri, littéralement «photographe immédiat-urgent», réalisaient les clichés d’identité, derrière la préfecture. Apprendre les rudiments de la photo, c’est une chose, mais il faut aussi vivre avec son temps. De l’Afghan box camera, les élèves sont très vite passés au reflex analogique, puis numérique. Tout ça, grâce à des donations d’entreprises ou de grands reporters comme la photographe française Alexandra Boulat, et tant d’autres lors de collectes de matériels. J’ai même été tenté de croire à nouveau au Père Noël quand j'ai vu arriver certains dons! Mais honnêtement, il n’y en avait jamais trop. Le matériel souffre. Il est vite endommagé à cause de la poussière qui s’infiltre partout. Un enfer pour les appareils et les objectifs. Les emmailloter dans le foulard que tous les Afghans portent autour du cou ne suffit pas, et il n’y a pas de service après-vente à Kaboul. Les coupures d’électricité intempestives rendent fous les ordinateurs. Tout ça, compose nos casse-têtes quotidiens.

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