Un trou dans l’eau…

Albert Londres meurt la nuit du 15 au 16 mai 1932 dans l'incendie du Georges Philippar, au retour de Chine où il avait effectué une enquête qu’il qualifiait lui-même d’explosive. Que s’est-il passé cette nuit funeste, à la corne de l’Afrique?

Albert Londres Mort Albert Londres Mort
L'une des dernières photos d'Albert Londres, Chine, 1932. Selon toute vraisemblance, il est accompagné de son confrère Henry Champly du Temps, auteur de Chemin de Changhaï: la traite des Blanches en Asie.© Keystone / Roger Viollet/ Henri Martinie

Vichy, été 2009. Le Palais des Congrès a retrouvé ses couleurs de jadis. Une grande exposition y retrace la vie du natif le plus célèbre de la ville: Albert Londres. Le plus célèbre? Le plus oublié aussi, sans doute. Seuls les vieux Vichyssois se souviennent d’avoir croisé Florise, la fille du reporter, dans les rues ou sur les marches de l’opéra.
- Albert Londres, vous connaissez?
- Albert qui?
- Albert Londres, le journaliste. 
- Euh! Connais pas. Il travaille à La Montagne ou à la Semaine de l’Allier? Vous savez, moi, je lis pas les journaux…

Comment le «prince des reporters», ainsi que l’appelaient – de son vivant déjà – ses confrères et consœurs, rappelé chaque année à la mémoire collective lors de l’attribution du prix qui porte son nom, a-t-il pu être ainsi effacé du souvenir local? Sans doute, son mode de vie ne convenait-il pas aux âmes bien pensantes de la petite cité bourbonnaise… Quelques mois avant cette explosion de souvenirs au Palais des Congrès, une commerçante s’était prise à songer, rue Besse, sur le pas de sa boutique. En face, une maison délabrée, à l’abandon: celle de naissance du grand reporter. C’est un petit édifice néogothique, flanqué de deux tourelles, deux échauguettes en poivrière avec les meurtrières et tout l’attirail médiéval. Reconnaissable entre mille. Idéalement placée au cœur de la vieille ville, l’historique bâtisse voit passer tous les jours les petits trains de touristes et de curistes. Mais le toit prend l’eau, l’édifice menace ruine si personne ne réagit. Sur la façade, une petite plaque posée en 1952 par le maire de l’époque – en présence de la mère et de la fille du reporter, ainsi que des membres du prix Albert Londres, Joseph Kessel en tête – rappelle sobrement:

Dans cette maison 
naquit le 1er novembre 1884
Albert Londres
Poète et journaliste
disparu en mer le 16 mai 1932

Marie de Colombel, c’est son nom, songe sur le pas de sa boutique. Elle se dit que c’est dommage de laisser filer un tel patrimoine. Décidée à agir, elle commence à se renseigner sur le personnage, puis convainc une amie, Monique Fy, de créer une association pour sauver ce lieu historique. Autour d’elles se regroupent quelques personnes, rapidement passionnées. La première manifestation de cette petite structure – qui, après un changement de patronyme, se nomme aujourd’hui «Maison Albert Londres» – est une action d’éclat: cette magnifique exposition que je suis en train de parcourir. C’est pour réapprendre le personnage aux locaux qu’elles l’ont montée. Des pièces rares venues des Archives nationales ou prêtées par l’association du prix Albert Londres, héritière du journaliste, des grandes affiches des Messageries Maritimes prêtées par le musée de la Marine et les archives de la Chambre de commerce de Marseille, des objets d’époque: tout un environnement vient illustrer les panneaux présentant des extraits de ses reportages, des pans de sa vie, les cartes de ses voyages, l’ambiance de ses grandes traversées… Albert Londres, je viens pour ma part de le découvrir, quelques mois auparavant. J'ai passé l’hiver et le printemps à dévorer tous ses écrits. A la fin de ma visite, je me présente à Monique, qui renseigne les visiteurs. Elle appelle aussitôt la présidente:
- Marie! Tu te rends compte, quelqu’un qui a lu tout Albert Londres!

Elles n’en reviennent pas, ça existe donc. L’enfant du pays n’a donc pas complètement disparu de la mémoire locale. Il est vrai que j’habite Clermont-Ferrand et non Vichy. L’esprit y serait-il plus ouvert? Ou bien est-ce à ma petite personne que revient le mérite d’une curiosité inhabituelle? Avec mes nouvelles amies, si enthousiastes, la conversation décolle. Nous envisageons bientôt l’avenir. Elles me parlent de leur projet: créer une manifestation annuelle, permettant au public de découvrir le travail des grands reporters en exercice, sur un sujet d’actualité, mais ayant un lien avec une enquête menée jadis par le «père du grand reportage»: les «Rencontres Albert Londres». Les premières sont prévues au printemps 2010. Habitué aux travaux de recherche et aux conférences universitaires, je leur propose mes services: participer à la collecte documentaire pour alimenter une exposition illustrant le sujet de l’année, et présenter au public une conférence sur le reportage d’Albert mis en valeur. L’offre étant validée, je me mets au travail pour le premier thème choisi: l’Afrique noire. La conférence portera en 2010 sur le chemin de fer meurtrier, le «Congo-Océan», dont le chantier court entre Pointe-Noire et Brazzaville. Visité en 1928 par le reporter, dénoncé dans Terre d’ébène, ce chantier – avec ses dix-huit mille morts en quasi travail forcé – avait en son temps défrayé la chronique, entraîné un débat à l’Assemblée nationale et valu à l’impertinent fouineur des menaces de mort. En 2011, ce sont les Balkans qui sont à l’honneur: entre 1915 et 1917, le jeune correspondant de guerre y avait suivi le conflit durant près de deux ans et demi, de l’opération ratée des Dardanelles à la reconquête de la Serbie à partir de Salonique… Cependant, depuis le début, je savais que l’année 2012 verrait les «Rencontres» investir la Chine, où Albert s’était rendu à deux reprises: 1922 et 1932. Le thème était d’autant plus passionnant que le sujet de son dernier reportage et les conditions de sa mort restaient énigmatiques. Sa série d’articles, rédigée au fil des jours dans la cabine du Georges Philippar, avait disparu avec lui lors du naufrage du paquebot, et depuis, tous se demandaient ce qu’il était allé chercher là-bas. Tout en préparant les sujets du moment, Afrique ou Balkans, dès 2010 je commence donc à mettre de côté ce que je peux trouver sur ces deux voyages extrême-orientaux. Au bout d’un certain temps, à force de lire ce que les uns et les autres ont pu écrire sur le sujet, une évidence illumine mes sombres études: dès les années 30, les journalistes, les auteurs, les sites internet se sont recopiés les uns les autres, sans chercher à vérifier l’origine des sources. En historien de formation, je décide donc de repartir à zéro, en commençant par faire le tri dans les témoignages. Si certains, assurément fiables, peuvent être retenus, ceux qui occupent généralement le devant de la scène se positionnent souvent parmi les plus farfelus. Une enquête s’impose.

Lectures et visites en bibliothèques ou dans les fonds d’archives se succèdent, avec une question en ligne de fond: que s’est-il passé en mai 1932, à la corne de l’Afrique? D’abord, une succession de faits établis. Le Georges Philippar, fleuron des Messageries Maritimes basé à Marseille, portant le nom du directeur en titre de la compagnie et assurant la «ligne impériale» – entre Marseille et Yokohama –, effectue le trajet retour de son premier voyage. Le soir de la Pentecôte, c’est fête à bord. Le paquebot pavoise. A minuit, tout le monde est sur le pont pour voir le faisceau du phare qui marque le cap Guardafui balayer les flots, sous un magnifique clair de lune. Après cinq jours de traversée de l’océan Indien, c’est l’entrée du golfe d’Aden. La mer est calme, la vie est belle. Demain, ce sera l’escale de Djibouti et, dans une semaine, tout le monde débarquera à Marseille. Malgré un petit vent qui vient en adoucir quelque peu les effets, la chaleur n’a cessé de monter au cours des derniers jours. Dans cette ambiance torride, nombre de passagers choisissent de s’installer sur le pont, dans un transat, et de passer la nuit sous la caresse du vent. Les autres regagnent leurs couchettes… A deux heures du matin, madame Valentin, une passagère du pont D, c’est-à-dire de première classe, donne l’alarme. Confrontée dans sa cabine à ce qui ressemble à un court-circuit, elle avertit les officiers de quart, qui viennent le constater. On ne s’affole pas pour un court-circuit, on n’évacue pas un paquebot pour ça. Mais là, le temps de chercher d’où vient ce dysfonctionnement, tout se précipite. Aux crépitements électriques succèdent les flammes, c’est un début d’incendie. Très rapidement, celui-ci gagne plusieurs emplacements stratégiques du navire, y compris la passerelle. Comme si le feu avait attaqué en plusieurs points simultanément. Le commandant, alerté, ordonne les manœuvres qui s’imposent: le bateau est mis en panne et placé vent de côté, pour préserver les ponts avant et arrière, encore intacts, et y rassembler les passagers, sortis hagards, en pyjama, de leur premier sommeil. Grâce à ces dispositions, et bien que seuls six des vingt canots de sauvetage aient pu être mis à l’eau (ceux du centre du navire – en flammes – étant inutilisables), le bilan ne fera apparaître qu’une cinquantaine de victimes sur 767 personnes à bord. Dans la nuit arrivent à proximité du paquebot en feu, d’abord le pétrolier soviétique Sovietskaïa Neft, puis les cargos anglais Contractor et Mashud. Toutes leurs chaloupes sont mises à contribution. Les transbordements vont s’intensifier jusqu’au petit matin. Les sauveteurs se montrent exemplaires: alors qu’un pétrolier n’est doté en eau, en nourriture, en couvertures, que pour une trentaine de matelots, les marins russes vont se priver et donner tout ce qu’ils possèdent – jusqu’à leurs vêtements personnels – pour venir en aide aux plus de quatre cents naufragés qu’ils accueillent à leur bord, entassés sans abri à même le pont. Ceux-ci, toutes classes désormais mélangées, vont devoir passer une grosse journée de navigation dans des conditions difficiles, sous un soleil d’enfer. Les rescapés seront débarqués à Djibouti ou Aden, pour être ensuite rapatriés sur les paquebots français revenant d’Extrême-Orient ou de Madagascar. Trois jours durant, le Georges Philippar va brûler sans discontinuer, dérivant doucement vers les côtes yéménites, près desquelles il finira par couler, avec ses morts et ses secrets.

Dès le lendemain, le drame fait la une des quotidiens, partout dans le monde. Passée la première stupeur, les questions commencent à fuser: que s’est-il passé? Comment un bâtiment neuf peut-il s’embraser si rapidement? L’équipage a-t-il réagi assez rapidement et efficacement? Combien de morts? Qui est responsable de cette catastrophe? C’est là la litanie habituelle des questions que l’on se pose tous en pareille circonstance. Et, comme toujours, les journaux tentent d’y répondre aussitôt, avant même d’avoir les premiers éléments permettant d’étayer un début d’analyse tant soit peu crédible. Aussi, c’est sans surprise que, durant les journées qui suivent le naufrage et au fur et à mesure du recueil des témoignages, des bouquets d’hypothèses sans grand fondement commencent à fleurir dans la presse. Car, bien sûr, elles font vendre. Joseph Conrad avait déjà pointé, en lisant les quotidiens traitant de la catastrophe du Titanic, un «air inconvenant de fête», donnant «la pénible impression d’exploiter fiévreusement une sorte de divine aubaine». Cette fois, par-delà le sensationnel, deux attitudes s’affichent dans la presse: les journaux d’information restent – au début en tout cas – plutôt discrets et se contentent de consulter et de tenter de comprendre techniquement les raisons de l’incendie; mais la presse politique, elle, va rapidement franchir le pas et tenter de désigner un coupable. La peur rend imaginatif, même si l’inspiration reste dans les limites du déjà entendu. Ce sont les rotatives de droite qui dégainent les premières: ce ne peut être qu’un attentat, sûrement un coup des communistes! Celles des journaux de gauche vont répondre en soupçonnant des trafics d’armes ou de drogue, organisés par des bandes mafieuses commanditées par les partis d’extrême droite. Le public est submergé d’attaques et de contre-attaques. Les rédactions qui, modestement, cherchent encore à donner la parole aux électriciens de marine ou autres personnes compétentes sur le sujet n’ont plus leur place dans le débat. Les experts sont mis au service d’une cause. A quelques mois de la prise de pouvoir de Hitler, le monde tend à se radicaliser en deux pôles ennemis: communistes et fascistes. De là viennent toutes les hypothèses de complot, jusqu’aux plus invraisemblables.

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Treize jours après l'incendie du «Titanic français» qui a coûté la vie à Albert Londres, le 29 mai 1932, Le Petit Journal illustré fait sa une dominicale sur ce tragique événement.  © Archives nationales

Les sirènes du complot charment encore aujourd’hui des auteurs par ailleurs bien documentés. Ils continuent de s’appuyer sur les sensations des rescapés, confrontés lors de l’incendie à sa propagation très rapide, qui leur semblait anormale sur un bateau neuf. Certains membres de l’équipage partageaient ce ressenti. Ainsi, lors de la chasse aux témoignages, André Rouquette, chef mécanicien, n’hésite pas à affirmer dans le Matin du 7 juin 1932: «Voyez-vous, ce n’est qu’une impression dont vous ne me ferez pas démordre: on a voulu nous "droguer", autrement dit, on nous a mis le feu.» Alors, qui a coulé le Georges Philippar? Force est de constater qu’aujourd’hui comme en 1932 les avis des complotistes sont toujours partagés en deux camps: d’un côté les tenants de la piste mafieuse, de l’autre ceux de la piste communiste. Ceux qui lorgnent du côté des mafieux se laissent le plus souvent griser par la personnalité d’un Chinois de Shanghai, Du Yuesheng dit «les Grandes oreilles», chef d’une organisation que l’on désignait sous le vocable de «Bande verte» – mais rien à voir avec l’écologie. Il avait passé en 1925 avec les autorités en charge de la concession française de Shanghai un accord que l’on a qualifié de «pacte du diable». En échange d’une impunité sur ses trafics d’opium et autres, la Bande verte assurait la paix sociale au sein de la concession face à une population chinoise – nombreuse et souvent rebelle, que la police française avait du mal à maîtriser. Seulement, voilà: cela faisait mauvais effet, la France était montrée du doigt. En février 1932, le doigt finit par faire céder Paris, qui rappelle ses représentants à Shanghai. Le consul, le chef de l’administration municipale, ceux de la sécurité et de la police sont remplacés. La nouvelle équipe dénonce aussitôt l’accord de 1925. La Bande verte est dissoute. Du Yuesheng est mis à l’écart, non sans être récompensé d’un siège au conseil municipal. Dirigeant de nombreuses associations de bienfaisance et toujours propriétaire d’une bijouterie rue Consolat (au cœur de la concession française), il ne fera plus jamais parler de lui. Pour quelle raison s’en serait-il pris à Albert Londres? Un reportage sur ces compromissions désormais révolues n’aurait été qu’un pétard mouillé, publié après la bataille. Et un papier portant sur des trafics de drogue entre la Chine et Marseille ne tient pas non plus: le journaliste n’a enquêté ni en Indochine (totalement compromise dans le marché de l’opium) ni au terminal phocéen (où son reportage date de 1926); or il disait avoir fini la rédaction de sa série d’articles au moment de l’incendie, une bonne semaine avant le débarquement sur les quais de la Joliette. Et, depuis, des travaux universitaires ont montré qu’il n’existait pas, dans ces années-là, de réseau organisé entre la Chine et la France. Ce commerce était nourri par les marins, ramenant avec eux quelques doses pour arrondir leurs fins de mois. Ce n’est que dans la seconde moitié des années 1930 qu’un véritable trafic de drogue va commencer à s’organiser.

Ceux qui penchent pour la responsabilité communiste, quant à eux, exhibent depuis 1932 beaucoup d'on-dit, et surtout les dires d’un maître d’hôtel du Georges Philippar, recueillis par le Journal des débats le 5 juin 1932: «Pendant la traversée, M. Londres avait, en effet, beaucoup travaillé à une enquête appelée à avoir un gros retentissement. Il avait confié à quelques amis et à moi-même que ce travail serait le couronnement de sa carrière et que, s’il voulait exploiter les documents formidables qu’il rapportait sur l’immixtion du bolchevisme dans les affaires sino-japonaises, il pourrait en obtenir plusieurs millions.» Ce serait même peut-être pour le faire taire qu’on aurait envoyé le paquebot par le fond. Croyez-vous qu’Albert Londres, qui n’avait voulu communiquer le sujet de son enquête à personne – pas même à son rédacteur en chef, préférant changer d’employeur plutôt que mettre son scoop en péril – se serait laissé aller à en livrer le secret au premier maître d’hôtel venu, au risque d’une fuite médiatique, quelques semaines avant la parution du «gros coup» qui devait relancer sa carrière? Ce n’est pas crédible. Soit le maître d’hôtel a fantasmé, racontant n’importe quoi pour se rendre intéressant face aux journalistes, soit Albert Londres, harcelé de questions, l’a envoyé sur une fausse piste pour s’en débarrasser. Dans un cas comme dans l’autre, cela devrait suffire à écarter cette thèse. De plus, enquêter sur le communisme à l’époque en Chine n’était pas facile. Peter Fleming, envoyé par le Times pour couvrir le sujet, a mis plus de trois mois en 1933 pour simplement parvenir à contourner la zone tenue à l’époque par le jeune Mao et les siens, dans les provinces situées au nord de Canton. Jamais il n’a pu y pénétrer. On imagine mal Albert Londres, après ce qu’il avait écrit en 1920 sur les Soviets, se voir ouvrir la porte, si ce n’est pour se faire éliminer immédiatement. Rappelons au passage que le journaliste n’a disposé que d’un mois pour son enquête, et que celle-ci l’a mené plutôt du côté de Pékin et de la Mandchourie. Bref, la piste communiste ne tient pas plus que la mafieuse, concernant la mort du reporter en tout cas. Arrivé à ce stade, je me dis qu’il est temps de reprendre l’enquête à la base.

Si, en 1932, dans l’angoisse du temps les gens étaient réduits à supputer sur des rumeurs, au XXIe siècle nous disposons d’archives accessibles. La période est bien documentée. Si trafics il y avait eu, cela se saurait. Concernant le Georges Philippar, certes il transportait dans ses cales à l’aller une automitrailleuse à livrer au Japon, mais cela justifiait-il de le couler sur le chemin du retour? Certes il y avait à bord du personnel indochinois, mais cela justifiait-il de l’accuser d’avoir saboté son outil de travail pour la cause communiste? Après tout, pourquoi pas? Encore faut-il s’appuyer sur des bases avérées. Ce n’est pas le cas, en cette fin de printemps 1932. Le Figaro, par exemple, se pose vainement des questions élaborées sur un total vide de preuves: la présence du pétrolier soviétique aurait-elle permis aux Russes de récupérer des agents ayant mis le feu au paquebot? Côté chinois, où est passée une étudiante portée disparue? Et de conclure: «Quand on sait la propagande que les bolcheviques font en Chine, il est en effet permis de se demander si, parmi les nombreux matelots qui étaient à bord, ne se trouvaient pas des agents de la IIIe Internationale.» Bref, faute de preuve, on élabore des scénarios imaginaires, histoire de se faire peur, et sans doute de rassembler ses propres troupes. S’il y avait une implication communiste dans le naufrage du navire, nous en trouverions trace aujourd’hui sur les étagères des fonds d’archives. Il n’en est rien.

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Le Georges Philippar, construit en 1930 par les chantiers navals de Saint-Nazaire pour la compagnie des Messageries Maritimes, prit feu dans la nuit du 15 au 16 mai 1932 puis sombra au large d'Aden lors du retour de son voyage inaugural au Japon et en Chine, entraînant la mort de 49 personnes dont le journaliste Albert Londres (carte postale de 1931). © DR

Alors, que récolte-t-on dans les journaux de l’époque, que l’on peut qualifier de sérieux? D’abord les critiques sur la composition de la commission d’enquête chargée de faire le jour sur les causes de l’incendie. Certains n’hésitent pas à faire remarquer que, si l’on y trouve des personnalités certainement respectables, comme le directeur de la radiodiffusion au ministère des Postes & Télégraphes, ou le colonel commandant les sapeurs-pompiers de Paris, leur compétence est loin d’être avérée dans le cas précis d’un incendie de navire. Aucun électricien de marine, par exemple, ne figure dans la liste. Un électricien de marine, justement, fait remarquer dans L’Ouest-Eclair du 28 mai 1932 qu’en plusieurs décennies de métier il n’a jamais vu un bateau brûler à cause d’un court-circuit, alors que nombre de montages électriques de l’époque permettent une condensation en milieu marin, susceptible de favoriser les départs de feu. Dans une installation ainsi affaiblie, dont les isolants sont détrempés par condensation, «il ne tarde pas à se produire des dérivations et des coupures qui, sans faire fondre les plombs de sécurité, font tout chauffer, finissent par mettre le feu aux isolants et autres matières combustibles voisines: cet accident pouvant aussi bien se produire dans cinquante endroits différents par temps humide; si l’on s’en aperçoit et qu’on veuille éteindre ces foyers en inondant d’eau, alors tout flambe sans qu’il y ait eu cependant un court-circuit au sens exact du mot.» Se pose aussi la question de la section des câbles. Un câblage sous-dimensionné par rapport à la puissance demandée chauffe, jusqu’à prendre feu. Or le Georges Philippar, faisant partie d’une série de trois navires, mais beaucoup plus luxueux que ses sisterships, est suréquipé en appareils électriques. De nombreux dysfonctionnements ont été relevés, au point que le bureau Véritas avait demandé le remplacement de tout le tableau général de commande. C’est pourtant sur l’hypothèse d’un départ par court-circuit que toutes les discussions vont être menées, tous les tests effectués. Les chantiers navals de Saint-Nazaire, où le bateau a été construit, vont se faire fort de montrer qu’en effet un court-circuit ne peut pas enflammer à lui seul un navire, surtout aussi rapidement. Les enquêteurs se contenteront de ces démonstrations et les chantiers, qui travaillent désormais sur le Normandie, ne seront pas inquiétés. Ils ont pourtant trois paquebots qui ont brûlé en cinq ans: le Paris en 1929, le Georges Philippar en 1932 et l’Atlantique en 1933 (dans des circonstances ressemblant à celles du Philippar, mais avec le seul personnel à bord – personne, du coup, n’a parlé d’attentat). Ils souffraient tous de défauts de conception, corrigés sur le Normandie: de grands espaces de prestige dans le château central, risquant de devenir de formidables cheminées en cas d’incendie; une décoration somptueuse mais hautement inflammable (rideaux, boiseries, peintures); une installation électrique omniprésente mais encore mal maîtrisée à cette époque. Circonstance aggravante pour le Georges Philippar: la propagation du feu a été accélérée par l’ouverture des hublots pour lutter contre la chaleur (il n’y avait pas de climatisation en ce temps-là), les appels d’air transformant les coursives en cheminées horizontales. Pour sa part, Louis Roubaud, Marseillais d’origine, grand reporter au Petit Parisien, explique clairement les raisons pour lesquelles l’enquête ne pouvait aboutir: les assurances. Si les chantiers navals sont tenus responsables, ils vont à leur perte (nous sommes dans les effets de la crise de 1929), alors qu’ils sont lancés dans le chantier du Normandie, prestige de la France. Si l’hypothèse d’un attentat est retenue, c’est l’Etat qui est responsable; la seule idée que cela puisse être possible va pousser les membres de la commission à éviter au maximum le sujet, alimentant de ce fait les rumeurs en ce sens. Reste le manque de réactivité supposé de la compagnie, et quelques erreurs bénignes de gestion du départ de feu, qui permet l’indemnisation du sinistre. C’est donc cette dernière piste qui va être privilégiée, et les assurances vont payer (seule la compagnie est assurée, en ce temps-là rien n’est prévu pour les passagers).

Patrick Boulanger, directeur des archives de la Chambre de commerce de Marseille Provence et du musée de la Marine, organisateur en 2006 d’une exposition sur Albert Londres dans ses locaux de la Canebière, m’ouvre grand sa porte. Il m’a préparé tous les documents qu’il a en sa possession sur le Georges Philippar, et sur le dernier embarquement d’Albert Londres, en décembre 1931. Deux de ces documents vont s’avérer majeurs pour ma petite enquête. Un témoignage d’abord, parmi les nombreux réunis dans les dossiers: celui de Maurice Sadorge, officier mécanicien. Durant son rapatriement sur Marseille, il va rédiger, «à chaud», une première déclaration, alors que les sensations sont encore vives et les premiers souvenirs encore présents à l’esprit, sans reconstruction intellectuelle postérieure à l’événement. Cette déclaration va amener les premiers enquêteurs à lui faire préciser les conditions dans lesquelles il aurait vainement tenté de venir en aide à un passager qui pourrait être Albert Londres. Je découvre leur dialogue, dactylographié sur le papier jauni:
- Voulez-vous, demande l’enquêteur, me préciser en détail ce que vous avez fait pour secourir ce passager?
- Tout d'abord j'avais essayé de le saisir en passant complètement à l'extérieur de la rambarde et en me tenant d'une main à la rambarde et lui tendant la main droite. Ce passager avait le buste sorti du hublot, la face tournée vers moi et me tendait la main. La distance m'a empêché de la saisir. J'ai eu l'idée de dérouler la manche à incendie qui était située sur la cloison de l'office du fumoir à l'entrée de la coursive transversale. J'allongeai cette manche par-dessus la rambarde en bois et avec l'intention de faire un tour mort sur cette rambarde pour retenir la manche et le passager qui devait s'y cramponner. Je n'en ai pas eu le temps. J'ai senti la manche me filer des mains et me penchant par-dessus la rambarde, j'ai vu le passager tomber à la mer.
- Pouvez-vous me décrire la physionomie du passager?
- Il avait un collier de barbe brune. J'affirme que sa barbe était de teinte foncée, il était vêtu d'un vêtement de couleur sombre. Il m'est impossible de préciser quelle était la nature de son vêtement.
- Avez-vous échangé des paroles avec lui?
- J'ai entendu, avant de l'apercevoir, les mots «au secours, je brûle». Lorsque je me suis penché, il continuait de crier les mêmes mots et quand je n'ai pu le saisir à la main, je lui ai dit: «Attends.» La voix indiquait une personne affolée. C'était plutôt un hurlement qu'un cri d'appel. Je n'ai remarqué aucun accent étranger dans ses paroles.
- Avez-vous pu le suivre des yeux après qu'il est tombé à la mer?
- Non, empêché par la nuit et par la fumée. J'ajoute que, lorsque je l'ai vu tomber, ses vêtements n'étaient pas en feu. Par contre, je ne puis préciser si ses vêtements portaient des traces de brûlure.
- Connaissiez-vous Albert Londres avant l'accident?
- Je l'avais vu plusieurs fois sur le pont.
- Avez-vous pu reconnaître Albert Londres en la personne qui appelait au secours?
- J'ai cru, mais je ne peux pas préciser.
- Avez-vous autre chose à préciser au sujet de ce passager?
- J'ai lancé immédiatement à la mer une bouée ronde de sauvetage, je n'ai entendu aucun autre cri de ce passager.

A l’arrivée à Marseille, il répond aussi aux interrogations de Louis Roubaud. Celui-ci tient à comprendre ce qui est arrivé à son ami, et pousse les rescapés dans leurs retranchements, pointant la moindre contradiction. Sadorge lui confie:
- Comme beaucoup de gens à bord du Philippar, je connaissais la physionomie du grand journaliste qui voyageait avec nous, mais je ne lui avais jamais parlé. J'ignorais même le son de sa voix.

Il rappelle ensuite les conditions de sa tentative de sauvetage:
- Je me penchai et j'aperçus un homme vêtu de noir. Je puis dire qu'il portait la barbe. Ce signalement me permet de penser que ce pouvait être soit M. Londres soit M. Van Pelt.

Que pense-t-il de ce qui s’est alors passé?
- Je suppose donc que M. Londres ou M. Van Pelt – ils sont tous deux portés disparus – a dû vouloir saisir la manche, croyant qu'elle était déjà amarrée, sans se douter que j'étais en train d'en dérouler les premiers mètres. Il se serait donc cramponné à elle, serait sorti du hublot, entraîné par le poids de son buste.

Sadorge ajoute qu'il n'a pu rester plus longtemps sur le pont, déjà brûlé aux mains et risquant l’asphyxie. Il conclut:
- En somme, c'est presque un accident. Logiquement, les occupants des cabines de tribord pouvaient être sauvés. Tous les morts sont à bâbord.

Alors, Londres ou Van Pelt? Plusieurs indices laissent penser que le passager tombé à l’eau était bien le reporter. Non seulement l’épouse de Van Pelt pense avoir aperçu son mari sur le pont à un moment (il serait donc mort au cours du sauvetage), mais le sauveteur note aussi une absence d’accent étranger dans les appels au secours. Un dernier élément va venir renforcer cette hypothèse. Lors d’une analyse méticuleuse des photos du paquebot en feu, prises au petit matin du 16 mai 1932, j’aperçois clairement un tuyau pendant exactement à l’aplomb des hublots des trois cabines qu’occupait le journaliste (alors que la cabine de Van Pelt est décalée). Dès lors, il est possible de considérer comme le plus probable que c’est bien Albert Londres que Maurice Sadorge a tenté de sauver et que, ne sachant pas nager, le reporter est mort noyé.

La deuxième information capitale va m’être offerte par le dossier de l’Athos IIC’est le bateau qu’a pris Albert Londres à l’aller. Si vous voulez voir un embarquement identique au sien – son dernier départ de France –, n’hésitez pas à voir ou revoir Justin de Marseille, le film de Maurice Tourneur, sorti en 1935. A la fin de l’histoire des passagers montent à bord par l’échelle de coupée, exactement comme l’avait fait Albert trois ans auparavant. Si un panneau indique «Athos III» (qui n’a jamais existé), c’est bien l’Athos II que l’on voit à l’écran – le nom peint à la proue en témoigne… Parcourant le rapport du commissaire de bord, je découvre qu’Alfred Lang-Willar est lui aussi du voyage. Le nom ne vous dit rien, sans doute. C’est pourtant l’un des personnages-clés de cette histoire. C’est en revenant de Buenos Aires qu’Albert Londres a rencontré ce milliardaire de la banque Dreyfus et qu’ils ont sympathisé. Selon André Martinet, jeune lieutenant de marine alors en poste en Chine (et futur mari de Florise, la fille d’Albert), le journaliste et le couple Lang-Willar se sont rencontrés quotidiennement durant le mois passé à Shanghai à suivre l’attaque japonaise. Et voilà qu’ils voyagent encore ensemble au retour, sur le Georges Philippar. Cela commence à faire beaucoup de coïncidences… Or il s’avère – deux sources au moins en témoignent – qu’Alfred, à Shanghai pour affaires, a envoyé en septembre 1931 une lettre à sa famille disant que les Japonais étaient devenus fous, ayant un plan pour envahir la Chine et s’attaquer ensuite au reste du monde. Un article est paru à ce sujet le 24 septembre dans un hebdomadaire chinois de langue anglaise, The China Critic. La semaine suivante, l’attaque de la Mandchourie par les troupes japonaises semble donner raison à cette mise en garde. Alfred rentre précipitamment en France. Il en repart – avec Albert Londres – en décembre. Tout laisse à penser que c’est lui qui est à l’origine de la volonté du reporter de retourner en Chine, alors que Le Petit Parisien vient juste de publier un grand reportage de Marc Chadourne sur le pays, et ne voit pas l’intérêt de refaire une série d’articles sur le sujet. Revenus ensemble, sur le Georges Philippar, de leur voyage chinois, Albert Londres et les Lang-Willar vont trouver la mort à quelques jours d’intervalle, l’un en mer, les autres dans les airs. En effet, Alfred et Suzanne, rescapés du naufrage, se tueront quelques jours plus tard en avion. De quoi alimenter un peu plus l’idée que cette succession de catastrophes serait due à une main mal intentionnée. Qu’en est-il?

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Le long de la rivière Huangpu, le Bund, quartier emblématique de Shanghai, dans les années 30.  © US Signal Corps

C’est d’Italie qu’une réponse va me parvenir. De Veroli exactement, la petite commune au-dessus de laquelle s’est écrasé le 25 mai 1932, à environ deux mille mètres d’altitude, l’avion piloté par Marcel Goulette et Lucien Moreau qui ramenait en France le couple de milliardaires. Neuf jours après l’incendie du Georges Philippar. Dans ces montagnes, proches de Monte Cassino, cet accident d’avion a travaillé les esprits des décennies durant, à tel point que dans les années 1990 un enfant du pays, Stefano Magliocchetti, a consacré quelques années de sa vie à enquêter sur cette affaire, sur place et en France, dans les archives et sur le terrain. Je l’ai rencontré, et visité le lieu du crash, à quelques heures de marche du village. Que n’a-t-on dit et écrit sur ce sujet à l’époque (et repris depuis sans vérifier les sources): qu’un Chinois aurait pris la place de Goulette pour crasher l’appareil; que les Italiens auraient installé des mitrailleuses dans les montagnes pour descendre l’avion, etc. Et tout ça à cause du reportage d’Albert Londres, bien sûr. Comment un Chinois aurait-il pu prendre les commandes sans que personne ne s’en rende compte, dans la base militaire d’où l’appareil a décollé? Pourquoi les Italiens auraient-ils voulu descendre Goulette, considéré comme un héros depuis qu’il a battu dans la course au Cap leur ennemi anglais? Ce qui est avéré, ici aussi, ce sont d’abord les déclarations qu’Alfred Lang-Willar a pu faire avant sa mort: dans un long câblogramme envoyé du bateau sauveteur, il décrit la nuit de l’incendie telle qu’ils l’ont vécue, son épouse et lui; puis il donne quelques indications sur l’enquête chinoise de son ami reporter. Concernant la nuit du drame, sortis un moment, en tenue «relax» pour voir ce qui se passait, après avoir entendu les premières alarmes, ils n’ont pu regagner leur cabine et se sont réfugiés sur le pont avant, d’où ils ont fini par plonger, avant d’être recueillis une demi-heure plus tard par une chaloupe du Sovietskaïa Neft. Concernant Albert Londres, ils avaient pris ensemble le repas du soir et avaient ensuite joué aux cartes, avant d’aller se coucher. Mais c’est surtout par ces déclarations du banquier que nous savons, par exemple, qu’Albert avait interrogé Tchang Kaï-chek et que le journaliste venait à peu près d’achever la rédaction de son reportage. Lang-Willar est persuadé que c’est en voulant ramasser ses précieux papiers que son ami a perdu le temps qui lui a manqué pour fuir sa cabine. Encerclé par les flammes, il n’avait d’autre issue que le hublot. Mais, ne sachant pas nager, il ne pouvait plonger. Ici, nous rejoignons la déclaration de Sadorge… Lang-Willar ayant laissé entendre qu’il connaissait le contenu de l’enquête de Londres et qu’il avait des révélations à faire au gouvernement à son arrivée à Paris, un journal plus malin que les autres, Excelsior, imagine d’affréter un avion pour avoir le scoop, sans attendre l’arrivée des naufragés à Marseille. Une logistique est mise en place dans l’urgence. Débarqués à Alexandrie, emmenés par un bateau italien à Brindisi, les Lang-Willar embarquent dans le Farman de Goulette. Celui-ci, pour éviter un risque inutile, ne choisit pas le chemin le plus court, survolant la Méditerranée. Il préfère longer la côte, de façon à pouvoir se poser en cas d’avarie. N’oublions pas que nous sommes en 1932, et que l’aviation de l’époque n’est pas celle d’aujourd’hui. Malgré ces précautions; ils n’arriveront jamais à destination.

Il s’avère que dans une autre vie, en marge d’autres occupations, j’ai été quinze ans durant enquêteur-accident de terrain pour le compte du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) français, l’organisme chargé par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI, une antenne technique de l’ONU en charge de la sécurité aérienne mondiale), compétent pour tout ce qui touche à l’aéronautique civile française. Je le suis encore au moment où je me penche sur cette affaire. Avec notre pilote-inspecteur régional, nous examinons attentivement la météo du jour, le plan de vol prévu, le cheminement réellement effectué. Il s’avère que la météo est orageuse, et que la trajectoire suivie s’écarte très sensiblement de celle prévue, en partant vers l’intérieur des terres. La raison en est simple: il y a ce jour-là ce que l’on nomme des «entrées maritimes», c’est-à-dire des formations nuageuses venant de la mer et gagnant l’intérieur des terres, poussées par des vents assez forts. Dans ces conditions, l’altitude la plus dangereuse, celle où se forment les nuages, parfois quasi instantanément, est aussi celle des sommets du relief. Or les statistiques mondiales de l’OACI le montrent: un pilote qui vole à vue dans les nuages, s’il tente la moindre manœuvre, a moins d’une minute d’espérance de vie, victime instantanée d’une «désorientation spatiale». Il part dans tous les sens, sans s’en rendre compte. J’ai eu à enquêter moi-même sur un accident de ce genre, en Auvergne. Dans ces conditions, il est fortement recommandé de ne pas décoller, même si à ce moment précis la visibilité semble bonne et le voyage «jouable». Et le BEA de mettre en garde ce qu’il nomme «l’objectif destination», à savoir une raison (un rendez-vous par exemple) qui pousse le pilote à prendre tout de même le risque, avec une chance sur deux qu’il puisse passer, pour arriver dans les temps à l’objectif qu’il s’est fixé. C’est exactement ce qui motive Goulette ce jour-là, l’embarquement des Lang-Willar étant conditionné à la nécessité d’arriver en Provence avant les passagers maritimes – pour le scoop. Le BEA rappelle aussi que c’est par météo dégradée que le risque d’accident rendu possible par le stress d’un «objectif destination» est de loin le plus élevé. En 1932, non seulement les prévisions météorologiques étaient moins précises qu’aujourd’hui, mais on volait à vue. Goulette et Moreau sont, en plus, à l’étranger, en terrain inconnu. Pour quelle raison ont-ils tapé la montagne, comme le montre une visite sur le terrain? Les gens de Véroli, à l’époque, parlent de tempête pour ce jour-là et d’un ciel très nuageux. Comment un pilote peut-il tenter de se repérer dans une telle situation? Pour estimer sa position, il utilise ce que l’on nomme un «triangle des vitesses» qui lui permet de se situer avec une assez grande précision latéralement; mais longitudinalement, si le vent contraire est plus fort qu’il ne l’estime, il se croit plus loin qu’il n’est réellement. Est-ce le scénario de ce jour-là? Goulette pensait-il en avoir fini avec les montagnes et pouvoir descendre pour passer sous les nuages, à l’approche de Rome? Impossible bien sûr d’en avoir la certitude, mais tout montre que c’est un enchaînement de ce genre qui l'a envoyé au tapis. A ce point de mon enquête, une chose est sûre: le résultat dépasse largement la construction d’une simple conférence. Ce sera donc un ouvrage, Albert Londres, terminus Gardafui. Dernière enquête, dernier voyage, qui sortira au printemps 2012.

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Les aviateurs français Marcel François Goulette et André Salel, 1932. A la demande du grand quotidien parisien Excelsior, Marcel Goulette ramenait à Paris depuis Brindisi le couple Alfred et Suzanne Lang-Willar qui venaient d'échapper au naufrage du navire Georges Philippar dans lequel leur ami, le célèbre journaliste et écrivain Albert Londres avait trouvé la mort. © Archives nationales

Récapitulons. Nous avons un reporter parti en Chine pour y mener une enquête dont nous ne connaissons pas le sujet. Il meurt sur le chemin du retour, lors d’une catastrophe maritime. Le Georges Philippar a pris feu au retour de son premier voyage dans des conditions qui semblent étranges aux passagers, aux membres d’équipages et à la presse de l’époque. Et les seuls témoins à connaître le sujet du reportage d’Albert Londres meurent eux aussi sur le chemin du retour, quelques jours plus tard, dans un accident d’avion. Avouons qu’il y a dans cette succession de faits quelque chose de troublant. Pourtant, une enquête méticuleuse permet de pointer des dysfonctionnements qui s’expliquent très bien, des prises de risques inconsidérées, bref des éléments pouvant apporter des réponses très plausibles à cette succession de malheurs. Alors, qui a tué Albert Londres? Sans doute, d’abord, les dirigeants des chantiers navals de Saint-Nazaire. C’est précisément ce que les témoins de l’époque se refusent à envisager. Ils préfèrent y voir la main d’un mafieux chinois ou celle d’une cellule communiste plutôt que d’avoir à constater, amèrement, que pour des raisons budgétaires, des patrons et des ingénieurs français ont joué avec la vie des passagers pour produire du luxe à l’économie. Ensuite, concernant ses amis, la gourmandise d’un quotidien et la hâte d’un pilote renommé, consciencieux mais endetté (Goulette avait détruit un avion précédemment, et venait de s’en racheter un qu’il lui fallait rentabiliser) ont mené à la mort les protagonistes d’un vol précipité, à une époque où la sécurité aérienne était loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Enfin, Albert Londres lui-même qui, bien que prenant régulièrement le bateau pour ses grands voyages, s’était toujours refusé d’apprendre à nager. Il en est mort, là où des familles entières – y compris la grand-mère et le bébé – s’en sont sorties indemnes. Mais il est mort comme il l’avait annoncé: en faisant «un trou dans l’eau».

Si les conditions de la mort d’Albert Londres commencent à s’éclairer, une question demeure: que diable allait-il faire en Chine, lorsqu’il embarqua l’après-midi du 18 décembre 1931 sur l’Athos II, au môle de la Pinède – attache marseillaise des paquebots des Messageries Maritimes – en direction de Shanghai, à trente-cinq jours de mer? D’aucuns, comme on l’a vu, se sont persuadés qu’il était parti enquêter sur un trafic de drogue, et l’avait payé de sa vie. L’opium avait été en effet l’une des vedettes du début du printemps, avec le rappel des dirigeants de la concession française de Shanghai compromis dans le «pacte du diable». Et une série de morts suspectes à Shanghai semblait étayer les hypothèses de complot. La rumeur, l’opinion ont fait le reste. Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui encore, affirment qu’Albert Londres, qui annonçait un reportage «explosif», a été supprimé pour avoir mis son nez dans ce trafic douteux. Les plus hardis estiment même que c’est pour le supprimer que le paquebot a été incendié. Florise, la fille d’Albert, a elle-même activement participé à diffuser cette légende. Face au vide que représentait la disparition de son père adulé, son héros qui depuis deux décennies se promenait avec désinvolture dans les endroits les plus dangereux de la planète, elle n’a eu de cesse de se raccrocher à l’explication qui donnait le plus de sens au destin: son père ramenait de Chine un reportage si explosif qu’il avait fallu couler un bateau pour le faire taire… Les archives révèlent une piste moins pittoresque, mais nettement plus puissante. Tous les indices avérés montrent qu’il enquêtait sur une affaire beaucoup plus considérable: la paix mondiale, mise en péril par l’expansionnisme japonais; ou plutôt le mauvais chemin dans lequel se fourvoyait la diplomatie française, tout en ronds de jambe à la Société des Nations, sur laquelle commençaient à s’asseoir sans vergogne des régimes totalitaires et militaires en pleine croissance en Europe et dans le monde. Alerté par un ami – Lang-Willar – en septembre 1931, au moment même où l’armée nipponne envahit la Mandchourie, le reporter émet aussitôt le désir de se rendre sur place. Le temps perdu à se recaser au Journal, après le refus du Petit Parisien, ne lui permet de débarquer à Shanghai que dans la deuxième quinzaine de janvier, précisément au moment où les Japonais attaquent la ville. Redevenu correspondant de guerre par la force des événements, Albert Londres va suivre le conflit plus d’un mois durant, jusqu’au 5 mars 1932. Il le fait avec une grande maîtrise, rencontrant les Etats-majors japonais aussi bien que chinois, se glissant sur le terrain des opérations, y compris dans les rues potentiellement hostiles de Nantao, la ville chinoise, où les Occidentaux sont perçus comme étant à l’origine de tous les malheurs locaux. Puis il disparaît pour un mois, mener l’enquête qui avait motivé son voyage.

Albert Londres est sans doute l’un des journalistes les plus qualifiés, les mieux préparés pour estimer dès le début le potentiel de danger de ces opérations militaro-diplomatiques, que la plupart des observateurs n’absorbent qu’au jour le jour, sans vue d’ensemble. Léon Blum, journaliste lui-même, ne s’y trompe pas, recommandant à ses lecteurs de lire les articles de notre reporter pour se renseigner sérieusement sur le conflit sino-japonais. Ce qui permet à Londres d’être plus lucide que la plupart de ses confrères, c’est le savoir et les contacts accumulés lors de son voyage de 1922, au Japon et en Chine. A l’automne 1921, il a trente-sept ans, et déjà une solide expérience accumulée en Europe et dans les Balkans durant la Grande Guerre, puis au Proche-Orient et dans la toute jeune Russie que l’on nomme encore bolchevique. Mais, vers le sud-est, il n’a pas dépassé Djeddah, en mer Rouge. Et voilà qu’il se lance dans une aventure au long cours, jusqu’au bout de la ligne. Japon, Chine, Indochine, Inde: il consacre huit mois de sa vie aux orients lointains. Ce sera son plus long voyage. Le motif? Paul Claudel vient d’être nommé ambassadeur de France à Tokyo. Entre poètes, l’attrait n’est-il pas irrésistible? Albert Londres fait tout le voyage aller avec Madame Claudel, qui rejoint son mari. Un ami, reporter comme lui, l’accompagne jusqu’en Indochine: André Tudesq, qui suit, quant à lui, le voyage asiatique du maréchal Joffre. Les deux amis vont tourner entre Chine, Japon et Indochine, se suivant à quelques semaines, au gré de leurs investigations respectives. Tudesq écrira un livre sur son expérience japonaise (Les six beautés sous les arbres, chroniques du Japon moderne, Paris, Grasset, 1923), et c’est la raison pour laquelle Londres se consacrera, en librairie, exclusivement à la Chine. On ne piétine pas les plates-bandes d’un ami. Tous deux se promettent alors de repartir ensemble, mais Tudesq refera seul, début 1924, le voyage de Saigon, pour y mourir d’une maladie contractée deux ans auparavant, quelque part du côté d’Angkor. Pour sa part, en décembre 1921, Londres arrive à Tokyo, «l’étrange capitale», premier but de son voyage. Dans cette ville «née d’un typhon et d’un tremblement de terre», sans centre ni vraies limites, tout le dépayse; jusqu’à la coquetterie horticole généralisée: «Les Japonais, écrit-il admiratif, font des jardins comme Beethoven des sonates.» Avec son costume trois-pièces-cravate et son chapeau, il se croit sur une autre planète. Le pays du Soleil-Levant lui apparaît aussi singulier que les Etats et empires de la Lune à Cyrano. Et s’il commence son reportage, très professionnellement, par une interview du Premier ministre, suivie d’un compte-rendu de la visite de Joffre, il tente ensuite, surtout, de prendre le pouls de ce pays si étrange, de comprendre la façon de voir et de penser de ces gens qui, sortis de nulle part, ont techniquement rejoint l’Occident en quelques décennies, tout en conservant des coutumes follement exotiques aux yeux d’un Européen, même dégrossi à la sauce balkano-ottomane. Dans ce pays du bout du monde, il découvre à quel point Nippons et Occidentaux se méconnaissent mutuellement. Et il constate avec humour, mais non sans appréhension, la somme de malentendus qui en découle, surtout depuis que la crise économique – contrecoup de la surchauffe des temps de guerre – s’est invitée dans les négociations. Alors que la Grande-Bretagne prend ses distances avec l’archipel, celui-ci se trouve en concurrence directe avec les Etats-Unis pour l’exploitation des ressources chinoises. Car le vieil empire mandchou ayant, à l’opposé du Japon, raté la révolution industrielle, la Chine a éclaté sous les coups de boutoir des puissances européennes, et se trouve désormais dans un chaos politique, militaire et social où seul le business et la prédation se voient un avenir à peu près cohérent. Cependant, Japon et Etats-Unis lorgnent la même part de gâteau, ce qui ne favorise pas les bonnes relations.

Sur le moment, lors de ce premier voyage extrême-oriental, en ce début d’année 1922, Londres est tout à la découverte de ces cultures aussi étranges que différentes, aussi opposées que possible malgré le fonds commun: la japonaise, si ordonnée; et la chinoise, si chaotique. S’il lui a fallu un peu de temps pour commencer à investir la culture japonaise, ses rites, ses usages, il reconnaît en arrivant en Chine qu’il ne comprend plus rien. Oubliés, Marco Polo et Kubilaï Khan. Cet immense pays, aussi légendaire qu’ancien, n’est plus que le royaume de la plus totale anarchie. Avançant de surprise en surprise, le journaliste ne fait pas immédiatement le lien politique avec ce Japon qu’il vient de quitter. Trois ans plus tard, il n’en est plus de même. Installé à Marseille pour écrire La Chine en folie, il rédige un avant-propos déroulant, sous la forme d’une semi-fiction, le métier de reporter au long cours. Se mettant en scène à travers un reporter imaginaire du nom d’Aigues-Mortes (un pseudonyme qu’il a utilisé en 1920 pour publier une série d’articles dans Le Petit Marseillais), il fait semblant de chercher une destination, au hasard. En réalité, il reconstruit un motif qui n’était pas le sien en 1922, mais qui s’impose peu à peu à lui, assis sur une inquiétude quant à la paix: «La Chine? La Chine et son anarchie? La Chine, enjeu de la partie de canons qui se prépare entre le Japon et l’Amérique? Va pour la Chine!» (Albert Londres, Œuvres complètes). Ainsi, si à l’automne 1921 c’était sans véritables arrière-pensées que notre apprenti globe-trotter s’était embarqué pour les confins asiatiques, en 1925 ce n’est plus le hasard qui dicte sa remarque. Il est désormais convaincu que la rivalité qui ne cesse de croître finira par éclater sur le sol chinois. D’où son insistance à réinvestir le terrain à l’automne 1931, lorsque les Japonais envahissent la Mandchourie. Ne serait-ce pas le début du conflit redouté? L’attaque de Shanghai semble le montrer. Pourtant, l’échec des troupes nippones, tenues en respect par les snipers de Chapeï et l’armée de Tchang Kaï-chek, va ralentir le processus, et les Occidentaux estimeront – à tort – la situation stabilisée. Pour être honnête, il convient de souligner que Londres n’est pas le seul à avoir perçu le danger japonais. D’autres l’ont aussi écrit. Par exemple, à l’automne 1931, un officier français, le capitaine Sauzey, se précipite au Japon dès l’invasion de la Mandchourie. Pour gagner du temps, en ces âges où les lignes aériennes n’existaient pas encore, il traverse l’Atlantique en bateau, puis les Etats-Unis en train, avant d’embarquer sur la côte Ouest, à destination de Yokohama. A Hawaï, il hérite à sa table d’un Japonais expulsé pour espionnage. Au fil des repas, ils discutent. Le Japonais ne s’inquiète pas de son refoulement. D’autres continuent le travail, assure-t-il. Un soir, il finit par se lâcher: «Un jour, dit-il, les Américains verront une flotte arriver…» Et il raconte l’attaque de Pearl Harbor, avec dix ans d’avance sur l’événement. Patiemment, les Japonais commençaient à préparer leur coup. Arrivé à Tokyo, Sauzey constate avec inquiétude que le peuple est tout entier entraîné dans une propagande belliciste qui envahit jusqu’au théâtre Nô. Hélas pour lui et pour son livre (La guerre en fourrures, notes de campagne, Paris, Les éditions de France), publié en 1933, il n’a pas de véritable audience, et ses observations passent inaperçues dans une France hypnotisée par l’Allemagne et l’arrivée de Hitler au pouvoir.

Albert Londres aurait-il eu plus d’écho? Ne nous leurrons pas. Un reportage, même «explosif», ne renverse pas à lui seul la vapeur d’un train institutionnel lancé à pleine vitesse depuis plus de dix ans. Mais, au vu de l’impact des reportages précédents – en particulier Au bagne et Terre d’ébène –, le journaliste pouvait espérer au minimum, en lançant son pavé dans la mare politico-médiatique, un débat à l’Assemblée nationale; et peut-être, selon l’instabilité parlementaire du moment, une chute du gouvernement. Puis le trou se serait refermé, jusqu’à la crise suivante. Car ce qu’Albert Londres mettait très certainement en cause, ce n’était rien de moins que la politique aveuglément pacifiste menée par Aristide Briand depuis une bonne décennie. Briand, c’était la bête noire de Londres. Lorsqu’il avait été président du Conseil et ministre des Affaires étrangères pendant la guerre, entre octobre 1915 et mars 1917, il avait serré la censure au point que Le Petit Journal avait envoyé en janvier 1917 un télégramme à son correspondant à Salonique: «Que devenez-vous? Plus de nouvelles de vous depuis un mois. Sommes inquiets.» Or, durant cette période, Londres avait fourni quatorze dépêches, toutes censurées: «Pas une n’avait été remise», écrit-il le 24 mars 1917 à ses parents. Dans cette lettre, le journaliste se plaint d’avoir eu quarante-trois articles supprimés ainsi en quelques mois, sans compter les textes plus ou moins caviardés. Aussi jubile-t-il à la chute de son tortionnaire: «Briand est par terre. C’est un soulagement inouï pour tous ceux qui ont connu sa politique malhonnête dans les Balkans. Je puis dire que quelques confrères et moi ne sommes pas pour rien dans ce balayage.» Albert Londres, qui avait constaté dès novembre 1918 que les Allemands n’estimaient pas avoir perdu la guerre et pensaient déjà à se refaire, ne croit pas dans les pirouettes diplomatiques de la Société des Nations, ni surtout dans l’homme qui, avec le secrétaire d’Etat américain Franck Kellog, avait mis en 1928 «la guerre hors la loi». Il n’est donc pas inconcevable de penser que l’enquête chinoise de 1932 se voulait un réquisitoire à charge contre «l’apôtre de la paix». Certes, au printemps 1932, le brûlot que ramenait d’Asie notre reporter ne pouvait plus toucher son vieil ennemi, mort en mars. Mais la politique de Briand n’était pas déboulonnée pour autant en France, dans les instances gouvernementales et politiques. C’est toute la politique du Quai d’Orsay qui était en jeu. Dans les années incertaines qui allaient suivre, le pays allait d’ailleurs se diviser sur les alliances et la fermeté à tenir vis-à-vis de l’Allemagne et du Japon; et ce, jusqu’au retour triomphal de Daladier après les accords de Munich, prélude à la catastrophe finale. Le reportage d’Albert Londres aurait-il aidé à dessiller les yeux de ses compatriotes? Nul ne sait. Mais il aurait suscité un débat, c’est certain.

Une partie de ce texte est tiré, avec l’aimable autorisation des Editions du Michka, de l’ouvrage: Albert Londres et l’Extrême-Orient. Chine, Japon et paix mondiale (1922-1932), 2016. Cet ouvrage reprend, de façon inédite, tous les textes d’Albert Londres relatifs à la Chine et au Japon, dans leur forme et leur contexte initial. Ils montrent le journaliste au métier, et non en écrivain reconstruisant un livre de voyage, comme l’est devenu La Chine en folie. Ce livre sur les écrits extrême-orientaux du reporter est disponible auprès de l’association Maison Albert Londres, 1 rue Besse, 03200 Vichy, France.