Ali Mohamed l'agent triple (1/8)

© Jef Caïazzo

Pendant quatorze ans, la taupe d’Al-Qaïda s’est jouée des services secrets, de l’armée et de la justice américaines. Une enquête inédite de Fabrizio Calvi qui montre comment l’architecte des attentats du 11 septembre a profité de la guerre CIA-FBI pour paver la route du terrorisme islamiste.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, dans une prison de haute sécurité quelque part aux Etats-Unis, deux hommes interrogent un condamné. Le premier, Jack Cloonan, est un agent du FBI, le deuxième, Pete Blaber, un officier de la Delta Force, l’élite des forces spéciales américaines. Il est en uniforme, son pays est en guerre. En face d’eux, un grand gaillard de près de 1m90 vêtu du survêtement orange des détenus. Considéré comme dangereux, des fers et des chaînes entravent ses poignets et ses pieds. Il s’appelle Ali Mohamed et détient certains des secrets les plus terribles d’Al-Qaïda, organisation qu’il a servie fidèlement pendant plus de dix ans. Pionnier de la route du 11 septembre, c’est pourtant un illustre inconnu. Bien que ses traits trahissent une origine égyptienne, il s’exprime en anglais sans accent. Le visage ouvert, rieur, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. L’armée égyptienne, l’armée américaine, la CIA, le FBI l’ont fait avant de s’en mordre les doigts… jusqu’au sang. Depuis son arrestation en septembre 1998, il est placé à l’isolement le plus absolu, sans accès à la télévision, ni à la radio ni aux journaux. Personne ne peut lui adresser la parole. Une manière comme une autre de le préparer à la confrontation avec l’agent du FBI qui le connaît le mieux.
– Dites-moi, à votre avis, demande Jack Cloonan, comment ont-ils fait pour détourner les avions et les précipiter contre les tours jumelles?

Ali Mohamed n’a rien perdu de sa superbe. Le regard illuminé, il raconte le détournement des avions comme s’il l’avait vécu. Il explique de quelles armes les pirates de l’air se sont servis, comment ils les ont introduites dans les appareils, quelles places stratégiques ils ont occupées, se répartissant entre la première classe (accès facile au cockpit) et la classe économique (contrôle des passagers et de l’équipage). Jack Cloonan a l’impression de vivre le détournement de l’intérieur. Il sait qu’Ali Mohamed n’a pas pu connaître la date et le déroulé exact de l’opération, il est depuis longtemps en prison. Mais il sait aussi qu’Ali Mohamed parle en connaissance de cause: c’est lui qui a mis au point la procédure d’attaque et le modus operandi des pirates de l’air. Il est l’Aventurier avec un grand A de la terreur islamiste. Tour à tour lieutenant-colonel dans l’armée égyptienne, agent infiltré de la CIA, sergent chez les bérets verts, informateur du FBI, mais aussi garde du corps d’Oussama ben Laden, instructeur militaire des principaux responsables d’Al-Qaïda et architecte des attentats les plus terribles de la fin du XXe siècle. Ses victimes, mortes ou blessées, se comptent par milliers. L’itinéraire d’Ali Mohamed plonge aux racines du djihad. De l’Egypte, avec l’assassinat du «dernier des pharaons» Anouar el-Sadate, aux ruines d’un Beyrouth en proie à la plus sanglante des guerres civiles, avant de rebondir dans une paisible banlieue de la côte ouest des Etats-Unis, de repartir dans les unités d’élite de l’armée américaine et de foncer vers les sanglants horizons de l’Afghanistan, du Soudan, de la Somalie et du Kenya. Niché au cœur du dispositif militaire ennemi, Ali Mohamed a été pendant plus d’une décennie l’arme secrète d’Al-Qaïda à l’intérieur de la forteresse américaine. Il a étroitement travaillé avec tous les membres du commandement de l’organisation (choura), en a entraîné certains au maniement des armes, à la fabrication d’explosifs et aux techniques de la clandestinité. Grâce à lui, ben Laden et ses hommes en savent beaucoup sur les méthodes de contre-insurrection employées par l’armée et les Services de renseignement américains. Sur ses conseils, ils ont adapté les cellules clandestines de leur organisation au mode d’action de leur ennemi. Il a formé et éduqué des milliers de guerriers de l’ombre et a même combattu avec certains. Djihadiste au Caire, il est l’un des rares sunnites à avoir fréquenté le Hezbollah chiite au Liban. On l’a vu aux côtés des moudjahidines en Afghanistan, des combattants de la guerre sainte au Soudan ou des milices en Somalie, avec pour seul Dieu Allah et pour seuls maîtres Oussama ben Laden et son ombre portée, Ayman al-Zawahiri. Les dizaines de militaires et officiers du renseignement américain qui l’ont côtoyé ne se sont jamais posé la question de son appartenance. Au mieux, ils pensaient l’avoir retourné. Au pis, ils le croyaient serviteur de deux maîtres. Quelle erreur! S’il a fait mine de trahir, c’était pour mieux servir Al-Qaïda. Un agent triple: John Le Carré apprécierait. La CIA et le FBI, moins.

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