Ali Mohamed Terrorisme Ali Mohamed Terrorisme
© Jef Caïazzo

Echec et mat (8/8)

L'étau se resserre autour d'Ali Mohamed. Malgré son implication évidente, l'architecte de la terreur islamiste sera LE grand absent du rapport final sur les attentats du 11 septembre 2001. Trop embarrassant pour les Américains qui ont mis quatorze ans à débusquer la taupe.

A l’automne 1997, une nouvelle offensive contre Al-Qaïda est lancée par Patrick Fitzgerald qui vient d’être nommé procureur fédéral du district sud de New York. Chargé des problèmes de Sécurité nationale, il dirige, de facto, l’unité I-49 de la Joint Terrorism Task Force (JTTF, groupe de travail conjoint sur le terrorisme international et domestique) de New York. Sans s’être concerté avec Alec Station («Unité ben Laden» créée en 1996 et dissoute en 2005, dirigée par la CIA, mais commune à la CIA et au FBI, destinée à suivre les déplacements et les agissements d'Oussama ben Laden), Fitzgerald cible l’agent trouble Ali Mohamed. Il ne sait trop que faire de lui. Il pourrait signer un mandat d’arrêt, mais les charges contre l’informateur du FBI sont encore minces. Avec un bon avocat, celui-ci pourrait se retrouver libre en un rien de temps. Le procureur fédéral prend une autre décision: il l’invite à dîner. A la fin du mois d’octobre 1997, Patrick Fitzgerald et l’agent du FBI Jack Cloonan, affecté depuis un an à Alec Station, prennent place dans le salon d’un restaurant de Sacramento. C’est un homme tendu qui s’assoit à leur table. «Nous voulions l’amener à coopérer avec nous, m’explique Cloonan. Nous savions qu’il était proche d’Al-Qaïda et espérions l’amener à infiltrer l’organisation pour notre compte.» La taupe affirme ne pas avoir faim et repousse poliment le menu qui lui est tendu. Commence un pas de trois entre le procureur et l’agent du FBI, d’une part, et Ali Mohamed, d’autre part. Chacune des parties tente de deviner le jeu de l’adversaire. Plus le temps passe, plus l’ancien militaire gagne en assurance. Sent-il ses interlocuteurs à sa portée? Pense-t-il pouvoir les manipuler? Il s’échauffe alors qu'ils attaquent leur repas.
— Connaissez-vous ben Laden? demande Fitzgerald.
— Bien sûr. J’ai assuré son déménagement de l’Afghanistan au Soudan via le Pakistan en 1992.

S’enhardissant, Ali Mohamed reconnaît également s’être rendu en Somalie à sa demande en 1992, au moment de l’opération Restore hope, pour encadrer les hommes d’Al-Qaïda présents aux côtés des milices du général Aïdid. Il ajoute que les hommes de ben Laden sont impliqués dans la mort des dix-huit soldats américains lors de la destruction des deux hélicoptères Black Hawk. La conversation tourne ensuite autour du numéro un d’Al-Qaïda.
— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois? demande Patrick Fitzgerald.
— En 1994. J’ai assuré sa sécurité quand un commando mené par un Libyen a tenté de l’assassiner à Khartoum. J’ai même entraîné ses gardes du corps avec la bénédiction du moukhabarat soudanais (Services de sécurité et de renseignement).

Le procureur et l’agent fédéral sont de plus en plus mal à l’aise. Afin de bien leur faire comprendre l’état d’esprit des combattants du djihad, l'islamiste leur explique qu’ils n’ont pas besoin d’une fatwa pour faire la guerre aux Etats-Unis tant il est évident qu’ils sont l’ennemi principal.
— Chaque musulman a le devoir de faire la guerre aux Etats-Unis. C’est une obligation, pas un choix.

Les représentants de la loi savent que ce n’est pas la première fois qu’il tient de tels propos. C’était l’un des leitmotivs de ses cours au Centre d’études stratégiques de Fort Bragg, le creuset idéologique des forces spéciales. Les deux hommes ont même vu l’ancien instructeur des bérets verts développer cette argumentation en visionnant une cassette VHS provenant de Fort Bragg, saisie à New York chez el Sayyid Nosair, l’assassin du rabbin Kahane. Sur sa lancée, l’ancien garde du corps de ben Laden affirme qu’Al-Qaïda a implanté aux Etats-Unis des «centaines» d’agents dormants. Au-dessus de tout soupçon, ces hommes qui ne fréquentent pas les lieux de prière et n’affichent pas de signes ostentatoires de leur foi sont résolus à passer à l’action dès que leur chef le leur ordonnera. Et de conclure: «Je peux disparaître quand je veux et vous ne me trouverez jamais. Je dispose d’un réseau dans tout le pays.» A la sortie du restaurant, une fois leur interlocuteur disparu dans la nuit, le procureur confie à l’agent du FBI: «C’est l’homme le plus dangereux que j’aie jamais rencontré.» De retour à l’hôtel, Jack Cloonan, un agent pourtant chevronné, ne peut s’empêcher d’avoir peur. Il dégaine son arme avant d’entrer dans sa chambre et sursaute en voyant la silhouette d’un homme qui braque un pistolet dans sa direction. Il lui faut quelques secondes avant de comprendre qu’il fait face à son reflet dans un miroir. Dans les jours qui suivent, des agents spéciaux pénètrent discrètement chez Ali Mohamed à Sacramento. Ils placent des micros, copient ses disques durs et installent un programme-espion dans son ordinateur. Aujourd’hui encore, le FBI est discret sur les éléments recueillis de la sorte. On sait que parmi les documents interceptés figure au moins un rapport envoyé par Wadih el-Hage sur la noyade du chef militaire d’Al-Qaïda Abou Ubaidah al-Banshiri le 21 mai 1996. Pourtant, Patrick Fitzgerald hésite encore à ordonner l’arrestation de l'agent trouble, s’imaginant sans doute qu’il peut le retourner. Il a tort. En dépit de la surveillance dont il fait l’objet, la taupe continue d’œuvrer en faveur d’Al-Qaïda et se tient informé de la situation d’el-Hage grâce à l’un de ses «agents dormants». Les deux hommes parlent au téléphone en passant par des cabines publiques. En janvier 1998, il apprend que le FBI a recommencé à interroger el-Hage sur ses activités au Kenya. L’ancien responsable de la cellule de Nairobi refuse toujours de collaborer, et les secrets de la cellule sont bien gardés. Ali Mohamed prévient sans plus attendre l’un de ses correspondants qui transmet l’information au QG d’Al-Qaïda à Kandahar, en Afghanistan. Ses responsables militaires peuvent lancer l’opération prévue dans la corne de l’Afrique. En juillet 1998, le secrétaire particulier de ben Laden rassemble ses troupes pour attaquer les ambassades américaines de Nairobi et Dar es Salam. Au petit matin du 7 août 1998, un pick-up quitte la maison de Fazul Abdullah Mohammed, l’un des hommes de la cellule locale, pour l’hôtel où attendent les deux martyrs saoudiens. A l’arrière de l’utilitaire, des caisses de riz et de lait dissimulent les engins explosifs entassés sous une bâche. Un autre véhicule, une Toyota de l’ONG Help Africa People, le suit. A son bord, les artificiers. Le cortège s’arrête devant le Hilltop Hotel et, sur le parking, à l’abri des regards indiscrets, ils arment discrètement la bombe. Puis Fazul Abdullah Mohammed s’installe au volant de la Toyota et roule vers le centre-ville, suivi du pick-up avec à son bord Mohamed al-Owhali et son compatriote au volant. Durant le trajet, la stéréo diffuse des chants islamistes. Pour se donner du courage, les futurs martyrs récitent des prières. Il fait chaud, la tension monte.
— Tu ferais mieux d’enlever ta veste, dit le chauffeur à al-Owhali. Elle risque de te gêner.

Après s’être déshabillé, le jeune homme vérifie que la banane qu’il porte autour de la taille est solidement bouclée. Puis, il reprend ses prières. Les deux véhicules arrivent en vue de l’ambassade américaine aux environs de 10 h 30. La Toyota poursuit son chemin tandis que le pick-up se dirige vers la barrière baissée qui donne accès au parking réservé aux visiteurs et aux diplomates, et s’arrête devant. Al-Owhali en descend, il sait ce qu’il doit faire. Alors qu’il se dirige vers la guérite du garde, il s’aperçoit qu’il a oublié son arme à feu dans la poche de sa veste. Normalement, il aurait dû s’en servir pour contraindre le garde à ouvrir la barrière et pour permettre à l’utilitaire de se rapprocher du bâtiment. Le jeune Saoudien improvise; il ouvre la banane qui lui ceint la taille et en sort une grenade qu’il dégoupille avant de la jeter en direction du garde. Au bruit de l’explosion, la grande majorité des personnes présentes dans l’ambassade, y compris Mme  l’Ambassadrice en réunion avec le ministre kenyan du Commerce, s'interrompent. Les plus curieux s'approchent des fenêtres, se transformant ainsi en cibles parfaites pour des milliers d’éclats de verre, de béton, d’acier. Dans le pick-up, le chauffeur s’empare de l’arme oubliée par al-Owhali et ouvre le feu en direction de la façade. Voit-il son complice tourner les talons et s’enfuir en courant? A-t-il compris qu’al-Owhali ne le rejoindra pas dans le véhicule? Il attend quelques longues secondes avant d’appuyer sur le détonateur, provoquant une explosion qui sera entendue dans toute la capitale kenyane et au-delà. Dix minutes plus tard, l’Ambassade américaine à Dar es Salam en Tanzanie saute à son tour. Le bilan est très lourd: 247 morts et plus de 5’000 blessés. 

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