Sur la piste d’Ali (7/8)

© Jef Caïazzo

Nommé d'office pour assurer la défense d'el Sayyid Nosair dans le cadre de l'attentat du World Trade Center en février 1993, Roger Stavis enquête et repère la trace d'Ali Mohamed. L'avocat emploie alors les grands moyens pour le trouver et le faire comparaître comme témoin.

Situé au cœur de Manhattan dans le quartier huppé de Lexington, à deux pas de Central Park, le bureau de Roger Stavis est à l’image de sa réussite: une ruche discrète et studieuse bourrée de livres de droit. Taillé pour les affaires complexes et délicates, l’avocat défend des trafiquants d’armes internationaux et des criminels en col blanc de haut vol. Pourtant sur les murs de son antre sont accrochés des dessins de presse d’un autre temps. On le voit dans la salle du tribunal de Manhattan face à douze jurés, il défend les premiers terroristes sunnites à avoir attaqué les Etats-Unis. La première chose que Me Stavis a faite quand il a appris qu’il était nommé d’office pour assurer la défense d’el Sayyid Nosair a été de téléphoner à son père qui lui a raccroché au nez. Puis, il a téléphoné à sa femme qui l’a traité de fou. Alors, en désespoir de cause, il s’est tourné vers son rabbin pour lui demander s’il devait accepter de défendre le dirigeant de la première cellule d’Al-Qaïda aux Etats-Unis. «Intéressante question, lui a répondu le rabbin. Je vais consulter les textes.» Après l’avoir fait, le rabbin lui a dit: «Pourquoi pas? Rien ne l’interdit.» L’avocat s’est donc rendu à la prison de Rikers pour rencontrer son client.
— Savez-vous que je suis juif? lui a-t-il lancé en préambule.
— Ce n’est pas un problème, si vous êtes le meilleur.
— Oui, mais je suis aussi sioniste.
— Il y a sioniste et sioniste. Et vous autres Juifs vous comptez parmi les meilleurs avocats.

C’est un Roger Stavis perplexe qui accepte donc en 1994 de prendre la défense du jeune homme. Acquitté trois ans plus tôt de l’assassinat du rabbin Kahane, Nosair est poursuivi dans le cadre du procès du Cheikh aveugle et de ses zélotes, arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à mettre New York à feu et à sang. Dans leur ombre, Stavis décèle la trace d’Ali Mohamed. Et il n’est pas au bout de ses surprises. L’homme de loi se plonge dans le dossier et fouille dans les 47 cartons de documents saisis en 1990 par la police new-yorkaise chez son client qui n’ont jamais été ouverts depuis. A l’intérieur, il trouve des rapports top secret provenant du Centre d’études stratégiques de Fort Bragg et des cassettes VHS dans lesquelles un instructeur en civil fait part de sa conception quelque peu particulière et violente de l’islam. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que les documents ont été fournis à son client par ce mystérieux coach. L’avocat se demande si son client et ses frères d’armes du MAK ne sont pas simplement des combattants de la guerre froide, alliés des Etats-Unis face à l’Ours soviétique… s’ils n’œuvrent pas pour la CIA et l’armée américaine. «Je me suis rendu à Fort Bragg, m’explique Roger Stavis. J’ai rencontré des responsables du Centre d’étude sur la guerre non conventionnelle qui m’ont révélé que ce mystérieux instructeur n’était autre qu’Ali Mohamed.» L’avocat croit enfin tenir la pièce maîtresse de sa défense. Qu’il parvienne à le faire citer comme témoin, et l’affaire est close. Quelle meilleure preuve que la présence d’un ancien instructeur des bérets verts aux côtés de son client? Voilà qui devrait convaincre n’importe quel juré qu’el Sayyid Nosair n’est pas un ennemi des Etats-Unis! «J’essayais de démontrer que notre pays était derrière toute l’affaire, justifie Roger Stavis. Mais je ne pouvais procéder que par déductions en me fondant sur le fait qu’Ali Mohamed appartenait à l’armée américaine. C’est pour cela que j’avais besoin de son témoignage.» Reste encore à le débusquer et à le faire citer. Stavis se démène comme un beau diable, frappe à toutes les portes de Fort Bragg. Ali Mohamed n’y travaille plus, mais est toujours sous-officier de réserve. Le défenseur se rend au Pentagone. Silence du côté de la grande muette américaine. En Californie, il sonne au dernier domicile connu d’Ali Mohamed. Une femme lui ouvre, c’est son épouse. «Désolée, lui répond Linda Sanchez, mon mari est à l’étranger et je suis sans nouvelles de lui depuis plus d’un an.»

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