De son enfance pas toujours rose, Alison Bechdel a fait un, non, deux chefs d’œuvre, des mémoires ciselées et dessinées. Pour avoir «transformé notre conception de l’autobiographie contemporaine et étendu le potentiel d’expression de la forme graphique», la quinquagénaire a reçu en 2014 la «bourse du génie» de la Fondation MacArthur.
La dessinatrice américaine s’est dit «en état de choc. Cette distinction bouleverse ma vie. Je dois être à la hauteur de ce qui vient de se passer, produire quelque chose qui en soit digne. Une telle preuve de confiance en mon travail est un immense cadeau et je compte travailler très dur pour ne pas décevoir les attentes.»
Il y a quelques mois, c’est la comédie musicale adaptée de son best-seller autobiographique, Fun Home, qui connaissait le succès. Présentée off Broadway l’automne dernier, «Fun Home!» s’est retrouvée finaliste de la catégorie théâtre du Prix Pulitzer. À la première lecture, Fun Home m’avait bouleversée. Paru en 2006, ce mémoire graphique raconte l’enfance de la dessinatrice auprès d’un père colérique et esthète, obsédé par la restauration de leur maison d’une bourgade de Pennsylvanie.
Peu de temps après son propre coming out, Alison apprenait – par sa mère – l’homosexualité paternelle. Quelques jours plus tard, Bruce Bechdel mourait fauché par un camion, à l’âge de 44 ans. Fun Home le dit clairement: pour Bechdel, son père s’est jeté sous les roues du véhicule.
Avec cette autobiographie dessinée en noir et blanc, au graphisme épuré, l’auteure, qui jouit jusque là d’un statut d’icône dans la communauté gay pour son feuilleton Dykes to watch out for (gouines à suivre), entre au panthéon des dessinateurs américains. Les critiques dithyrambiques saluent une œuvre pionnière.
Fun Home est tragique mais aussi très finement drôle. L’ouvrage suivant, C’est toi ma maman?, paru en 2012 (en français l’année dernière et en avril dernier en allemand), est beaucoup plus sombre. Alison Bechdel y passe au crible sa relation avec une mère aussi distante que brillante. Le récit fait la part belle à la psycho-analyse, à des écrivains géniaux et torturés, et aux affres de la création