Les Allemands perdus de Lituanie: silence de part et d'autre du rideau de fer (2/5)

© Aaron Chervenak
Elfriede Rick dans son domicile de Dresde, en Allemagne.

A la fin des années 1940, l'Union soviétique évacue les derniers Allemands de Prusse-Orientale. La majeure partie des enfants réfugiés en Lituanie saisissent l’opportunité de fuir la famine et sont également du voyage. En RDA comme en RFA, malgré leur tragique destinée, ils se heurtent à un mur d'indifférence.

«Allemands au baluchon», «Allemands arrivés avec la marée», «Le flux de haillons ne prendra-t-il jamais fin?» A 600 kilomètres de distance, deux contemporaines, Elfriede Rick et Leni Neumann, chacune assise dans son salon, se remémorent les invectives entendues à leur arrivée en Allemagne en 1948 depuis la de Prusse-Orientale, annexée par l’Union soviétique. De part et d’autre du rideau de fer – en Saxe est-allemande pour Elfriede, à Düsseldorf à l’Ouest pour Leni – les mots se ressemblaient. Etrange écho aux craintes qui ont saisi la République fédérale ces temps-ci avec l’arrivée massive de demandeurs d’asile du Moyen-Orient. «Je n’avais que les vêtements que je portais. A Düsseldorf, ils ne m’ont rien donné, relate Leni avec gouaille. Quand je repense à comment nous sommes arrivés, pour les réfugiés d’aujourd’hui, c’est le paradis sur terre. Moi je me suis sentie rejetée…» Si elle avait pu, la native de la ville portuaire de Pillau (aujourd’hui Baltijsk) sur la Baltique serait repartie illico en Russie. Mais elle se sentait dépositaire du récit de la mort de sa mère envers ses deux sœurs, qui avaient pu se mettre à l’abri à l’Ouest.

Réfugiée, comme des millions d’Allemands en provenance des territoires perdus du Reich en Europe de l’Est, Elfriede est pour sa part dirigée vers un village de Saxe avec sa mère, sa sœur et son frère. «Ils ne voulaient pas de nous. Ils ont réfléchi trois jours à ce qu’ils allaient faire. Le boulanger avait besoin d’une bonne pour s’occuper de ses deux jeunes enfants. Finalement j’ai été prise là, le reste de ma famille a été accueilli chez des paysans, raconte Elfriede avec son regard bleu intense perçant derrière ses sévères lunettes. Nous avions tout perdu. Nous n’étions pas plus responsables de la guerre que les Saxons et les Berlinois.» Les deux octogénaires partagent le vécu des lendemains de la conquête soviétique en Prusse-Orientale, la province la plus orientale du Reich allemand, et son cortège d’horreurs. Les destructions, les maladies, la perte de proches et surtout la faim qui les conduit à chercher leur salut, chacune à sa façon, en Lituanie.

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