Appuyé sur la balustrade de son balcon, Rudi Herzmann contemple la plaine entourant le village de Šventragis qui baigne dans la lumière d’automne. L’octogénaire a posé ses valises en 2010 dans le sud-ouest de la Lituanie. Un retour au point de départ. Au point d’un faux-départ… puisqu’en 1997 il avait mis le cap sur Cologne pour couper à un demi-siècle d’exil involontaire.
Rudi Herzmann n’est pas lituanien mais allemand. Son pavillon aux pièces sobrement meublées se trouve à quelque 150 kilomètres de ses racines familiales, Gerdauen. Ses parents y possédaient une grande ferme. Mais Gerdauen est reléguée aux oubliettes de l’Histoire. Aujourd’hui la localité s’appelle Jeleznodorojony. Elle se situe dans le sud de l’enclave russe de Kaliningrad. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville appartenait à la Prusse-Orientale, une province allemande depuis le Moyen Age. A l’issue du conflit, le territoire a été divisé entre la Pologne et l’Union soviétique. Avec sa mère et sa sœur, Rudi a fui l’avancée de l’Armée rouge début 1945. Ils voulaient rejoindre, par la glace gelée de la lagune de la Vistule, le port de Danzig, aujourd’hui Gdansk en Pologne, pour espérer gagner le cœur du Reich nazi. «Les Russes nous ont bombardés, se remémore le vieillard aux grands yeux bleus. La glace a rompu. Nos chevaux et notre charrette sont tombés à l’eau. Nous avons couru. J’ai perdu ma mère et ma sœur de vue.» Peu après, il tombe sur une unité soviétique qui force les rescapés à retourner d’où ils sont venus. Il rebrousse chemin en compagnie d’une tante.