Auschwitz en héritage (2/11)

Ses dix premières années, Ruth Fayon va les passer à Karlsbad, célèbre station thermale de Tchécoslovaquie. Une enfance paisible peu à peu bouleversée par le montée en puissance du parti nazi, dans l'Allemagne voisine.

Auschwitz Fayon Auschwitz Fayon
Ruth Fayon, dans les bras d'Esther, sa grande sœur, en 1929 devant les colonnades de Karlsbad.© Ruth Fayon / Patrick Vallélian

Ma mère Rondla, née Kristal, et mon père Josef Pinczowsky sont originaires de deux shtetls, deux petits villages juifs, perdus dans la campagne près de Lodz. Tellement perdus d’ailleurs que j’ai oublié leurs noms. A l’époque de leur naissance, en 1895, la Pologne était encore le «Pays de la Vistule». Et son maître, le tsar de toutes les Russies, était cruel avec le million et demi de Juifs qui peuplaient ses terres de l’Ouest. Il les parquait dans des ghettos. Et les pogroms étaient réguliers.

Durant l’été 1945, alors que nous attendions à Prague le retour de papa dont nous avions perdu la trace à Auschwitz, maman m’a raconté les massacres commis par les cosaques de Nicolas II durant la Première Guerre mondiale. Je pleurais.

Ma mère, dure et douce à la fois, aux joues prononcées et aux yeux généreux, courte sur pattes, et un peu ronde ma foi, avait vu les féroces cavaliers de l’armée russe déferler sur son village où les Juifs vivaient en quasi-autarcie. Les soldats, aussi saouls que brutaux, avaient violé les femmes et les filles avant de tuer tous les hommes qui n’avaient pu se cacher à temps. Et pour mieux montrer qui commandait, ils avaient brûlé la synagogue en bois, rasé les maisons de la rue principale. Ils s’étaient ensuite attaqués aux petites masures au toit de chaume avant de voler le peu que leurs habitants possédaient. Puis, ils étaient repartis comme un nuage de sauterelles repues qui auraient dévoré les miettes d’un Yiddishland de plus en plus misérable.

Maman avait juste eu le temps de se cacher dans une forêt toute proche avec son bébé – ma grande sœur Esther – pour échapper à ce pogrom. Mais elle avait tout vu. Tout entendu. Comme une répétition générale de ce qui allait nous arriver avec les nazis, 30 ans plus tard. D’autres crimes suivront. Puis d’autres encore, avant que la Pologne ne devienne indépendante en novembre 1918 et que l’armée polonaise, dans ses nouveaux uniformes et équipée par les vainqueurs de la Grande Guerre, ne se mette à son tour à chasser ses Juifs de son pays.

Ceux qui pensent qu’Hitler a innové en massacrant six millions de Juifs comme il aurait dératisé les égouts de Paris, de Berlin ou de Londres, avec du gaz et des balles, ont tort. Le monstre de Berlin n’a fait que perfectionner les traitements réservés aux miens avant la Seconde Guerre mondiale, dans cette Europe qui, soi disant, donnait l’exemple au monde dans la manière de se comporter, de penser, de vivre et de mourir. Terre de tolérance? Mon œil!

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