Un matin de Shabbat, jour de repos pour les Juifs, papa, d’ordinaire calme, a ouvert la porte de ma chambre sans ménagement. Lala et moi dormions encore profondément. «Nous devons partir. Vite. Dépêchez-vous! Habillez-vous», cria-t-il. Il tremblait comme une feuille balayée par la tempête. C’était la première fois que je le voyais aussi nerveux.
A peine levée, je vis maman s’affairer autour des armoires. Elle glissait des vêtements dans des valises. Elle pleurait. Les larmes coulaient sur ses joues rouges. Sur son visage se lisait une immense peur. Nous étions le 1er octobre 1938.
«Plus vite», avait encore lâché papa avant d’éteindre le poste de radio. Les nouvelles étaient mauvaises. L’armée allemande venait de forcer la frontière tchécoslovaque. Hitler venait réclamer les Sudètes, dont Karlsbad était l’une des villes les plus importantes. Pour le maître de Berlin, c’était un espace vital allemand. L’Angleterre et la France, les grandes puissances du moment, le lui avaient offert lors de la conférence de Munich qui s’était tenue du 29 au 30 septembre 1938.
Pour éviter une nouvelle boucherie, une nouvelle guerre mondiale, le président du Conseil français, Edouard Daladier, et le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain, avaient lâché leurs alliés tchécoslovaques. Les démocraties nous laissaient tomber. L’ogre nazi pouvait tranquillement se repaître de cette région tchèque, le tiers du pays, dont la majorité des habitants étaient allemands.