Auschwitz en héritage (5/11)

Une passion dans le tumulte. Une passion pour résister à la barbarie et au nazisme: la musique. Et un violon comme seule arme dans cette cité de Prague occupée par les Allemands.

Auschwitz Fayon Auschwitz Fayon
Ruth Fayon posant fièrement avec son violon, l'une de ses grandes passions quand elle était enfant. © Ruth Fayon / Patrick Vallélian

J’aime la musique classique. J’ai toujours été attirée par les concertos, les symphonies, les chœurs ou les opéras de Mozart, Brahms, Beethoven ou Chopin. Après notre arrivée à Prague, je demandai à papa de m’offrir un violon. J’avais encore dans la tête les mélodies jouées par Madame Godin et par l’orchestre de la colonnade de Karlsbad, qui avait bercé ma prime enfance. Malgré nos problèmes financiers, mon père m’acheta un instrument d’occasion dans un magasin du quartier. C’était un bel objet. Abîmé ici ou là. Mais pour moi, il était aussi beau qu’un Stradivarius. Le son qui sortait de son cœur de bois était joyeux.

Mon violon, c’était mon refuge dans la tempête. Chaque jour, je le travaillais avec assiduité. Parfois plusieurs heures d’affilée, les fenêtres fermées. Je ne remercierai jamais assez mes parents et mes sœurs de leur patience. Pas facile d’entendre rabâcher par une apprentie musicienne les mêmes mélodies à longueur de journée!

J’avais à Prague un professeur de musique aveugle. Il s’appelait Miki Gros, la quarantaine d’années. Une maladie l’avait rendu aveugle lorsqu’il était enfant. Depuis, il avait deux billes de verre bleues à la place des yeux. Je les avais vues au fond d’un tiroir un jour où il m’avait demandé d’aller chercher une partition. Gros était exigeant, mais tout à fait agréable. Il m’apprit tant. Ce fut également le cas de mon autre professeur, Karel Fröhlich, un violoniste de renom et chef d’orchestre connu en Tchécoslovaquie. Après sa déportation à Theresienstadt, il fit carrière aux Etats-Unis d’Amérique où il a émigré en 1945. Quant à Miki Gros, il disparut dans les flammes de la Shoah. Les handicapés juifs n’avaient aucune chance de survie dans les camps.

Par leur enthousiasme et leurs connaissances, ces deux musiciens m’enseignèrent rapidement les bases. Elles me permirent d’intégrer l’orchestre de l’école juive de Prague, comme 2e violon. Nous jouions au moins une fois par semaine à Hagibor, une place de sport située dans le XXe arrondissement de la capitale, à une vingtaine de minutes en tram du centre. Mais souvent nous effectuions le trajet à pied. Les Allemands avaient l’habitude de chasser les Juifs des transports publics.

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