Auschwitz en héritage (6/11)

© Ruth Fayon / Patrick Vallélian
Ruth photographiée à Hambourg par la SS Eva-Maria Borovoska, hiver 1944-1945.

Comment transmettre un si lourd héritage? Lorsque les élèves de la classe de Ruth doivent imaginer l'an 2000 en 1942 ils sont loin de se douter de la tournure des évènements... Bientôt, partout dans l'Europe nazie, des trains remplis de Juifs rouleront vers la mort.

La photo de classe est traditionnelle. Elle aurait pu être prise dans n’importe quelle ville, à n’importe quelle époque ou presque. Une trentaine d’adolescents sont assis sur les chaises et les bancs de leur salle d’école. Les filles, chemisette blanche, cheveux finement peignés, sont devant. Les garçons, veston sombre, chemise claire, sont derrière. Certains sont debout sur leur pupitre. L’enseignante est assise devant, au milieu des filles. Des sourires se dessinent sur quelques visages. Mais on sent une certaine gravité. Moi, je suis installée au premier rang, tout à gauche. Mes mains sont sagement posées sur le pupitre. Mon étoile jaune est clairement visible sur ma poitrine. J’avais 13 ans et des poussières. Dans un mois, le lundi 10 août 1942, je serais déportée à Theresienstadt avec toute ma famille. A l’époque déjà, le nombre de mes camarades diminuait chaque jour. Comme celui des enseignants de l’école juive d’ailleurs. Les convois vers les ghettos et les camps de l’Est se multipliaient. Les rafles et les arrestations aussi.

Depuis la fin de l’année 1941, les Allemands vidaient Prague et le Protectorat de Bohême-Moravie de ses Juifs. Une œuvre d’Adolf Eichmann et de Reinhard Heydrich, grand organisateur de la Shoah. Il présida en janvier 1942 la conférence de Wannsee. Les nazis y planifièrent l’extermination des miens. Notre scolarité fut chaotique, surtout depuis notre expulsion des écoles publiques durant l’année scolaire 1939-1940. Certes nous avions des cours de maths, de tchèque, de religion, d’histoire, de dessin, de musique, mais ils étaient irréguliers. Le programme changeait au rythme des déportations. Parfois, je me transformais en surveillante de classe pour remplacer un professeur arrêté le matin même. Un jour, l'un de nos enseignants nous a demandé d’imaginer le monde en l’an 2000. Bien sûr, la plupart d’entre nous voyaient une Tchécoslovaquie en paix, sans Allemand, sans violence. Pour l’un de mes camarades, l’homme atteindrait la lune et il y aurait des progrès technologiques fabuleux, comme les avions à réaction. Un visionnaire.

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