En cette année 2015 où Adrien et moi nous mettons en quête d’une prise en charge pour Paul, le contexte n’est guère favorable. La France a déjà été condamnée à cinq reprises par le Conseil de l’Europe pour discrimination à l’égard des enfants autistes, défaut d’éducation, de scolarisation et de formation professionnelle. Cette (quintuple) gifle est à l’origine des trois «plans autisme» que le pays a successivement adoptés. On a créé des centres de ressources autisme (CRA) par région pour guider les familles, édicté des lois, annoncé qu’on allait multiplier les places d’accueil et former les professionnels – pédiatres, personnel de la petite enfance, éducateurs, auxiliaires de vie scolaire, mais aussi instituteurs et enseignants. On a promis plus d’argent pour la recherche scientifique, pour le diagnostic et l’intervention précoces, le soutien aux familles, l’accompagnement des autistes à tous les âges, la sensibilisation du public comme des acteurs de la santé. On a rédigé nombre de rapports, de recommandations et de circulaires; on a même nommé l’autisme «grande cause nationale». Mais le résultat de tous ces grands gestes, de tous ces grands mots, reste, au mieux, médiocre. Les compétences et le professionnalisme des CRA varient terriblement d’une région à l’autre. Seulement 20% des enfants autistes vont à l’école, contre 100% en Italie ou 80% en Angleterre. Et alors que la maladie touche près de 1% de la population (700’000 personnes), que 6’000 à 8’000 bébés autistes naissent chaque année, on propose de créer au plus 820 places d’accueil par an dans un système déjà totalement engorgé...
Le manque de structures est encore plus criant pour les adultes, et du fait de cette tragique pénurie, la plupart des autistes végètent chez leurs parents jusqu’à leur mort, sont exilés dans des établissements belges au mépris des bouleversements que cela entraîne pour les familles, ou pire, atterrissent en hôpital psychiatrique où on leur administre des doses de cheval de tranquillisants et de neuroleptiques qui leur font perdre leurs facultés tout en triplant leur poids. Dans ces lieux aménagés pour les personnes atteintes de maladie mentale ou de déficit intellectuel alors que l’autisme n’est ni l’une ni l’autre, le personnel soignant n’a pas reçu la formation adéquate. Il ignore comment s’occuper de ces adultes souvent violents avec lesquels il est difficile ou impossible de communiquer parce qu’eux-mêmes n’ont bénéficié d’aucun traitement digne de ce nom. Faute de savoir comment s’adresser à eux, on en fait des épaves – un pseudo-traitement qui en plus d’être inadapté coûte un prix astronomique à la société.