Lever le pouce pour traverser l’Europe

© Camille Elaraki
Alignés, prêts pour le départ.

Je m’applique à dessiner d’un trait net l’alpha grec, première lettre d’Athina, Athènes. Quand nous brandirons le nom de cette ville, comme un rêve porté à bout de bras, nous serons proches de l’île grecque d’Eubée, notre destination.

Je me retourne vers Karol occupé à empaqueter les tupperwares de riz blanc dans nos sacs à dos, déjà trop remplis. Lui, qui d’habitude parle vite et fort, ne dit rien et s’applique à passer en revue d’un doigt minutieux les lignes de notre check-list. «Bouteilles d’eau, anorak, barres protéinées...» Ses joues pleines et roses s’habillent d’une fine barbe qui prolonge ses cheveux blonds coiffés en brosse. Son front dégagé laisse l’œil qui le regarde glisser jusqu’à son iris dont la pâleur rappelle celle d’un ciel du Nord. Le contempler me rappelle les 1’600 kilomètres de Wroclaw (Pologne) à Rome que nous avons avalé à la force de notre pouce en avril 2016 à l’occasion de l’Auto Stop Race, la plus grande course d’auto-stop du monde. Les souvenirs se bousculent dans ma tête: les heures sans sommeil, le creux à l’estomac, les questions, les doutes, mais aussi la joie de la douche chaude à l’arrivée, les rencontres avec les automobilistes, les discussions autour d’une pizza sur une plage déserte entre jeunes étudiants. Un pari fou gagné grâce à l’aplomb de Karol sur lequel je compte une fois de plus pour achever cette onzième édition qui va nous conduire cette fois-ci jusqu’à la lointaine île grecque d’Eubée, à 2’000 kilomètres du campus de Wroclaw.

Quatrième ville de Pologne par son nombre d’habitants, Wroclaw se situe à proche distance des frontières allemande, tchèque et slovaque. Une position stratégique pour les organisateurs de l’Auto Stop Race qui voient affluer à chaque édition entre 1’300 et 2’000 concurrents. Le jour du départ, engoncée dans mes pulls enfilés les uns sur les autres sous un large gilet de laine, je me rends compte que ma tenue dénote. Karol s’est contenté d’une polaire rouge doublée d’un coupe-vent tandis qu’autour de nous, les tee-shirts bleus estampillés «Evia», le nom polonais de l’île d’Eubée que nous devons rejoindre, rivalisent avec ceux des précédentes courses «Calabria», «Valencia», «Tarquina»... D’autres participants ont préféré jouer la carte du déguisement haut en couleur: renard, licorne ou encore robe de mariée. Avec leurs lunettes de soleil et leurs colliers de fleurs autour du cou, tous narguent la pluie printanière de ce mois d’avril 2019 et la terre boueuse qui colle à nos chaussures de randonnée. En attendant le signal de départ, nous peaufinons notre première pancarte «Byle dalej» (plus loin, en polonais), tout en faisant la queue pour la traditionnelle photo sous la banderole «Dionysos, prends soin de nous». Le dieu du vin est invoqué, car c’est la fête que nous rejoignons et qui, déjà, se prépare dans les entonnoirs à bière accrochés aux sacs à dos au son de la musique techno tournée à fond par le DJ. L’excitation ne laisse aucune place à l’appréhension alors que les organisateurs distribuent des balluchons de survie débordant de cachets caféinés, de gel antibactérien, de brassards réfléchissants. «Huit heures cinquante-deux!» Karol m’entraîne dans la foule jusqu’à la ligne de départ où s’agglutinent les plus déterminés, un pied devant, un derrière, le buste penché en avant. «Huit heures cinquante-huit...» Une silhouette longue et droite comme un poteau nous liste rapidement dans le mégaphone les numéros d’urgence avant de hurler: «Que la plus grande course d’auto-stop au monde commence!»

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