Mais qu’est-il donc arrivé à Rachel Gray? (1/7)

© DR

Tucson, 2 mai 1994. Une fillette de quatre ans est déclarée morte à son arrivée à l’hôpital. Avant même que le médecin légiste détermine les causes du décès, Barry Lee Jones fait figure d’unique suspect. Alors qu'il est dans le couloir de la mort… le dossier de l'accusation s’effondre.

Ce lundi matin de septembre 2017, dans la banlieue sud-ouest de Tucson, Hildegard Stoecker lézarde tranquillement au soleil dans son patio. Six heures du matin, la température est encore fraîche. Dans quelques heures, le soleil tapera dur dans le désert de l’Arizona et le thermomètre flirtera avec les 40 degrés. Une douce lueur enveloppe les contreforts du parc forestier de Tucson juste derrière sa maison; dans la cour, des cactus et des buissons Caesalpinia baignent dans une lumière rose; un colibri bat des ailes, suspendu dans le vide, près de la fenêtre. Pourtant la vieille dame n’est pas sereine. Vendredi, elle a reçu un message au sujet d’un homme dont le nom ne lui est que trop connu: Barry Lee Jones. Un prisonnier qui traîne dans le couloir de la mort, condamné en 1995 pour le viol et le meurtre d’une fillette. Le genre de crime impardonnable pour lequel se souvient Hildegard, «aucun arbre n’est assez haut» pour pendre le coupable. D’ailleurs, au procès, le président du tribunal n’a pas tergiversé: il a condamné Jones à la peine capitale sans la moindre hésitation

Mais 22 ans plus tard, Hildegard est mal à l’aise d’apprendre que Jones est encore dans le couloir de la mort. Et pas parce qu’elle pense que depuis le temps il aurait déjà dû être exécuté. Au contraire. Elle avait supposé, à tort, qu’il avait été extrait du couloir de la mort, peut-être même acquitté. «Ce que vous me dites me perturbe un peu», a-t-elle lâché. Un sentiment surprenant venant de sa part. Elle était, en effet, l’une des jurées qui ont condamné Jones. Quelque dix ans auparavant, un enquêteur du Bureau du défenseur public fédéral de l'Arizona (Arizona Federal Public Defender’s Office), le bureau d’aide judiciaire, s’était déplacé jusque chez elle. Il interrogeait les jurés qui avaient pris part au procès de Barry Jones dans le cadre d’un pourvoi en cassation. Les souvenirs d’Hildegard étaient vagues, mais cette rencontre lui avait fait forte impression et avait ramené à la surface de vieux doutes sur les preuves présentées en audience. Elle avait toujours eu le sentiment que les avocats de Jones l’avaient fort mal représenté. Cette visite lui avait fait penser qu’il y avait bien d’autres lacunes dans cette affaire et que l’Etat serait bien obligé de s’y confronter et de les corriger.

Hildegard Stoecker est une septuagénaire aux cheveux gris, coupés courts. Assise dans son fauteuil roulant, pieds nus, elle est habillée avec des jeans et un t-shirt patriotique affublé du pygargue à tête blanche. Il y a deux décennies, on lui a diagnostiqué une affection pulmonaire incurable, contractée alors qu’elle travaillait dans une usine de céramique. A l’époque du procès, elle venait juste de commencer son traitement et était, chaque jour davantage, incapable de travailler. Depuis, elle s’est impliquée dans la sauvegarde des animaux. Ce matin, Max, le cacatoès qu’elle a secouru, piaille avec insistance. «Il a été traumatisé après avoir vu l'un de ses amis oiseaux plumé et tué par un chien», explique Hildegard qui officie comme famille d’accueil en attendant qu’il trouve un nouveau foyer. La compassion et l’empathie naturelle de Hildegard Stoecker ne faisaient pas d’elle une adepte de la peine de mort, mais la sentence de Barry Jones n’était pas de son ressort. En ce temps-là, le président du tribunal et non pas les jurés imposaient la peine capitale. «Aurions-nous en tant que jury prononcé une telle sentence? Je ne sais pas», avoue-t-elle. D’autant plus qu’une autre raison la chiffonnait. Quand elle était adolescente à San Francisco dans les années 1950, la Californie avait exécuté un homme nommé Burton Abbott pour le viol et le meurtre d’une jeune fille de 14 ans. Burton Abbott jura qu’il était innocent et tout comme Barry Jones sa condamnation reposa lourdement sur des preuves circonstancielles. Le jour de sa mise à mort, le gouverneur appela la prison pour accorder un sursis de dernière minute… Trop tard, l’homme venait d’être exécuté. «Je ne peux pas dire que j’étais totalement convaincue de la culpabilité d’Abbott, essaie de se souvenir Hildegard. Mais la victime était juste une lycéenne… Et moi? Qu’est-ce que j’en savais?» Après ça, elle ne s’est pas vraiment pris la tête au sujet de la peine de mort. Jusqu’au procès de Barry Jones… «C’est quelque chose qui me hante depuis très, très longtemps, chuchote-t-elle. Je suis bien consciente que plein de gens sont passés à autre chose et continuent leur vie, mais moi je n’y arrive pas.» La possibilité d’avoir pris la mauvaise décision la laisse désemparée. Un ami a beau la réconforter: «Tu as fait de ton mieux à ce moment-là. Laisse tomber maintenant!» Rien n’y fait. «Je ne peux pas laisser tomber», ressasse-t-elle.

La suite de cette histoire est payante.

Abonnez-vous

Et profitez d'un accès illimité au site pour seulement 7.-/mois.

Je profite → Déjà abonné? Connectez-vous.

Achetez cet article

Nouveau: dès 0.50 CHF, payez votre histoire le prix que vous voulez!

Je me connecte → Paiement rapide et sécurisé avec Stripe