Une décision qui tombe «juste à temps» (5/7)

© Pixabay

Après avoir passé plus de deux décennies dans le couloir de la mort, Barry Lee Jones voit sa condamnation cassée: l'Arizona doit le rejuger ou le relâcher immédiatement.

Cloîtré dans le couloir de la mort en Arizona, Barry Lee Jones n’a eu de cesse de clamer son innocence depuis sa condamnation en 1995. Mardi 31 juillet 2018, celle-ci a finalement été cassée. Dans une ordonnance de 91 pages, Timothy Mark Burgess, juge fédéral d'Anchorage en Alaska, s’est montré sans équivoque: la «précipitation à trouver un coupable» de la part des forces de l'ordre et leur «manque de rigueur et d’investigation professionnelle», aggravés par les défaillances des avocats de la défense ont conduit au verdict de culpabilité. Sans ces manquements graves, a-t-il spécifié, «il est hautement probable que le jury ne l'aurait pas déclaré coupable.» De ce fait, Burgess a ordonné que Barry Jones soit immédiatement rejugé ou libéré. 

Cet arrêt est une sévère remontrance adressée au Ministère public de l’Arizona qui s’est acharné sur Barry Jones alors même qu’aucune preuve ne l’incriminait. Dans un Etat qui a été contraint d’innocenter neuf condamnés à mort, les procureurs se sont battus pour préserver la décision de justice initiale; ils ont multiplié les arguties procédurales et refusé d’accepter la réalité et les nombreux vices cachés de leur dossier. Que Barry Jones ait été capable de surmonter de tels obstacles est extraordinaire en soi - et une preuve supplémentaire de la pourriture qui a imprégné l’affaire à chaque étape. L’ordonnance du juge Burgess intervient huit mois après une audience d’examen des preuves qui a révélé des négligences stupéfiantes de la part des avocats de la défense, tant au procès qu’après la condamnation, ainsi qu’à une profonde vision en tunnel de la détective Sonia Pesqueira, du bureau du shérif du comté de Pima, qui a dirigé l’enquête.

Barry Jones, 59 ans, avait été reconnu coupable et condamné à mort pour le viol et le meurtre de la fille de son amie, Rachel Gray, âgée de 4 ans. L'enfant était décédée des suites d'un coup porté à l'estomac, qui lui a déchiré le duodénum, une partie de son intestin grêle; ce qui a entraîné une péritonite mortelle. Jones avait été arrêté peu après avoir déposé l'enfant et sa mère, Angela Gray, à l'hôpital tôt dans la matinée du 2 mai 1994. Mais les preuves à charge étaient minces, se basant sur un timing étroit pendant lequel lui et Rachel étaient dans son fourgon l'après-midi du 1er mai. Des jumeaux âgés de 8 ans avaient affirmé l’avoir vu frapper la petite en conduisant le véhicule. Des gouttes de sang dans la camionnette et sur ses vêtements avaient été avancées comme éléments à charge pour affirmer qu’il l’avait violée. Mais il n'y avait aucune preuve pour soutenir cette accusation. Les enquêteurs n’avaient même pas pris le soin de récupérer et mettre sous séquestre les vêtements que Rachel portait. Lors de l'audience d'examen des preuves qui s’est tenue à Tucson à l'automne 2017, l’inspectrice Pesqueira, qui a depuis pris sa retraite, a reconnu qu’elle avait considéré Barry Jones comme son unique suspect. Et cela dès qu’elle avait vu le cadavre de Rachel à l'hôpital et sans même s’enquérir de savoir à quel moment la blessure mortelle avait été infligée. Elle s’était contentée de présumer que cela s’était passé la veille du décès. Cet aveu n’a pas empêché les procureurs de maintenir mordicus que Sonia Pesqueira «avait suivi les éléments de preuve indiqués par les lésions de Rachel et que cette piste menait directement à Barry Jones». A les entendre, la qualité de son travail était de toute manière hors sujet dans le cadre de ce procès, puisqu'il s'agissait uniquement de déterminer si les avocats de la défense de Barry Jones avaient violé le sixième amendement en se montrant particulièrement inefficaces. «Les forces de l'ordre n'ont rien à voir dans le cas qui nous occupe», a encore claironné le procureur général de l'Arizona, Myles Braccio, lors de sa plaidoirie orale en mars 2018. Timothy Burgess n'a pas du tout partagé cet avis. Les défaillances de Sonia Pesqueira sont inextricablement liées à celles des avocats de Barry Jones en 1995. «On peut objectivement penser que plusieurs signaux d'alarme importants, négligés par la police, auraient pu et dû alerter les avocats sur la nécessité d'enquêter au sujet des blessures de Rachel», a décrété le juge. Cela aurait conduit à d’autres suspects… Notamment Angela Gray, la mère de la fillette, qui «agressait régulièrement ses enfants», comme l’a rappelé l’avocat actuel de Barry Jones, Cary Sandman, au printemps 2018. Lors de l'audition des témoins, Sonia Pesqueira semblait ignorer qu’Angela frappait ses enfants et les avait jetés dans les escaliers. «Cela aurait été intéressant de le savoir», s’est-elle contentée de répondre.

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