L’Etat de l’Arizona réinvente l’affaire contre Jones (7/7)

© Keystone

Alors qu’un juge fédéral a annulé la condamnation à mort de Barry Lee Jones en 2018, l’Etat de l’Arizona se bat pour l’exécuter.

Par un jour clair et bleu de la fin du printemps 2019, le procureur général adjoint de l'Arizona, Myles Braccio, se présente devant les trois juges de la Cour d’appel des Etats-Unis du neuvième circuit. Il est à peine plus de 10 heures du matin et Myles Braccio a une demi-heure pour les convaincre de rétablir une condamnation à mort prononcée il y a 24 ans de cela et qui a été annulée par un juge fédéral. «Vos honneurs, cette affaire ne présente plus aujourd'hui qu'un seul pétitionnaire habeas corpus qui a engagé plusieurs nouveaux experts, plusieurs années après son jugement et sa condamnation, dans le but de discréditer le verdict du jury.» Le pétitionnaire en question est Barry Lee Jones, envoyé dans le quartier des condamnés à mort en 1995 pour un crime indescriptible: le viol et le meurtre d'une fillette de 4 ans. Barry a toujours juré qu'il était innocent, et des experts, mandatés par le Bureau du défenseur public fédéral de l'Arizona, ont anéanti les charges qui pesaient sur lui. Au cours des sept jours d’audience d’examen des preuves en automne 2017, des témoins ont expliqué avec une grande sobriété pourquoi la théorie médicale de l'Etat sur le crime était invraisemblable. Si les avocats de Barry Lee Jones avaient présenté de tels éléments de preuve lors de son procès en 1995, «il y aurait eu une probabilité raisonnable que son jury ne l’eût condamné pour aucun des crimes» qui l'ont envoyé dans le couloir de la mort, en a conclu, le 31 juillet 2018, le juge de district américain Timothy Burgess, qui a également ordonné à l’Etat de l’Arizona de rejuger ou de libérer rapidement Barry Lee Jones. Au lieu de cela, l'Arizona a fait appel au 9e Circuit. Et ce 20 juin 2019, à son siège social du centre-ville de San Francisco, Myles Braccio, 39 ans, barbe naissante, moustache et lunettes, se présente seul pour sa plaidoirie orale qui entend réhabiliter la sentence d’exécution à mort de Barry.

L'innocence effective de Jones n’est pas le sujet des débats. Les trois juges du 9e Circuit doivent se prononcer sur la nouvelle preuve médicale apportée en automne 2017 lors de l’audience d’examen des preuves qui aurait pu amené le jury à prononcer l’acquittement et sur l’argument juridique avancé par l’Etat de l’Arizona qui dit qu'en vertu de la loi contre le terrorisme et la peine de mort adoptée en 1996 (AEDPA), Timothy Burgess n'aurait pas dû accorder en premier lieu cette audience d’examen des preuves. La position de l’Etat semblait faible. L'affaire contre Barry Lee Jones a été tant discréditée qu'il était difficile d'imaginer comment les charges demeurant contre lui peuvent tenir à l'examen d'un nouveau procès. C’est précisément la raison pour laquelle les procureurs de l'Arizona ont fait appel auprès du 9e Circuit. Il leur paraissait plus aisé de convaincre un panel de juges fédéraux que Timothy Burgess était légalement en tort que de convaincre un jury de condamner à nouveau Barry. A ce stade du litige en appel, les affaires sont le plus souvent gagnées ou perdues pour des raisons de procédure, quelle que soit la véracité des faits sous-jacents. Myles Braccio a donc commencé par réévaluer le témoignage médical présenté à l'audience de 2017. «Cette preuve est en fait à double tranchant. Même si elle ne corrobore pas pleinement la théorie originale du crime, elle soutient toutefois d’autres éléments du dossier de l’Etat. Et cela suffit à rétablir la condamnation et la peine de Barry Lee Jones.» Les juges qui ont examiné les volumineux dossiers de cette affaire remontant au matin du 2 mai 1994, le jour où Rachel Gray, quatre ans, est arrivée à l'hôpital de Tucson, sans vie, contusionnée et montrant des blessures à la tête et au vagin, semblent perplexes. L’autopsie avait montré que Rachel était morte d'un coup à l'abdomen qui a rompu son duodénum, une partie de son intestin grêle, conduisant à une péritonite. Il ne faisait aucun doute que quelqu'un l’avait violemment blessée. Or la détective principale en charge de l’affaire n'a jamais enquêté sur l’heure de la blessure mortelle de Rachel, supposant simplement qu'elle avait été infligée la veille de sa mort, conduisant à l’arrestation immédiate de Barry Lee Jones. Dans sa décision cassant sa condamnation, Timothy Burgess a qualifié ce travail de «précipitation au jugement», car L'Etat a fondé toute sa théorie du crime sur la seule fenêtre temporelle du 1er mai, journée au cours de laquelle Barry a été vu avec Rachel faisant de courts trajets dans sa camionnette. Il était désormais clair que l'état de Rachel n'aurait jamais pu se dégrader aussi rapidement. «La chronologie appliquée pour condamner Barry ne correspond plus, a rétorqué Richard Clifton, juge au 9e Circuit, à Myles Braccio. Nous approchons de l'anniversaire d'OJ (Simpson, nda) et les choses ne sont pas vraiment claires. Tu dois l'acquitter, non?» Dans cette cour réputée pour être la plus libérale du pays, Richard Clifton, 68 ans, fait partie des magistrats les plus conservateurs. A ses côtés, Johnnie Rawlinson, un ancien procureur du Nevada, n’est pas un tendre, et le troisième membre, sans aucun doute le plus libéral, n’est autre que Paul Watford, nommé par Barack Obama. Idéologiquement, c’est donc un pot pourri, et si désaccords il y avait, ils étaient bien difficiles à discerner.

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