Zone rouge (7/8)

© EU Naval Force Somalie
Une activité importante de la force navale de l'UE - Somalie est la localisation et l'appréhension de groupes d'action de pirates (PAG) effectuées sur la base de rapports d'observation par des navires marchands et des avions de patrouille maritime et de reconnaissance (MPR). 11 octobre 2012. 

La corne de l’Afrique a toujours été considérée comme une zone de navigation dangereuse. La guerre, née de rivalités claniques ancestrales, y a développé une criminalité endémique.

Passé le détroit de Bab-el-Mandeb, que Joseph Kessel a traversé sur le boutre d’Henry de Monfreid, la navigation va se révéler dangereuse durant les prochaines heures. Devant nous s’ouvrent le golfe d’Aden et la mer d’Arabie. L’augmentation constante du trafic maritime depuis l’ouverture du canal de Suez a nourri la convoitise des pirates, toujours mieux organisés et lourdement armés par des organisations criminelles. Le jour s’est levé, la mer est en apparence déserte et le regard porte au-delà d’un mille nautique. Nous allons pénétrer dans les eaux réputées les plus mal famées de la planète. L’équipage s’affaire depuis l’aube à sécuriser le navire. Une indiscrétion nous parvient: des tireurs d’élite seraient à bord…

Depuis un demi-siècle, la piraterie a pris un tour auquel on ne s’attendait plus; les prédateurs à la jambe de bois n’étaient plus de ce monde, ils s’étaient réfugiés dans les livres et le cinéma les avait rangés au magasin des accessoires de comédie. Certes, ils sévissaient encore sous une forme endémique en quelques points du globe, mais ils n’étaient devenus que les épiphénomènes d’une histoire en déliquescence. On les croyait éradiqués pour toujours, gommés des journaux de bord et de nos mémoires. L’université en avait fait des sujets de thèses. «La piraterie est un marché sur le déclin», pouvait écrire Michaël Laver dans une étude de sciences politiques intitulée Crime-partie. Pour autant, la délinquance maritime n’était qu’en sommeil et ne demandait qu’à reprendre du service partout où la précarité des populations côtières lui en donnerait l’opportunité. Relevant de l’histoire des hommes et de leurs relations avec la transgression des lois et le manquement à la morale sociale universelle, elle se conjugue à tous les modes et s’adapte à toutes les situations. Aussi, sa résurgence allait être planétaire. Toutes les mers sont désormais touchées par le phénomène, dont la propension accompagne les situations troublées de l’histoire et ses changements de nature: politique, économique et social. «La piraterie appartient à l’humanité comme un parasite à sa branche», écrivait jadis le journaliste Gilles Lapouge ou, plus prosaïquement, «comme un acte illégitime de violence, de détention, ou de déprédation commis pour des buts personnels par l’équipage ou les passagers d’un navire privé», aux termes de la Convention de Genève sur la haute mer de 1958. Ainsi, les enfants de Barbe Noire défrayent-ils à nouveau la chronique par le nombre et souvent la violence de leurs actes. Les assureurs maritimes constatent et déplorent cette situation sans lui trouver de remèdes efficients, tandis que le législateur et la police s’efforcent d’enrayer le «génie» de ces écumeurs des temps modernes. Un ancien officier de la marine marchande me raconta qu’il fut le témoin d’une attaque à bord de son cargo, affrété par la compagnie des Chargeurs Réunis. C’était un vraquier de dix mille tonnes chargé jusqu’à la ligne de flottaison qui avait fait de nombreuses escales en Orient et dont l’itinéraire était connu, surveillé par le crime organisé. L’agression était donc préméditée. A deux heures du matin, tandis que le Cypria était au mouillage, les ponts et les coursives avaient été envahis par une bande de pirates montés à l’abordage au moyen d’échelles et de grappins. Dans sa bannette, le lieutenant Moniot Beaumont fut réveillé en sursaut. Je lui demanderai par la suite de raconter sa mésaventure dans l’ouvrage Vues sur la piraterie, un collectif dont je dirigerai les contributions pour le compte des éditions Tallandier. Peu de choses ont changé dans l’art et la manière dont les pirates s’affranchissent des conventions internationales. Leur univers est une guerre sauvage et brutale et leurs victimes innocentes en paient le prix fort. En voici quelques extraits: «J’ai quitté mon quart à vingt-trois heures. Ma veille s’était effectuée sans histoire, je n’eus rien à signaler. Le second capitaine avait donné l’ordre de disposer des projecteurs le long du bord afin d’éclairer les coins sombres des cales. Puis, à deux heures du matin, une cavalcade se fit entendre dans les coursives. Des portes claquèrent. Des cris résonnèrent entre les portes étanches. Lorsque je sortis de ma cabine, des pas se rapprochaient. Après un rapide coup d’œil sur l’escalier, je montai les échelles quatre à quatre afin de rejoindre la passerelle, où le commandant tentait d’alerter les autorités portuaires. Des matelots couraient sur le pont principal. Les projecteurs des navires voisins balayaient la rade de larges pinceaux lumineux, après avoir pris conscience que nous étions victimes d’une attaque. Nos appels étant restés sans réponse, le commandant me demanda de contacter le port en morse au moyen d’une lampe torche. Puis il m’ordonna d’éclairer le gaillard dans ses angles morts et sous l’étrave, partout où le navire est le plus vulnérable. Mais il était déjà trop tard: les pirates avaient dû se terrer sur le pont, où les cachettes ne manquent pas. Je pensai à éteindre les feux de mâts qui nous éblouissaient, mais le navire deviendrait encore plus dangereux pour nous, qui étions peu formés à cette guérilla de pont. La bataille était imminente. Le commandant hurlait ses ordres au porte-voix. La sirène continuait de mugir. Invisibles, les pirates exploitaient l’avantage de la surprise. On n’était plus dans un roman. De mon poste, j’aperçus quelques ombres furtives: ils étaient là! Pris au piège d’un projecteur, deux d’entre eux sautèrent à la mer tandis qu’ils étaient mis en joue par nos hommes. Le geste était menaçant, mais les armes de poing qu’ils brandissaient n’étaient que des revolvers de parodie qui tiraient des plombs inoffensifs! Quand une violente lumière vint éclairer le gaillard du Cypria… Elle m’aveugla, mais j’eus de temps de voir les pirates, jusqu’ici tapis dans l’obscurité du pont, sauter par-dessus bord: je les vis qui surgissaient de partout, vomis par la nuit soudain trouée d’une lumière venue de la mer. Nos matelots leur donnèrent la chasse tandis qu’une vedette de la police portuaire arrivait sur notre zone de mouillage et s’apprêtait à nous aborder sur bâbord. Il y eut encore des cris, des embarcations de fortune qui s’enfuyaient dans le faisceau d’un projecteur. Puis un silence pesant retomba sur le bateau.» Les pirates? Il en avait entendu parler. Mais il ne prêtait guère l’oreille à leurs exploits. Aujourd’hui, il sait qu’ils existent: il les a rencontrés.

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