Une approche quantique du bonheur (1/2)

© Julien Heimann

La 22e édition des Journées photographiques de Bienne, dont sept.info est partenaire, interroge la notion de bonheur alors que son injonction se fait de plus en plus pressante dans nos sociétés.

En tant que droit humain inaliénable, la recherche du bonheur est devenue un but ultime, un produit marketing développé dans d’innombrables ouvrages de développement personnel et autres séminaires d’optimisation. Mesuré au moyen de l’indice du Bonheur National Brut ou du nombre de followers d’une génération Y, il semble désormais pouvoir être contrôlé. Réel, fantasmé ou illusoire, les images exposées témoigneront de sa quête et de sa construction, personnelle ou collective, paradoxale parfois.

Dans les années 60 et 70, la Suisse a connu un épisode de trouble interne: la lutte pour l’indépendance du canton du Jura. Durant cette période, le pays a subi plusieurs attaques «terroristes» commises par le Bélier, un groupe séparatiste militant par des actions comiques, absurdes et presque toujours non-violentes. Le projet LIBRE du photographe suisse Thomas Brasey explore le territoire oppressant, quasi guerrier, du Jura en quête des vestiges de ce combat, et retrace quelques actions marquantes du Bélier. Ces mises en scènes, jouées par les protagonistes originaux, sont un hommage à l’activisme politique propre au Bélier: humoristique, voire un peu loufoque.

Après avoir photographié différentes collections privées d’art contemporain en Europe, Nicolas Delaroche a investigué La Chine. First Seen explore 30 collections privées du premier marché mondial de l'art avec la même approche dans le but de produire un dialogue entre les œuvres d’art et l’habitat. Nicolas Delaroche introduit, à travers cette série, une nouvelle esthétique de la composition qui répond à l’environnement chinois et pour laquelle il a développé un accrochage inspiré des collections visitées.

En 1991, après la fin de la guerre froide et la dissolution de l'Union soviétique, l'Ukraine gagne son indépendante. En 2014, la révolution ukrainienne conduit à l'annexion de la Crimée par la Russie et à la guerre au Donbass. Let Us Not Fall Asleep While Walking dépeint l'état psychologique d'un pays qui cherche à construire son avenir tout en demeurant lié à son passé et sa mémoire collective. Dans ses images de la vie quotidienne, le temps semble figé mais pas sans espoir.

Les likesretweets , followers  et autres friends  contribuent à la mise en place d’un système de valeurs basé sur la popularité. Constant Dullaart a constaté qu’un grand nombre d’entre eux sont générés par des programmes informatiques utilisant aléatoirement des photographies et des noms trouvés en ligne. Dans son travail High Detention, Slow Delivery, l'artiste brouille les pistes: il a acquis en masse des faux followers Instagram, qu'il a attribué, en nombre identique, à plusieurs utilisateurs de ladite plateforme. Résultat: il devient, dès lors, impossible de mesurer la popularité de chacun.

En 1517, Martin Luther secoua le pouvoir de l'Eglise catholique et provoqua des changements fondamentaux dans la foi chrétienne. La Réforme ne se traduit pas seulement par la coexistence de communautés ecclésiastiques, mais aussi par la vie quotidienne dans de nombreuses régions d'Allemagne, d'Europe et du monde. A la recherche des traces du protestantisme, Jörg Gläscher a rencontré des gens et des paysages emprunts des idées de Luther. Son projet photographique Lutherland nous invite à réfléchir aux racines religieuses et aux valeurs qui fondent la cohésion de notre société.

Dans le travail In-between de Julien Heimann, l'élève se retrouve coincé entre l’école et la famille. Cette relation, imposée par le système, peut se révéler riche et simple, mais aussi tendue et complexe. Elle nécessite beaucoup d’énergie et d’attention, afin de favoriser un dialogue permettant d’atténuer les incompréhensions. La réalité des vies est toujours plus complexe que ce que l’image publique donne à voir. Il faut aller chercher la vérité dans les plis de la vie, de sorte que les fausses perceptions ne se transforment pas en une gangrène fatale à la relation. La compréhension de l’autre, dans sa complexité, permet d’éviter de le réduire à ce que l’on voudrait qu’il soit et est essentielle à l’épanouissement de chacun.

A l’aide de combinaisons spatiales prototypes et de régimes alimentaires composés uniquement d'aliments lyophilisés, certains consacrent des semaines ou des mois de leur vie à simuler l'environnement martien pour se préparer au jour où il faudra quitter la Terre. Avec Mars on Earth, Cassandra Klos s'intéresse à ces pionniers et leur souhait de participer à la recherche en exploration spatiale. Les sites de simulation tels que HI-SEAS ou MDRS créent une expérience qui brouille les frontières entre la réalité et la fantaisie; un univers où l'air est irrespirable, où le contact avec les êtres chers est limité et où la dépendance et la coopération des membres d'équipage est au centre des préoccupations.

Le projet à long terme Amicezia raconte l'histoire du parcours géographique et artistique de Jaromir Kreiliger. Les images reflètent son environnement immédiat et l'intérieur de son âme. Cette synthèse de moments vus et ressentis forme une œuvre révélatrice de ces lieux. Le mot Amicezia qui signifie amitié et amourvient de la langue rhéto-romane.

Mandatée par la ville de Genève pour l'Enquête photographique genevoise, Elisa Larvego a réalisé un reportage sur l'angle sociétal du monde du sport dans la cité de Calvin. Elle s’est introduite durant six mois dans les clubs et lieux sportifs genevois dans le but de saisir l’instant éphémère de l’après sport chez les 18-30 ans. Son regard d’auteur, porté sur l’humain, nous présente une vingtaine de disciplines sportives, les faisant dialoguer avec l’environnement dans lequel elles sont pratiquées. Le résultat forme une mosaïque de portraits de jeunes sportifs, regards souvent pointés sur l’objectif, et constitue un témoignage éloquent des pratiques sportives actuelles chez les jeunes.

Depuis la guerre froide, tous les premiers lundis du mois (De Eerste Maandag van de Maand du nom de sa série), une alarme retentit aux Pays-Bas. Ce son, censé avertir les citoyens de l'approche du danger, envahit l'environnement pendant 1 minute et 26 secondes. En 2020, la sirène sonnera pour la dernière fois. Thomas Kuijpers a commencé à filmer ces scènes dès 2014. Sa vidéo illustre l'absurdité de la relation entre cette alarme et l'environnement paisible dans lequel elle se manifeste.

Extraits des Journées photographiques de Bienne du 4 au 27 mai 2018.