La «Reine de la torture» à la CIA (1/2)

Alfreda Frances Bikowsky ou l’innommable de la CIA... Les médias américains taisent le nom de cette officier supérieure qui a débusqué ben Laden. Et pourtant, celle qui passe pour «la Reine de la torture» mérite d'être mieux connue, notamment pour sa part de responsabilité dans les attentats de New York.

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Auparavant inconnue, la carrière d'Alfreda Frances Bikowsky a été adaptée au cinéma en 2012 dans Zero Dark Thirty.© Pascal Nemeshazy

Son nom ne s’étale pas dans les journaux américains. Il le devrait. Le New Yorker l’appelle la «Reine de la torture», pour la chaîne de télévision américaine NBC elle est «l’Experte»; l’agence Associated Press la désigne par son second prénom, Frances. En 2011 deux journalistes indépendants qui réalisent un documentaire radio sur les attentats du 11 septembre prévoient de la nommer. La CIA montre les muscles et les journalistes renoncent. Seul le Washington Post se hasarde en décembre 2014 à la désigner, du bout de la plume, comme cliente de l'un des avocats les plus exclusifs de Washington, celui des hommes de l’ombre. Sinistre héroïne des guerres secrètes américaines, elle est au cœur des dérapages dans la lutte contre le terrorisme islamiste depuis le début du siècle. Officier supérieure de la CIA avec rang civil de général, elle est toujours en fonction. Les Américains n’ont pas pour habitude de plaisanter avec ceux qui révèlent l’identité de leurs agents secrets. Aux Etats-Unis, écrire son nom, le prononcer même, peut entraîner une peine de prison de plusieurs dizaines d’années. Voilà pourquoi jusqu’à présent aucun des grands médias papier et audiovisuels américains n’a osé rendre public le nom d’Alfreda Frances Bikowsky. Ce ne sont pourtant pas les occasions qui manquent, depuis qu’Hollywood l’a rebaptisée Maya en lui donnant les traits de Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty, le film de Katherine Biglow, consacré à la traque et l’exécution d’Oussama ben Laden. En 2014, elle enflamme à nouveau les médias, cette fois sur la question de la torture. Alfreda Bikowsky et ses collègues de la CIA se sont battus bec et ongle pour empêcher la publication du rapport d’une commission d’enquête sénatoriale sur le sujet. Les sénateurs ont dû batailler pour que leur rapport paraisse enfin en décembre 2014, sous une forme censurée. Parmi tous les noms retirés, celui d’Alfreda. Mais la CIA ne peut rien faire contre internet. En 2011, Sibel Edmonds, une ex du FBI reconvertie en lanceuse d’alerte, brise le tabou et publie sur son site internet le nom de l’innommable. Un scoop vite étouffé et englouti dans les méandres de la toile. Le nom d’Alfreda s’est malgré tout répandu, elle a droit à sa page Wikipédia. Fin décembre 2014, The Intercept ose l’impensable et balance Alfreda Bikowksy sur le web, dans un article consacré «à la femme qui est au cœur du scandale de la torture de la CIA». The Intercept n’en est pas à ça près. C’est la revue du blogueur de choc Glenn Greenwald et du lanceur d’alerte le plus recherché de la planète, Edward Snowden.

Alfreda Bikowsky n’est pas que la «Reine de la torture», elle est beaucoup plus que cela. J’ai entendu parler d’Alfreda pour la première fois en 2011, lors de mon enquête sur les racines du 11 septembre. Plus par manque d’informations concrètes que par prudence, je me suis gardé de la mentionner dans mon livre (11 septembre, la contre-enquête) ou dans mes deux films (Les routes de la terreur) diffusés notamment sur Arte et la TSR. L’heure n’était pas encore venue de conter l’histoire de ce personnage qui s’est épanoui dans le côté obscur de la force impériale. Elle l’est désormais. A l’époque je ne savais qu’une chose d’elle: Alfreda Frances Bikowsky aurait dû être renvoyée avec pertes et fracas de la CIA au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, en raison de son rôle plus que trouble dans cette affaire. Depuis, j’en ai appris un peu plus sur cette enfant prodige de la CIA qui a rejoint l’agence à l’âge de 25 ans, au sortir de la fac. Analyste à la division soviétique, elle sait ses jours professionnels comptés: le mur de Berlin vient de tomber, Alfreda se cherche un nouvel ennemi. Elle le trouve en la personne de l'un des anciens protégés de l’agence, Oussama ben Laden, qui vient de retourner contre les Américains un djihad entamé en Afghanistan face à l’ours soviétique. Alfreda est l'une des premières recrues d’Alec Station, l’arme secrète de la CIA contre Al-Qaïda lancée en 1996. Alec est la seule station de la CIA située sur le territoire américain. Simple analyste au début, Alfreda travaille avec des dizaines d’agents dans des bureaux anonymes d’une tour de Tysons Corner dans la banlieue de Washington à deux pas d’un monstrueux centre commercial. Tous sont animés de la même obsession: tuer Oussama ben Laden. A leurs côtés œuvrent des dizaines d’agents d’autres administrations (FBI, NSA, IRS, DIA…) chargés de faciliter leur tâche et de servir de liaison avec les autres administrations. Ils sont placés sous l’autorité de la CIA de laquelle ils dépendent entièrement.

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