Donald et les tours de passe-passe (1/4)

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Façade de la Trump International Hotel and Tower de Chicago, Illinois. 

De Panama à New York, en passant par Istanbul, Bombay, Bakou et Manille, les monuments à la gloire de Donald Trump fonctionnent comme des aimants à mafieux et des pièges à fric.

Comme pour l’empire de Charles Quint au XVIe siècle ou celui de la reine Victoria au XIXe, le soleil ne se couche jamais sur l’empire des Tours Trump. De Panama à New York, en passant par Istanbul, Bombay, Bakou et Manille, les phalliques monuments à la gloire de Donald fonctionnent comme des aimants à mafieux et des pièges à fric, le premier élément expliquant le second. La première fois qu’une tour Trump est partie à l’assaut d’un ciel autre que celui des Etats-Unis, ce fut à Panama. Il s’agissait, une fois de plus, d’un rêve fou, celui d’un industriel colombien d'origine libanaise, Roger Khafif. Son business c’est l’import-export de vêtements mais, comme Donald, il est fasciné par l’idée de bâtir sa tour. En 2005, Panama City connait un boom immobilier. En dépit de ce contexte propice, son projet apparait démesuré à Khafif, hors de ses capacités. Pour réaliser l’opération, il a besoin d’un véritable promoteur. Il pense à Trump. Donald n’a-t-il pas un lien, certes ténu, avec Panama? Il y est venu, en 2003, à l’occasion de l’élection de Miss Univers? Khafif s’accroche à cet espoir et demande à un ami commun de lui organiser une rencontre à New York.
- Le type a un gros ego, il aime les jolies choses et, boum, le Panama est en train d'exploser. Alors, baby, s'il y a un bon moment, c'est maintenant, lui explique-t-il.

Le rendez-vous obtenu, Khafif, intimidé, franchi la porte du bureau de son grand homme comme on entre dans le saint des saints. Tout, dans ce projet de tour, est improbable. Pourquoi Donald s’associerait-t-il avec un Colombien d’origine libanaise pour sa première incursion à l’étranger? «Si Khafif semblait un partenaire peu crédible, le Panama paraissait un endroit bizarre pour un projet qui allait devenir une sorte de modèle pour les accords de licence internationaux de Trump, écrit ProPublica. Le pays était plus connu comme un rouage du commerce de la drogue en Amérique latine que comme une destination touristique. C'était un endroit où les profits illégaux pouvaient être transformés en argent liquide utilisable. Le blanchiment d'argent a contribué à alimenter la prolifération des gratte-ciels qui ont donné à la ville de Panama sa silhouette élégante et ultramoderne.» Donald se montre intéressé. «C’est fan-tas-tique», conclut-il après avoir écouté son visiteur. Il ne voit dans ce projet qu’un seul problème: il a horreur de quitter les Etats-Unis et déteste prendre l’avion. Khafif blêmit. Il interprète le propos comme une fin de non-recevoir.Le lendemain son téléphone sonne.
- J'entends une voix qui ressemble à celle de Trump, explique-t-il à ProPublica, mais j’ai pensé que c'était un ami qui me faisait une blague. Deux minutes plus tard, j'ai réalisé à qui je parlais et j'ai dû m'excuser.
- J’adore votre projet. Je vous envoie Ivanka, lui dit Donald.

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Ivanka Trump dans The Apprentice, en 2004. © NBCUniversal, Inc.

Dépêcher Ivanka sur place trahit l’importance du dossier. Ivanka, sa fille et celle de sa première épouse Ivana. Ivanka, la prunelle de ses yeux. Ivanka, la femme qu’il aurait rêvé courtiser si elle n’avait pas été sa fille. Lorsqu’elle débarque à Panama, en 2006, Ivanka a tout juste 24 ans. Rien ne l’a préparée à nager dans les eaux troubles panaméennes, au milieu d’escrocs et de trafiquants divers, si ce n’est une solide hérédité familiale et la certitude d’être sortie de la cuisse de Jupiter. Elle a terminé ses études universitaires à Georgetown et elle vient d’enregistrer cinq épisodes de la saison 5 de The Apprentice. Au pied levé, elle a remplacé l’un des juges. Avec un tel bagage, le monde ne peut être qu’à elle. Elle explique à Time: «Le Panama est un pays spectaculaire et prospère, qui change de jour en jour. C'est incroyable de voir la croissance de Panama City de mes propres yeux». Khafif tombe sous le charme à son tour et ose un blasphème: «Parfois, je pense qu'elle est même plus intelligente que son père sur certains points.» Le contrat est signé à New York en 2006, le jour même où le président panaméen, Martín Torrijos, annonce un spectaculaire élargissement du canal, pour un montant de 5,2 milliards de dollars. Roger Khafif est aux anges: «Quand vous pensez à Sydney, vous pensez à l'Opéra; quand vous pensez à Paris, vous pensez à la Tour Eiffel; et quand vous penserez à Panama vous penserez à cette tour». Il ambitionne, ni plus ni moins, de changer l’image du pays. Exit le Panama de Noriega, le général trafiquant de drogue qui dirigea le pays de 1983 à 1989, place au Panama de Donald.

Baptisée Trump Ocean Club International Hotel, le bâtiment est «trumpien» en diable. Coût du projet: 400 millions de dollars, soit 20 fois plus que la moyenne à Panama City. Avec 70 étages, la tour est 20% plus haute que le bâtiment d'AOL-Time Warner à New York. Le nombre d’unités à vendre s’élève à 1'080. Outre les appartements de luxe, il y aura un hôtel cinq étoiles, six restaurants, un casino façon Las Vegas et un yacht club privé sur l'île Saboga toute proche. Dans une vidéo promotionnelle réalisée en 2011, Ivanka fait l'éloge «des magnifiques terrasses de la piscine» et «de notre spa de 10'000 pieds carrés». Buenos dias, dit-elle. «Bonjour, je suis Ivanka Trump. Bienvenue au Trump Ocean Club International Hotel and Tower, à Panama (...) nous nous sommes inspirés de la beauté qui nous entoure pour créer un nouveau point de repère pour Panama». «J’y crois, renchérit Khafif, nous avons parié 400 millions de dollars dessus.» Nous? Qui nous? Le financement de la Trump Ocean Club International Hotel est à l’image du Panama: opaque. Depuis qu’au début 2000, il a accédé au rang de star internationale grâce à son émission de téléréalité, Donald a officiellement renoncé à s’occuper de construction. Il s’est lancé dans la franchise et la vente de services. Dans une vidéo promotionnelle concernant cette nouvelle facette de ses activités, il explique: «Quand la première saison de The Apprentice a finalement été tournée, j'ai pu retourner à mon activité principale, l'immobilier, et j'ai fait des affaires vraiment incroyables».

Pour la tour de Panama City, Donald vend son nom pour un million de dollars. Il ne se borne pas à cette rentrée financière, il est prévu qu’il perçoive son pourcentage sur tout: les ventes d’appartements, les services et même les minibars! Les financiers qui rencontrent Donald à l’époque ont l’impression qu’il a aussi une participation dans le projet. Reste à savoir d’où elle pourrait venir. Certainement pas de ses partenaires américains traditionnels. Il est grillé auprès des banques depuis la faillite de ses casinos. La Deutsche Bank? Il a déjà beaucoup tiré sur cette corde et il entend l’utiliser pour d’autres projets. «Trump a une carte à jouer sans laquelle la tour n'aurait probablement jamais été construite, explique ProPublica. Sa relation de deux décennies avec la banque d'investissement Bear Stearns. Elle a accepté de souscrire à une émission d'obligations de 220 millions de dollars.» Malgré la crise de 2008, Bear Stearns commence à vendre ces obligations qui sont classées «spéculatives» - junk dans le jargon de Wall Street -, les agences de notation considérant qu’il y a un risque élevé de défaillance. Pas de quoi effrayer les fonds spécialisés et leurs gestionnaires. Ils représentent 80% des premiers investisseurs.

La construction du Trump Ocean Club commence en mai 2007, grâce aux dépôts des premiers clients. Ils ont versé 30% du prix d’achat. Les investisseurs et un crédit-relais sur la vente des obligations assurent le reste du financement. Pour les Trump, ce projet est un triomphe. En novembre 2008, Ivanka se vante d'avoir «vendu 40 unités au Panama le mois dernier». Elle ajoute que, sur cet «immeuble de 1'000 unités, nous en avons vendu plus de 90%». Ces unités, précise-t-elle, étaient «500% plus chères que tout ce que le marché du luxe avait connu avant notre arrivée». Des propos que ProPublica commente sans aménité: «Tout cela était exagéré ou carrément faux». Ils sont comme ça les Trump, toujours à crier victoire même quand se profile l’ombre de la défaite. Dans l’affaire de Panama, accordons leurs des circonstances atténuantes. Cet optimisme affiché a été grandement alimenté par leur premier courtier, un jeune Brésilien, Alexandre Ventura Nogueira. Il a embobiné Ivanka dès leur première rencontre, en 2006. Sur les photos on les voit, elle un peu trop lisse, le sourire contraint, lui propret, bien coiffé. On devine dans son regard, dans son attitude, la dureté de l’homme habitué à traiter avec des trafiquants. Ancien vendeur de voitures, reconverti dans l’immobilier, Alexandre Ventura Nogueira cherche à impressionner la jeune Ivanka. «Elle se souviendra de moi», dit-il à ses amis. Elle n’est, en effet, pas prête de l’oublier.
- Je peux vendre des appartements de la Trump Ocean Club pour trois fois le prix d'unités similaires à Panama City, lui a-t-il expliqué. Pourquoi? Parce que c’est un immeuble Trump. Si j’y arrive je veux être votre principal représentant commercial.
- Vous avez une semaine pour vendre cent unités.
- Je vais même faire mieux, surenchérit le Brésilien. Je vais vendre sans donner de prix aux acheteurs. Tope-là.

Une semaine plus tard, Alexandre Ventura Nogueira annonce avoir décroché 100 options d’achats. Il est devenu le premier vendeur de l’organisation Trump à Panama. La machine à vendre recrute ses acheteurs en Russie. Ils sont accueillis à l’aéroport international de Panama par des chauffeurs en costume qui les conduisent en ville à bord de limousines blanches frappées du logo Trump. Nogueira se prévaut d’avoir placé de 350 à 400 options d’achats, soit un peu moins de la moitié des appartements de la tour. Sur le papier, il y en a pour 100 millions de dollars. Ravi, Donald l’invite, en 2008, à une fête dans sa propriété de Mar-a-Lago. Le Brésilien en profite pour se faire prendre en photo avec Ivanka, son frère Eric et Donald. Qui sont ses clients? Alexandre Nogueira n’en fait pas mystère: des Russes, dont certains liés à la mafia. Pour l’aider, il a fait appel à plusieurs courtiers immobiliers russophones qui, de son propre aveu, ont eu «un passé mouvementé». C’est, par exemple, le cas de Stanislav Kavalenka, accusé au Canada d'avoir «contraint» et «incité» des femmes à se prostituer. Une affaire qui ne sera jamais jugée, faute de témoins. Dans une interview à la télévision américaine NBC, le jeune Brésilien reconnaît: «J'avais quelques clients aux antécédents douteux. Personne ne m'a jamais rien demandé. Les banques n'ont jamais rien demandé. Le promoteur n'a rien demandé et l'organisation Trump n'a rien demandé. Personne n’a demandé: "Qui sont les clients, d'où vient l'argent?" Non, personne n’a rien demandé.»

Il valait mieux. Le courtier n’a ainsi pas eu à dire aux Trump qu’il a vendu des options d’achats d’une dizaine d’unités à David Murcia Guzmán, patron d'une importante société de marketing colombienne et grand blanchisseur de l’argent de la drogue. Surnommé «le roi Midas» ou «le Madoff des pauvres», Guzmán a été arrêté peu après avoir signé ses options et extradé à New York pour y être jugé à propos d’un dossier de blanchiment. Cerise sur le gâteau, la police colombienne l’accuse d’avoir des liens avec les guérilleros des FARC. Comme tout blanchisseur ou trafiquant colombien qui se respecte. Alexandre Ventura Nogueira ne va pas non plus crier sur les toits qu’un autre narcotrafiquant, Louis Pargiolas, a plaidé coupable devant un tribunal fédéral de Miami. Il était poursuivi pour conspiration en vue d'importer de la cocaïne, peu après avoir pris une option pour plusieurs appartements. Il n’y a que peu de journalistes pour s’intéresser à l'identité des acheteurs et des vendeurs. A ceux qui s’y risquent, Nogueira souhaite bonne chance. Nombres d’unités ont été achetées et vendues par l'intermédiaire de sociétés écrans anonymes, montées par ses soins pour la modique somme de 1'000 dollars chacune. Dirigeants de la société Fusion GPS, réputée pour ses enquêtes sans concession sur Trump, Peter Fritsch et Glenn R. Simpson affirment: «(Nous n’avons pas découvert) de preuves concluantes que l'organisation Trump ou ses dirigeants ont sciemment encouragé des activités criminelles. Il n'est pas raisonnable d'attendre de la société qu'elle garde une trace de chaque acheteur d'appartement dans un immeuble de marque Trump, mais la société de M. Trump s'est régulièrement associée à des individus dont les antécédents auraient dû servir de signaux d'alarme.»

En 2009, l’argent vient à manquer. Certains acheteurs se voient offrir des remises importantes s'ils acceptent de régler d'avance le prix d'achat total. L’offre reste sans effet. En février, la notation des obligations de l'Ocean Club est abaissée. Ivanka ne cille pas. Droite dans ses bottes Gucci, elle lance: «Compte tenu de la récession mondiale, le fait que les ventes restent aussi robustes témoigne du produit, de la marque et du Panama. Notre plus gros problème est de ne pas avoir suffisamment de stocks. Il ne nous reste qu'un petit pourcentage de l'immeuble à placer». Quelques mois plus tard, l’agence de notation Fitch baisse encore la cote des obligations. Le chantier se révèle un gouffre financier. Il affiche déjà un dépassement de 27 millions de dollars et les retards s’accumulent. Les acheteurs découvrent, furieux, que la superficie de certaines unités a été réduite ou que le club de plage a été déplacé dans un endroit éloigné, pour finalement n’être jamais construit. Le Trump Ocean Club a été officiellement inaugurée le 6 juillet 2011, avec un an de retard. La veille, dans l'une de ses tonitruantes déclarations habituelles, Donald lâche que les Etats-Unis ont «stupidement» cédé le canal de Panama «en échange de rien». On imagine la tête des Panaméens. Le propos n’empêche toutefois pas leur Président de venir à la cérémonie et de couper le ruban officiel. «Je pense que cet hôtel est vraiment magnifique, se glorifie Donald. Vous regardez la ligne d'horizon du Panama et vous voyez comment il se distingue.»

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Donald Trump, l'ancien président panaméen Ricardo Martinelli et le partenaire colombien de Trump Roger Khafif le jour de l'inauguration du Trump Ocean Club le 6 juillet 2011. © Présidence panaméenne, thepanamanews.com

Au-delà des flonflons de la fête, l’heure de vérité approche. Il convient à présent de convertir en ventes réelles les quelques huit cent contrats d’options que les courtiers ont fait signer depuis cinq ans. Consternation, la moitié des acheteurs n’est pas au rendez-vous! Ils préfèrent renoncer à leurs 30% plutôt que de s’engager plus en avant. L’immeuble est en grande partie désert. Certaines unités enregistrent une décote de 50%. «Le nombre de personnes qui ont abandonné leurs dépôts a largement dépassé les prévisions les plus pessimistes des agences de notation, explique ProPublica. Cela suggère fortement que nombre des personnes qui ont versé des dépôts et qui ont ensuite disparu n'avaient peut-être pas l'intention de faire autre chose que de déposer suffisamment de liquidités pour déclencher l'émission de 220 millions de dollars d'obligations.» La fin de l’histoire s’écrit au rythme des procès intentés aux constructeurs par les acheteurs, pour cause de retards et de modifications des plans. «En 2015, explique le rapport de Pro Publica, une nouvelle révolte se prépare, cette fois-ci venant des propriétaires d'unités de l'Ocean Club. Ils en ont assez de la façon dont les Trump gèrent la propriété - ou plus particulièrement, de la façon dont ils dépensent l'argent de l'association de construction.» Les griefs pleuvent. Les Trump dépasseraient les budgets, s'approprieraient des primes excessives et géreraient mal les finances de l'immeuble. Donald réagi en digne héritier de Roy Cohn. Il attaque les copropriétaires en justice et leur réclame 75 millions de dollars pour rupture de contrat abusive. L’affaire se règlera par un accord confidentiel.

La dernière bataille se déroule en 2017. Un fond immobilier américain, qui possède 202 des 369 unités de copropriété de l'hôtel, poursuit l’organisation Trump devant les tribunaux pour mauvaise gestion. Les Trump contre-attaquent et intentent une action en justice pour «stratagème frauduleux». La guerre est déclarée. La suite tient de la foire d’empoigne. Brandissant une ordonnance de justice en leur faveur, des représentants du fond immobilier cherchent à prendre le contrôle du bâtiment. Les employés de la Trump organization et des agents de sécurité tentent de les en empêcher. Ils n’y parviennent pas. Bousculade, bagarre. Les hommes de Trump reculent. Ils ont dressé des obstacles dans les couloirs afin de gagner du temps. Dans les bureaux, les broyeuses à papier tournent à plein régime. Donald baisse pavillon et quitte le navire panaméen. Peu après, le nom de Trump qui était inscrit en lettres métalliques sur un mur à l’entrée du bâtiment est retiré à l’aide de pieds de biche. Au bar de l’hôtel, on sert un nouveau cocktail, le Stormy Daniels, du nom de cette star du porno qui aurait été payée pour taire ses relations sexuelles avec le futur président des Etats-Unis. Donald n’en a cure. Pour lui, le bilan demeure positif. En dépit de la faillite du projet, d’un taux de défaillance des acheteurs de 50% et de l'expulsion de sa société de la gestion de l'hôtel, il s‘en sort avec entre 30 et 55 millions de dollars de profit.

Les exagérations d'Ivanka concernant les ventes d’unités de l’Ocean Club reflètent une tactique habituelle chez les Trump. Au milieu des campagnes de vente, ils ont tendance à surestimer les résultats. Lors d’interviews et de conférences de presse, Ivanka a communiqué des chiffres exagérés non seulement à Panama City mais aussi pour des projets en Basse Californie et à Toronto. On aurait tort de n’y voir qu’un simple battage publicitaire. Ces exagérations ne sont pas sans effets sur des acheteurs potentiels ainsi induits en erreur quant à la viabilité des opérations. On pourrait multiplier les exemples de fausses déclarations jusqu’à l’écoeurement. En 2009, Ivanka affirme que la tour de Toronto est «pratiquement vendue». Or, seules 24,8% des unités le sont. En République dominicaine, Donald revendique 365 millions de dollars de ventes pour une tour qui n’a jamais été construite. A Fort Lauderdale, les ventes sont affichées comme «pratiquement complètes» en avril 2006, alors que seules 62% des unités ont été placées. Donald finit par retirer son nom du bâtiment avant la fin de la construction. Les mêmes exagérations se retrouvent à Las Vegas (25% seulement des unités vendues), à Tampa (70% des unités achetées pour un immeuble jamais construit).

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La Dominick, anciennement le Trump SoHo, au coin de Varick Street et de Spring Street dans le quartier Hudson Square de Manhattan, New York. © DR

Pour vendre les unités de la tour SoHo, à New York, les Trump ont poussé le bouchon encore plus loin. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, ils éprouvent les plus grandes difficultés à placer leurs unités. La famille est mobilisée: Donald Jr., Ivanka. Le résultat demeure décevant. Pas démontés pour autant, les enfants Trump mentent effrontément aux futurs acheteurs. Cette fois, ils poussent le bouchon trop loin. En juin 2008, Ivanka annonce que 60% des unités ont été vendues, alors que 15% seulement ont été placées, selon une déclaration sous serment d’un partenaire des Trump citée par ProPublica. Furieux d’avoir été floués, certains acheteurs se tournent vers la justice. L’affaire n’est pas réglée pour autant. Le bureau des Crimes économiques majeurs du procureur de Manhattan, qui a été saisi du dossier en 2010, n’a aucune intention de lâcher ses proies. Il entend poursuivre Ivanka et Donald Jr. pour tromperie. Les procureurs travaillent sur le dossier pendant deux ans, se procurent des mails des enfants Trump dans lesquels Ivanka et Donald Jr. discutent de la manière de coordonner les fausses informations communiquées aux acheteurs potentiels. Ils s'inquiètent car un journaliste semble avoir levé le lièvre. Donald Jr. tente de rassurer un courtier qui s'alarme de ces fausses déclarations. Il le fait sans nuance: nul n’en saura jamais rien puisque les seules personnes à être au courant de la tricherie font partie de l'organisation Trump. Pour les substituts au procureur il ne fait «aucun doute» que les enfants Trump «approuvaient, connaissaient, acceptaient et gonflaient intentionnellement les chiffres pour faire plus de ventes, et ils savaient que c'était mal», explique au New Yorker un témoin qui a eu accès à l’échange de mails. Dès le début de l’enquête, l’organisation Trump engage une batterie d’avocats pour représenter Donald Jr. et Ivanka. Les défenseurs vont voir les procureurs, plaident que, certes les enfants Trump ont exagéré, mais leurs propos ne constituent pas un délit. Les procureurs font la moue. L’affaire traîne en longueur. Donald senior décide de prendre le dossier en main. Il convoque les avocats et leur passe une avoinée.
- Il faut stopper l’enquête.
- Oui, mais comment?

Donald a sa petite idée. Son avocat personnel, Marc Kasowitz, entre en jeu. Ce n’est pas un pénaliste mais il connaît bien le procureur du comté de New York, Cyrus Vance Jr. Elu en novembre 2009, Vance est en mauvaise posture. Son image s’est dégradée. Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss Kahn, vient de lui échapper. En outre, il a besoin d’argent pour financer une réélection qui s’annonce difficile. Début 2012, Kasowitz effectue en sa faveur un don de vingt-cinq mille dollars, ce qui fait de lui l'un des plus gros donateurs de la campagne. Dès lors, obtenir un rendez-vous avec le procureur n’est plus qu’une formalité. Comme il de règle, avant la rencontre le comité de campagne de Vance restitue à Maître Kasowitz sa contribution. Il convient de préserver le procureur de tout soupçon de corruption. Le 16 mai 2012, Marc Kasowitz se rend chez Cyrus Vance Jr. pour lui demander d'abandonner les poursuites contre les enfants Trump. Le procureur adjoint et le chef de la division d'enquête sont présents à la réunion, mais pas les substituts concernés, appartenant au bureau des Crimes économiques majeurs. L’avocat ne dispose d’aucun élément nouveau et se borne à répéter les arguments déjà avancés par ses collègues. Trois mois plus tard, revenant sur les décisions de ses substituts, Cyrus Vance Jr. abandonne les poursuites. Les enfants Trump l’ont échappé belle. Maître Kasowitz lui-même n’en revient pas. Ses collègues l’entendent dire: «Incroyable! Je les ai fait acquitter». Moins de six mois après l’abandon des poursuites, Kasowitz effectue un nouveau don à la campagne de Vance. Le montant a doublé: plus de 50'000 dollars. Il explique au New Yorker que ce geste n’a aucun lien avec le dossier des enfants Trump. «J'ai fait un don parce que j'ai été, et je reste, extrêmement impressionné par Cyrus Vance Jr., en tant que personne d'une intégrité irréprochable, en tant que brillant avocat et en tant que fonctionnaire aux idées créatives et aux capacités extraordinaires. Je n'ai jamais apporté de contribution à la campagne de qui que ce soit, y compris celle de Cyrus Vance, en contrepartie de quoi que ce soit».

Interrogé à son tour par le New Yorker, cinq ans plus tard, Cyrus Vance Jr. annonce qu’il «prévoit de rendre la deuxième contribution de Kasowitz.» Il ajoute: «Je ne veux pas que l'argent soit un boulet pour qui que ce soit, y compris pour ce bureau.» Des diverses tours qui symbolisent l’empire Trump, il en est une que, en dépit de ses exagérations et de ses tripatouillages, Donald n’a pu sauver du naufrage. La presse américaine a dit qu’elle constitue sa plus mauvaise affaire. Elle se situe à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. Une localisation aussi exotique qu’improbable pour un hôtel cinq étoiles. Elle fait rimer corruption avec gardiens de la révolution. La Trump International Hotel & Tower Baku est, comme pour Panama City, une franchise. Un journaliste américain décrit l’objet: «En approchant du centre-ville, une tour au bout de l'avenue capitale d’un Etat riche en pétrole, l'Azerbaïdjan, se dresse devant vous. Haute de trente-trois étages et courbée comme une voile. L'immeuble est clairement inspiré de l'hôtel Burj Al Arab, de Dubaï, mais il est plus carré et moins élégant. Lorsque j'ai visité Bakou, en décembre (2016), cinq énormes lettres blanches brillaient au sommet de la tour: T-R-U-M-P. Le bâtiment, un hôtel cinq étoiles et une résidence appelée Trump International Hotel & Tower Baku, n'a jamais ouvert ses portes bien que, de la route, il semble prêt à accueillir le public. L'accès à la propriété est étonnamment difficile; la tour se dresse au milieu d'une multitude de rampes d'accès, de sorties et de passages supérieurs. Pendant les neuf jours que j'ai passés en ville, je me suis rendu sur le site une demi-douzaine de fois et, à chaque fois, j'ai eu un échange comique avec un chauffeur de taxi qui n'avait aucune idée de la combinaison de virages qui mènerait à l'entrée du bâtiment.» Quelle étrange idée de construire un palace dans la partie la plus sous-développée de Bakou, à deux pas d’une ligne de chemin de fer, loin, très loin, du quartier des affaires? Côté distraction c’est le désert, seul un supermarché discount le dispute à des bars à narguilé. On jurerait que la tour n’est pas faite pour être habitée. D’ailleurs, elle n’est pas habitée. L’hôtel n’a jamais ouvert.

L’organisation Trump arrive dans l’opération en 2012, tardivement, alors que la tour est sur le point d’être achevée. Les promoteurs peinent à trouver des clients. Pour sortir de l’impasse, les Trump entreprennent de transformer le bâtiment en hôtel de luxe. Il est trop tard. Le boom de la construction, qui a marqué Bakou, est terminé. Le taux d'occupation des hôtels de luxe peine à atteindre les 35%. En dépit des risques Donald se lance néanmoins. Fidèle à lui-même il survend l’opération: «Trump International Hotel & Tower Baku représente le standard d'excellence inébranlable de l'organisation Trump et notre implication dans les meilleurs projets de développement mondiaux. Lorsque nous ouvrirons, en 2015, les visiteurs et les résidents pourront profiter d'une propriété luxueuse, comme il n'en existe nulle part ailleurs à Bakou. Elle sera parmi les plus belles du monde». A l'origine, le budget de construction de la Trump Tower Bakou était de 195 millions de dollars. Il a explosé. La tour a été conçue par un architecte local. Il l’a dotée d’un toit disgracieux, en forme de couronne. Un cabinet d'architecture londonien redessine l’immeuble, adouci les bords, change la forme de la toiture. Les Trump demandent que les nombreuses résidences déjà construites soient également modifiées et imposent l’ajout de plusieurs ascenseurs. Qui va superviser l’opération? Ivanka, bien sûr. Donald continue de la regarder avec les yeux de Chimène. Après s’être frottée aux blanchisseurs panaméens, sa fille adorée va devoir se mesurer aux ripoux azerbaïdjanais.