Donald et les tours de passe-passe (2/4)

© Michael Vadon
Ivanka Trump lors d'un meeting politique en Pennsylvanie, le 13 septembre 2016.

Ivanka Trump, la fille chérie du président américain, est son atout charme. Vice-présidente du département Développement et Acquisitions de la compagnie de son père, The Trump Organization, elle s'est notamment occupée de ses projets pharaoniques de tours à travers le monde.

Huit années se sont écoulées depuis le fiasco panaméen. Ivanka Trump est une femme aguerrie et résolue qui débarque à Bakou. Elle a pris du galon. Elle arbore le titre ronflant de vice-présidente, directrice du développement et des acquisitions. Elle entend apporter une vision plus globale à l'entreprise familiale. La cheffe c’est elle, et elle le fait savoir dès son arrivée sur le chantier, en octobre 2014. En théorie, elle n’est là que pour visiter et prodiguer quelques conseils. En pratique, elle impose son point de vue. Les cadres de l'entreprise londonienne chargée de la conversion de la tour en hôtel sont impressionnés. Elle les rencontre à Bakou, puis les convoque à New York. Sur son site web, on peut la voir, coiffée d’un casque de chantier, à l'intérieur de l'hôtel à moitié terminé. La légende est digne de la Pravda soviétique: «Ivanka a supervisé le développement du Trump International Hotel & Tower Baku depuis sa création, et elle est revenue récemment d'un voyage dans cette ville fascinante d'Azerbaïdjan où elle s’est informée de l'avancement du projet». Rien ne lui échappe. Elle a son avis sur tout. L’entrée? L’atrium? Le jardin? La cour? L’arrière-cour? Tout, elle doit tout approuver. Pour les boiseries - très important les boiseries! - son choix se porte sur du macassar, du nom d’une ville d’Indonésie, un ébène brun veiné de noir. Ce qu’il y a de plus cher. Pourquoi lésiner puisque ni Ivanka ni son père ne régleront la facture? L’ardoise est pour le constructeur.

En juillet 2015, après l’annonce de la candidature de Donald à l’élection présidentielle, Associated Press, le Washington Post en tête, entreprennent d’enquêter sur le Trump hôtel de Bakou. Ils s’intéressent surtout à l’associé de Donald, l’homme qui a bâti la tour et acheté la franchise Trump pour un million de dollars. Derrière cette transaction se profile l’ombre inquiétante de Ziya Mammadov, ministre des Transports azerbaïdjanais et l'un des oligarques les plus riches et les plus puissants du pays. Anar, le fils de Ziya, traîne dans le sillage des Trump. Playboy de 34 ans, il pèse un milliard de dollars grâce à l'industrie du pétrole et du gaz récupérée après l'effondrement du bloc soviétique. Que Donald et lui se retrouvent n’a rien d’étonnant. Les deux personnages sont hauts en couleur et ils partagent la même passion pour le golf. Eduqué à Londres, où il possède une maison de sept pièces, Anar Mammadov est à la tête de la fédération de golf de son pays. Il ne se déplace qu’à bord d’un Gulfstream G450, d’une valeur de quarante et un millions de dollars. A Washington, il dépense des millions de dollars en fêtes et en galas au nom de l'Alliance azerbaïdjanaise américaine, une structure destinée à promouvoir son pays auprès des parlementaires du Congrès et du Sénat. Les diplomates américains en poste à Bakou multiplient les câbles à Washington pour alerter sur les méfaits des Mammadov et de leurs réseaux de corruption. Rendus publics par WikiLeaks, ces documents diplomatiques ont été repris par la presse. Dans l’un des câbles, un diplomate décrit Ziya Mammadov comme «notoirement corrompu, même au regard des critères de l'Azerbaïdjan». Les journalistes surnomment les Mammadov, les «Corleone de la Caspienne». Le directeur juridique de la Trump organization, Alan Garten, s’empresse d’allumer un contrefeu en affirmant «que le projet d'hôtel de Bakou ne soulève pas de problèmes éthiques pour Donald Trump, car son entreprise n'a jamais eu de relations directes avec Mammadov.» Pour autant, les Trump savent-ils dans quel nid de vipères ils ont mis les pieds? Ont-ils procédé à une évaluation des risques avant de signer avec une des sociétés de Mammadov? Ont-ils eu recours à un de ces cabinets comptables et juridiques qui mènent des enquêtes préalables pour des sommes variant entre dix mille et vingt-cinq mille dollars? Dans le Washington Post, Alan Garten parle d’une «vérification préalable approfondie» qui n’aurait soulevé aucune inquiétude.

De véritables enquêteurs n’auraient pas eu à se fatiguer pour percevoir de multiples signaux d’alerte. Une visite sur le site de WikiLeaks aurait permis de retrouver les câbles confidentiels de l’ambassade des Etats-Unis en Azerbaïdjan. Sans même fouiller dans les documents de Julian Assange, il suffisait de lire les rapports sur le clan Mammadov publiés par Radio Free Europe/Radio Liberty et l’Organized Crime and Corruption Project. S’ils ne l’avaient pas fait, la simple consultation de Foreign Policy, publié six mois avant que les Trump ne débarquent à Bakou, contenant un article intitulé «Les Corleone de la Caspienne», les aurait éclairés. Dans cette documentation accessible, l’élément le plus préoccupant pour un citoyen des Etats-Unis réside sans doute dans les liens étroits qui relient le clan Mammadov aux gardiens de la révolution iraniens, autrement dit les Pasdarans, c’est-à-dire le mouvement qui, pour les Américains, se rapproche le plus de Satan sur cette terre. Sans se fatiguer, les enquêteurs de Trump auraient pu découvrir que Ziya Mammadov, en sa qualité de ministre des Transports, avait attribué une série de contrats, totalisant plusieurs millions de dollars, à des entreprises iraniennes soupçonnées de servir de paravent aux Pasdarans. Là encore, une simple recherche sur internet aurait permis de faire apparaître les connexions entre le patriarche du clan et la famille iranienne des Darvishis, qui est soupçonnée par les Américains d’être au cœur des réseaux économiques et financiers des Pasdarans. L'une de leurs sociétés, spécialisée dans les systèmes de guidage des missiles balistiques, a été sanctionnée par les Etats-Unis pour son rôle dans le développement des missiles nucléaires iraniens.

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