Au dojo d’Inoki à Los Angeles, fondé en avril 2002, l’aventure irakienne de l’ancien lutteur était immortalisée par une photo avec Saddam Hussein affichée à la vue de tous jusqu’en 2007, assure Heddi Karaoui qui a plusieurs fois évolué sous la houlette du Japonais: «L'histoire de la libération des otages, c'est une anecdote qui m'a surpris et qui continue d’étonner les gens. La plupart n'y croient pas.» A en croire le catcheur professionnel français, Inoki aurait même fait l’acquisition d’une île proche de Cuba. «Il s’entendait très bien avec Fidel Castro. Il a même failli organiser le premier match de catch à Cuba en 2016, mais il n’a jamais eu lieu à cause d’un problème avec les responsables cubains.» C’est justement sa volonté de promouvoir ce sport de combat dans des pays moins fortunés qui a contribué à la renommée d’Inoki. «Il avait une vision du catch plus socialiste et véritablement axée sur le sport, contrairement aux Américains et à la WWE (World Wrestling Entertainment, la plus grande entreprise de lutte professionnelle au monde basée à Stamford, Connecticut, ndlr) davantage motivés par l’argent. Inoki n’avait aucun problème à mettre sur pied des tournois dans de petits pays.» Il a par exemple emmené Heddi se produire en Corée du Nord en 2014. Le businessman entretenait des liens étroits avec la dictature dans laquelle était né son mentor Rikidozan. Il disait vouloir favoriser l’ouverture de relations entre le Japon et la Corée du Nord en y planifiant des galas de catch. Opportunité de promotion ou véritable enjeu diplomatique? «A cette époque, plusieurs politiciens essayaient d’établir des liens avec la Corée du Nord, relativise le journaliste Yoshinari Kurose. Peut-être qu’Inoki suivait juste la tendance.» Toujours est-il qu’à Pyongyang, Inoki orchestre un spectacle d’ampleur titanesque, deux jours durant. «Le premier jour, le public applaudissait comme des robots, rembobine Heddi. Le deuxième jour, il était plus démonstratif et expressif. A la fin, tout le monde était triste qu’on parte, il y a eu beaucoup de câlins. C’est là qu’on mesure l’importance du sport: ça crée des amitiés sincères, même entre citoyens de pays supposés ennemis.» Inoki a dépensé des sommes folles pour se produire en Corée, sans aucune retombée financière pour sa fédération. «Inoki était l’un des meilleurs catcheurs, mais c’était le pire dirigeant d’entreprise, se marre Yoshinari Kurose. A chaque fois que la NJPW parvenait à générer des profits, Inoki faisait quelque chose de stupide avec.»
Jusqu’à sa mort, le 1er octobre 2022, à l’âge de 79 ans, Antonio Inoki a tout fait pour rester dans la lumière. Sur son lit d’hôpital, grandement diminué par la maladie, il continuait de poster des vidéos. Poing serré pour démontrer que son fighting spirit ne l’avait pas abandonné.
Le 20 décembre 1963, l’idole des rings est enterrée dans le cimetière du temple bouddhiste Honmon-ji, à Tokyo; un «cimetière de yakuzas», selon l’ancien journaliste spécialisé dans le crime organisé japonais et auteur du Dernier des yakuzas, Jake Adelstein. Y repose notamment Hisayuki Machii qui a dirigé le Tosei-kai, la mafia coréenne au Japon, et entretenu de solides relations avec Rikidozan. «Ce fut une très mauvaise publicité pour les yakuzas, poursuit Jake Adelstein. C’était comme si la mafia avait tué Babe Ruth (célèbre joueur de baseball américain qui fit carrière de 1914 à 1935, ndlr)» Une simple lame a eu raison de celui que les Japonais considéraient invincible. Des milliers de personnes sont venues de tout le pays pour assister à la cérémonie publique. Le deuil est d’ampleur nationale, le choc immense. «La mort de Rikidozan a eu un énorme impact sur les Japonais, précise Yoshinari Kurose, journaliste au Sankei Shimbun, l’un des trois grands quotidiens nationaux. Il était notre héros. Après la Seconde Guerre mondiale, les Japonais des années 50 étaient dévastés à l’idée de devoir rebâtir le pays. Mais Rikidozan leur avait montré qu’ils pouvaient se battre.»