Franchir la ligne... vivant

La retraite sportive? Jamais de la vie! Immersion parmi ces vieux compétiteurs helvétiques, de plus en plus nombreux, qui s’entraînent tout aussi dur que les jeunes pour décrocher des médailles nationales et internationales. Dans l’anonymat le plus complet.

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© Chrigel Farner

Margaritha Dähler remonte la rampe du garage façon pilote de course au sortir des stands et traverse le carrefour en frôlant les orteils des auxiliaires de circulation. Devant la gare centrale de Berne, elle se rabat sans crier gare sur la bande réservée aux bus, suscitant l’exaspération d’un chauffeur. De son côté, Margaritha poursuit sa route impassible: elle a rayé le mot «problème» de son vocabulaire en cette année 2017. Enfin presque. Elle est sur les nerfs parce qu’elle s’est réveillée ce matin dans le canapé du salon plutôt que dans son lit et parce que la grippe a écourté son programme d’entraînement. Lancers techniques de marteaux en caoutchouc et de médecine-balls, sauts au-dessus de caissons en bois et sur tapis, course en extérieur et en salle, renforcement des pectoraux, des jambes et du dos en salle de musculation sans oublier son entraînement hebdomadaire avec une équipe masculine de volley-ball, parce que les hommes ont un jeu plus rapide et plus rude que les femmes. Voilà comment une septuagénaire se prépare à une compétition de pentathlon.
- Qu’est-ce que tu cherches à compenser? lui demande une amie.
- Des problèmes dans votre vie? s’enquiert son médecin traitant.
- Prends-toi une chambre au club! ricane son mari.
- Tu passes plus de temps au stade qu’à la maison, lui reproche sa fille.

Elle a bien essayé d’orienter sa mère vers un sport plus adapté à son âge, mais les bâtons de marche nordique qu’elle lui a offerts à Noël sont toujours dans leur emballage d’origine.

Sur l’autoroute, Margaritha se faufile entre les semi-remorques et les poids lourds, dépasse les camionnettes de livraison barrées de logos et de slogans plus racoleurs les uns que les autres. Ça joue des coudes, ça dépasse à tout va: il s’agit de faire tourner la machine de notre société de la performance. Margaritha aime quand ça bouge. La performance et tout ce qui en découle ne la gênent pas. Au contraire. Tout sportif le sait: le monde est fait de perdants et de gagnants et celui qui ne revoit pas constamment ses objectifs à la hausse se fait distancer. Jusqu’ici, cette mentalité était réservée aux jeunes athlètes. Pour les seniors, c’était plutôt gymnastique du troisième âge ou Ligue contre le rhumatisme. Des activités où le nombre de tractions ou de pompages comptaient autant que la petite bière après l’effort et que le coup de main à l’occasion de la soirée spaghetti annuelle ou du marché de Noël.

Mais ces temps sont révolus. Pour les seniors sportifs, les nouveaux entraînements d’athlétisme pour masters sont à ces activités d’hier, ce qu’un concert de rock est à une soirée bingo à la paroisse. Rien que le nom – master! Un éloge à la sueur des aînés, mais aussi à tous ces gens qui, encore récemment, «avaient vécu» sur les plans social et professionnel. Aujourd’hui, les seniors reviennent dans la course et reprennent le contrôle de leur vie. Avant, ils s’escrimaient sur les espaliers, aujourd’hui ils s’exhibent sur les engins rutilants des salles de fitness. Jadis, ils faisaient du sport avec leurs collègues, maintenant ils se mesurent à des adversaires dont ils suivent le palmarès sur internet avec le même intérêt que d’autres suivent les cours de la bourse. Jusqu’à un beau jour être sur le devant de la scène et, sous la lumière des projecteurs, monter sur la première marche du podium d’une compétition internationale. Master certes, mais surtout maître de l’univers!

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