Jacques Pous naît en 1935 à Toulouse dans un milieu modeste. Ses dix premières années sont marquées par les épreuves: la maladie de sa mère, atteinte de tuberculose; la lutte quotidienne de son père, issu d’une famille autrefois aisée mais ruinée, pour subvenir aux besoins de cinq enfants. Le tout en pleine Seconde Guerre mondiale. Placé dans différentes familles, en raison bien souvent des allers-retours de sa mère entre la maison et l’hôpital, il vit mal ces séparations et bouleversements constants. Une instabilité qui marquera pour toujours sa vision du monde. La souffrance de ses parents est toujours vivace dans ses souvenirs lorsque nous le rencontrons en mai 2024 au Musée d’ethnographie de Genève. Celle de son père d’abord: alors que les cadeaux offerts par l’usine Latécoère où il travaille vont aux plus jeunes, celui-ci est dans l’incapacité financière d’offrir un cadeau de Noël à son aîné. «L’aîné c’était moi et j’ai eu de la peine pour lui», affirme l’homme de 89 ans. Celle de sa mère ensuite, qui a commencé à travailler à douze ans et qu’il voit revenir en pleurs de chez la bourgeoise où elle faisait le ménage. «L’expérience de la lutte des classes forge une sorte d’aversion pour les inégalités sociales. Bref, je ne peux pas dire que j’adore les bourgeois», avoue-t-il. Même si ce ne sont pas les individus, femmes ou hommes, qu’il incrimine, mais des structures sociales auxquelles il faudra bien un jour régler leur compte. Jacques Pous sera un adolescent et un homme en colère. «Personne ne me dira que l’enfance est le plus bel âge de la vie!»
La sienne prend une tournure plus heureuse à la préadolescence. Certes, les conditions matérielles restent difficiles. Après la guerre, la famille se retrouve à vivre à sept dans une pièce. Finalement, ils déménagent dans la cité ouvrière de La Cépierre, constituée de petites maisons sur un seul niveau destinées aux travailleurs. La cité est sous la coupe du Parti communiste. Quoiqu’il en soit, Jacques Pous affirme que «tout a changé à partir de ses douze ans». Un changement qu’il attribue à son entrée au petit séminaire, une décision prise en partie par hasard. Son père, ne sachant pas où le placer, l’inscrit dans une école préparatoire aux métiers manuels, mais un curé de village le convainc d’entrer à l’école catholique. Il sera pensionnaire au château de Cabirol à Colomiers, dans la grande banlieue de Toulouse, et effectuera son internat sous la direction d’un grand intellectuel spécialiste du Moyen Age, Etienne Delaruelle. Ouvert à des idées progressistes et anticolonialistes, ce dernier jouera un rôle déterminant dans le développement de ses convictions et de sa personnalité. A cette époque, la vie de Jacques, à l’école comme dans sa famille, baigne dans un catholicisme progressiste proche du mouvement des «prêtres ouvriers» et du syndicalisme chrétien. La présence des communistes dans la cité ouvrière le marque profondément, bien qu’il ne participe pas aux activités du parti que son église, dans son immense majorité, considère comme un ennemi mortel de la chrétienté. Ce qui n’empêche pas les personnes qui croient au ciel et celles qui n’y croient pas d’oeuvrer alors ensemble pour améliorer la société humaine. C’est dans ce contexte que Jacques Pous entend parler pour la première fois de la guerre d’Indochine par des militants anticolonialistes, principalement communistes. La lecture de L’Inde devant l’orage de Tibor Mende (Seuil, 1950), qui décrit les conséquences de la colonisation et de la partition de l’Inde, combinée aux discussions avec son entourage, l’influence profondément. La défaite française à Diên Biên Phu en mai 1954 constitue un événement décisif pour son avenir. Tandis que la France est en deuil, Jacques ressent cette défaite comme une victoire pour les Vietnamiens, renforçant ainsi ses convictions anticolonialistes.
Après le petit séminaire, Jacques Pous entre le 15 septembre 1954, quelques mois à peine après la défaite française à Diên Biên Phu, au grand séminaire des Missions étrangères de Paris, une institution spécialisée dans le travail missionnaire en Asie. De plus en plus attiré par l’Inde, notamment après avoir lu des ouvrages sur Gandhi et Lanza del Vasto, il envisage d’embrasser une mission en Asie. Or, ses professeurs sont des religieux récemment expulsés de Chine, du Vietnam du Nord et d’autres régions communistes, représentants de l’extrême droite catholique. Il est interdit de lire Témoignage chrétien, un journal en faveur de l’indépendance algérienne, qu’il dévore en secret tout comme Le Monde ou Le Canard enchaîné. Par contre, La France catholique est à la disposition de tous et, avec le début de la guerre d’Algérie, les séminaristes ont droit à la projection de quelques films plus ou moins récents sur l’œuvre dite «civilisatrice» de la France dans ses colonies, en particulier en Algérie.
Au séminaire, sa vie quotidienne suit un tempo quasiment monastique: lever aux aurores, méditation et messe avant le petit déjeuner, heures de cours, enseignement de la philosophie scolastique avec comme principal support quelques vieux manuels en latin et longues heures passées dans sa cellule à la lecture et à l’étude... et encore à l’étude. Tout est fait pour reproduire le modèle de prêtre voulu par saint Pie X. Plus que l’orthodoxie, c’est le discours critique qui intéresse Jacques Pous, celui qui remet en question les convictions de son enfance ou celles que les enseignants tentent de lui inculquer. Ainsi, un cours polycopié du Père Fessard qu’il parvient à se procurer et l’Introduction à la lecture de Hegel d’Alexandre Kojève (1947) lui font découvrir la dialectique du maître et de l’esclave. Il lit également des textes plus classiques: Henri Bergson, Henri de Lubac, mais aussi Karl Marx. Après deux années au grand séminaire, Jacques Pous passe en 1956 son baccalauréat en philosophie scolastique de l’Institut catholique de Paris avec la mention magna cum laude qui aurait pu lui ouvrir les portes d’une université romaine. Mais il regarde déjà ailleurs. La lecture d’Au cœur des masses (1950) du Père René Voillaume, fondateur des Petits Frères de Jésus, un ordre religieux inspiré par l’existence humble et solitaire du Père Charles Foucauld parmi les populations locales du désert algérien – qui a fini assassiné par des bandes hostiles –, le pousse à rejoindre cet ordre religieux. Contrairement aux groupes contemplatifs qui vivent dans des monastères ou des communautés fermées, les Petits Frères de Jésus se distinguent par leur engagement à mener une vie simple et pauvre parmi les gens. Jacques trouve dans cet idéal une réponse à ses aspirations profondes, combinant une vie spirituelle contemplative avec une immersion totale dans la réalité humaine et sociale. Il entre en noviciat dans un petit monastère de l’île Saint Gildas en Bretagne où il s’implique dans des tâches diverses comme garder des moutons et faire du fromage. Après cette année de formation, il prononce ses premiers vœux et est envoyé en Angleterre pour améliorer son anglais, avant d’être affecté au Sri Lanka où il reste environ trois ans.