Des Nord-Coréennes cyberesclaves en Chine

© DR
Le pasteur Chun Ki-Won, Lee Yumi* et Kwang Ha-Yoon*.

Nombre de femmes qui fuient le régime ermite de la Corée du Nord tombent dans les griffes de trafiquants qui se livrent à la traite d’êtres humains dans le nord-est de la Chine. Enfermées dans un appartement, elles sont obligées de vendre des faveurs sexuelles en ligne. Comme Yumi et Ha-Yoon, deux rescapées.

- Quel âge as-tu?
- 28 ans.
- Alors tu es ici depuis que tu en as 23?
- Oui.

Vêtue d'un pull rouge, un imposant casque à musique posé sur ses cheveux noirs, Lee Yumi* est assise sur un drap de lit bleu orné de fleurs. Sa peau est pâle, quasi translucide, ses yeux cernés. Cinq ans qu'elle est retenue prisonnière dans une chat room pornographique à Yanji, une petite cité de 400'000 habitants au nord-est de la Chine. Elle vient de trouver le moyen de contacter un pasteur sud-coréen, sur une plateforme vidéo.
- Ne perds pas espoir, nous allons te secourir, lui promet-il.

Sur l’écran, on la voit esquisser un sourire en étouffant un sanglot.
- Merci. J'ai peur, écrit-elle.

La jeune femme au visage rond et à la voix douce, presque enfantine, a grandi en Corée du Nord, dans une famille de petits fonctionnaires. «Nous ne manquions de rien, se remémore-t-elle. Nous avions des réserves de riz et de blé dans le garage.» Mais elle ne s'entend pas avec ses parents. «Ils étaient très conservateurs, soupire-t-elle. Je devais être rentrée avant le coucher du soleil et n'ai pas eu le droit de faire des études de médecine.» Un jour, après une énième altercation, elle décide de fuir, de partir en Chine, sans rien leur dire. Elle trouve un intermédiaire qui lui promet un emploi dans un restaurant. Mais à peine a-t-elle franchi la frontière, après avoir traversé la rivière Tumen qui sépare la Corée du Nord de la Chine, qu’elle découvre la sinistre réalité: elle a été vendue pour 30'000 yuans (4'300 francs) à un homme. Ce dernier, proxénète de l’ère informatique, gère une chat room à Yanji dans la province de Jilin. 

C’est là que Yumi se retrouve cloîtrée dans un appartement avec deux autres compatriotes. L'une a 27 ans et semble très proche du patron. «Je crois qu'elle était chargée de nous surveiller», glisse la fugueuse. L'autre, Kwang Ha-Yoon*, est une fluette noiraude de 19 ans, à l'époque, aux longs cheveux dont les traits fins sont soulignés par une épaisse frange. Cela fait déjà deux ans qu'elle est enfermée là. «J'ai grandi dans une famille très pauvre, nous n'avions jamais assez à manger, raconte-t-elle d'une voix légèrement rauque. Je suis partie pour survivre.» Elle espérait aussi gagner de l'argent en Chine pour financer les traitements oncologiques de sa mère et de sa grand-mère. Comme Yumi, Ha-Yoon a été vendue au patron de la chat room par le passeur qui l'a aidée à fuir son pays. Leur souteneur, lui, possède plusieurs appartements dans cette cité située à 50 kilomètres seulement de la frontière. Et dans chacun d’entre eux, quatre ou cinq femmes sont obligées de vendre des faveurs sexuelles en ligne. «Il s'agit en général de petits commerces tenus par des particuliers chinois qui sont soit Hans (l'ethnie majoritaire, ndlr) soit d'origine coréenne, détaille Phil Robertson qui dirige l'antenne asiatique de Human Rights Watch. Leurs clients sont des hommes basés en Corée du Sud qui ignorent que ces femmes sont nord-coréennes et retenues contre leur gré.»

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