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Les contraceptifs injectables à base de progestatif sont aujourd’hui distribués à grande échelle dans les pays en développement. Comme si toutes les controverses étaient résolues. En réalité, on tait leurs risques. Ce troisième volet de notre enquête se penche sur le rôle très contestable que l’OMS joue dans cette affaire.© Elodie Bregnard

Depo-Provera: Le prochain scandale médical est en marche (3/4)

Les contraceptifs injectables à base de progestatif sont aujourd’hui distribués à grande échelle dans les pays en développement. Comme si toutes les controverses étaient résolues. En réalité, on tait leurs risques. Ce troisième volet de notre enquête se penche sur le rôle très contestable que l’OMS joue dans cette affaire.

Au cours des 50 dernières années, le DMPA a régulièrement défrayé la chronique. Depuis quelques mois, les projecteurs sont de nouveau braqués sur lui. Mais cette fois, il n’est question que de ses qualités: discrétion, facilité d’emploi, excellent effet contraceptif… Oubliés les effets secondaires graves, les scandales et les abus.

Ce retournement de situation est dû à son nouveau statut Aujourd’hui, le DMPA est en effet le produit phare du Sayana Press Project. Présenté en novembre 2014 comme une projet généreux et positif, ce programme de planning familial cible quelque 225 millions de femmes en Afrique et en Asie du Sud. Il est porté par la Fondation Bill et Melinda Gates (BMGF), l’organisation américaine non gouvernementale PATH et Pfizer, le fabricant du DMPA.

La distribution à grande échelle de Sayana Press est en cours dans plusieurs pays d’Afrique notamment. L’occasion de faire le point et de se demander si les enseignements du passé ont été tirés.

A maints égards, le doute est permis.

D’un côté, l’usage contestable du produit de Pfizer comme contraception imposée à certaines populations reste d’actualité. Exemple récent: le scandale qu’ont provoqué en janvier 2013 les révélations d’un documentaire israélien. Ce film montrait que dans certains camps de transit, on avait administré des injections de Depo-Provera à des juives d’Ethiopie candidates à l’immigration en Israël, sans leur consentement. Certaines de ces femmes affirmaient que le contraceptif leur avait été imposé comme condition pour entrer sur le territoire israélien. D’autres, qu’on leur avait fait croire qu’il s’agissait d’un vaccin. L’affaire a suscité un tollé, en Israël comme à l’étranger.

Les autorités israéliennes n’ont jamais admis avoir organisé, avalisé, ou même autorisé de telles pratiques – auquel cas elles auraient sciemment foulé aux pieds leurs propres recommandations. Dans ce pays, comme en Suisse et aux Etats-Unis, le DMPA est en effet officiellement considéré comme une contraception de dernier recours.

En mars 2013, suite à ces révélations, le directeur général du Ministère de la santé israélien a néanmoins adressé une directive officielle aux praticien, les intimant de «ne pas renouveler les prescriptions de Depo-Provera pour les femmes d’origine éthiopienne ou d’autres femmes qui, pour toutes sortes de raisons, ne comprennent pas les implications de ce traitement».

Six mois plus tard, le même directeur général annonçait devant le parlement israélien que les prescriptions de Depo-Provera avaient chuté de 40% au sein de la population d’origine ethiopienne – ce qui, comme le relevait le journal Haretz «étayait le reproche selon lequel jusqu’ici, ces injections avaient été administrées aux Ethiopiennes sans explication sur les effets indésirables et les méthodes contraceptives alternatives».

Ce cas récent montre qu’un problème du DMPA reste entier: son emploi est tellement simple qu’il incite régulièrement des individus et des décideurs à oublier que «faire le bien» ne les dispense pas de l’obligation d’obtenir le consentement des femmes concernées et de les informer des risques.

Force est de constater également que le Sayana Press Project n’a absolument pas résolu un autre problème crucial et régulièrement dénoncé depuis plusieurs dizaines d’années: celui de la qualité de l’information que les programmes de planning familial dispensent aux «clientes» dans les pays en développement. Nos recherches indiquent en effet que ces femmes ne reçoivent toujours pas les mêmes renseignements sur le DMPA que ceux que les médecins des pays industrialisés ont l’obligation de fournir à leurs patientes, notamment sur le risque de perte de densité minérale osseuse associé à cette contraception. Par ailleurs, les autorités de régulation occidentales recommandent de ne pas prescrire le DMPA plus de deux ans d’affilée. Alors qu’aucune limite de temps n’est prévue dans le cadre du Sayana Press Project.

La responsabilité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est ici directement en cause. L’OMS a en effet été de tout temps un supporter engagé du DMPA. Depo-Provera figure depuis plusieurs décennies sur sa «Liste modèle des médicaments essentiels». C’est notamment son étude, parue en 1991, qui a incité en 1992 la FDA à finalement autoriser le DMPA comme contraceptif aux Etats-Unis. Or ses conclusions rassurantes, selon lesquelles ce contraceptif n’augmente pas le risque global de cancer du sein, ont été remises en cause par une étude américaine publiée en 2012. Selon ces travaux, le risque de cancer du sein invasif est doublé chez les femmes traitées actuellement ou au cours des dernières années par DMPA. Alors que cette information figure dans la notice d’emballage de Depo-Provera en Suisse, par exemple, l’OMS, elle, n’a pas révisé ses conclusions.

Autre attitude discutable: lorsque le risque de perte de DMO a été officiellement mis en évidence, en 2004, avec la publication du fameux «encadré noir» de la FDA sur les notices d’emballage de Depo-Provera et de depo-subQ provera, l’OMS a maintenu le DMPA sur sa fameuse liste des médicaments essentiels. Elle s’est même attachée à relativiser ce risque dans la documentation qu’elle produit sur la contraception.

Mais sa prise de position la plus sujette à caution concerne un autre risque auquel le DMPA expose ses usagères, selon différentes recherches: celui de contracter plus facilement le VIH. Ce problème, discuté périodiquement depuis une quinzaine d’années dans la littérature médicale, a gagné une actualité nouvelle avec la publication d’une étude en janvier 2012 dans la revue The Lancet.

Les travaux menés par des chercheurs de l’Université de Washington montraient en effet que les taux d’infection au VIH étaient 40% plus élevés chez les femmes qui utilisaient Depo-Provera. Autrement dit, le DMPA augmentait massivement le risque d’une contamination par le virus du sida.

De telles conclusions sont évidemment préoccupantes, car le sida représente souvent un problème majeur de santé publique dans les régions du monde où l’on utilise le plus le DMPA, en Afrique subsaharienne notamment.

Comme le relevait en octobre 2014 une enquête du magazine en ligne The Verge: «Si le lien que les chercheurs ont observé entre le DMPA et le VIH est réel, cela voudrait dire que les groupes militants de santé des femmes sont responsables par inadvertance des taux élevés d’infection au VIH dans des pays comme l’Afrique du Sud et le Mozambique, où plus de 45% des femmes se fient aux contraceptifs injectables comme le DMPA.» A la responsabilité de ces «groupes militants», il faudrait ajouter celle de puissants organismes très en vue, comme USAID, la BMGF, PATH ou… l’OMS.

En août 2014, l’OMS a fait examiner la littérature par ses experts et décidé elle aussi de ne pas modifier ses recommandations: à ses yeux, les études concluant à une association entre DMPA et augmentation du risque d’infection au VIH présentaient trop de faiblesses. Mais la question est loin d’être tranchée. Une méta-analyse d’études observationnelles parue en mars 2015 a en effet conclu elle aussi que le lien entre DMPA et VIH existait bel et bien, alors que ce n’était pas le cas pour d’autres contraceptifs hormonaux. A ce jour, c’est l’étude la moins sujette à caution dont on dispose. Il se pourrait donc que l’OMS ait conclu trop vite que le DMPA méritait toujours d’être abondamment prescrit dans les pays particulièrement touchés par le sida.

La question se pose bel et bien quand on examine le matériel pédagogique que l’organisation non gouvernementale PATH a élaboré. C’est avec ces documents qu’est formé le personnel chargé sur place d’administrer le DMPA dans le cadre du Sayana Press Project.

Or on relève deux grands absents de cette information qui tient lieu de référence sur le terrain: le lien entre DMPA et VIH et le risque de perte de densité minérale osseuse. Seule mention: un rappel que le DMPA «ne protège pas» contre le VIH et que les personnes à risque doivent continuer d’utiliser des préservatifs. La liste des questions fréquemment posées destinée à ce personnel local, directement en contact avec les «clientes», ne fait pas état ni du risque de la perte de DMO, ni du lien entre DMPA et VIH.

Pour avoir accès à ces informations, il faudrait que ces acteurs de terrain se rendent directement sur le site Internet de PATH. Ils y découvriraient (peut-être avec surprise) que ce dernier propose encore une autre liste de questions fréquemment posées, assez différente de celle qui leur a été remise.

Cette deuxième liste, elle, détaille en effet l’existence d’«incertitudes» concernant un lien éventuel entre le DMPA et l’augmentation du risque d’infection au VIH: «Vu la nature incertaine des données existantes sur la vulnérabilité peut-être accrue au VIH, il est vivement conseillé aux femmes qui pratiquent la contraception injectable progestative d’utiliser le préservatif, masculin ou féminin, lors de tous leurs rapports sexuels, ainsi que d’adopter d’autres mesures de prévention du VIH.»

Si l’utilisation du préservatif est «vivement conseillée» en raison de ces «incertitudes», pourquoi n’en informe-t-on pas le personnel de terrain? PATH se réfugie derrière l’OMS: «Un groupe d’experts de l’OMS a passé en revue toutes les données disponibles et ne les a pas estimées suffisamment concluantes pour justifier la révision des critères de recevabilité médicale en vigueur, selon lesquels les femmes vulnérables au VIH peuvent utiliser les injectables progestatifs sans risques particuliers.»

Quant à la perte de densité minérale osseuse, PATH s’attache surtout dans cette deuxième liste à souligner son caractère réversible. Il n’est indiqué nulle part qu’aux Etats-Unis, où PATH et la BGMF ont leur siège, le DMPA (Depo-Provera et depo-subQ provera) fait l’objet d’un encadré noir. Là encore, l’OMS est mise en cause: «Selon l’OMS, les avantages de l’utilisation du DMPA chez les adolescentes de moins de 18 ans excèdent généralement les risques théoriques ou démontrés.»

Ne dissimule-t-on pas alors sciemment aux «clientes» du projet un risque documenté et bien mis en évidence dans l’information dont dispose les médecins dans les pays industrialisés? Comment PATH justifie-t-elle pareille différence? Interrogée à ce sujet, l’organisation maintient par le biais de sa porte-parole Kate Davidson qu’elle «supporte un modèle de consentement informé» et qu’elle est «transparente sur les risques concernant la densité minérale osseuse associée aux produits DMPA». Mais sur ce point, poursuit Kate Davidson, «PATH suit les conseils de l’Organisation mondiale de la santé», qui «recommande que les femmes de 18 à 45 ans puissent utiliser le DMPA sans restrictions».

L’attitude de l’OMS par rapport au DMPA, de même que la non-information qu’elle cautionne indirectement dans le cadre du Sayana Press Project sont donc problématiques. Par ailleurs, différents éléments indiquent qu’à terme, le problème ne se limitera probablement pas aux pays en développement.

En effet, d’autres acteurs, qui n’ont rien à voir avec les régions défavorisées du globe, se sont mis à citer l’OMS en référence pour remettre en cause les recommandations des autorités des régulation des pays industrialisés. En tête, certaines sociétés savantes: la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la Société de médecine pour les adolescents aux Etats-Unis, le Comité pour la santé des adolescentes et le Comité pour les pratiques gynécologiques du Collège américain des obstétriciens et gynécologues (ACOG) ainsi que la Société américaine de santé reproductive.

Ces instances contestent notamment la nécessité de stopper au bout de deux ans une contraception efficace, au nom d’un risque qu’elles estiment inférieur à ceux liés à une grossesse non désirée. Dans sa récente prise de position, le Comité pour la santé des adolescentes et le Comité pour les pratiques gynécologiques l’ACOG plaident même pour que ce contraceptif soit proposé de manière plus routinière aux adolescentes.

Or, comme nous le verrons dans la quatrième et dernière partie de notre enquête, ces appels à «plus de souplesse» pourraient entraîner un retour en grâce du DMPA dans les pays industrialisés, où il a pourtant été largement boudé jusqu’ici par les femmes.