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La FDA a retiré son approbation du DMPA comme contraceptif et maintenu son refus jusqu'en 1978, avant de l'homologuer à nouveau en 1992. © Elodie Bregnard

Depo-Provera: le prochain scandale médical est en marche (4/4)

Les injections contraceptives trimestrielles Depo-Provera ont longtemps concerné exclusivement les pays en développement et les handicapées. Pourtant, tout indique qu’à terme, le marché visé est celui des pays riches. Où pouvoirs publics, corps médical et industrie tentent de faire oublier aux femmes pourquoi elles ont boudé ce contraceptif pendant plus de 30 ans. Nom de code de leur recette: «LARC».

Aujourd’hui, il est très difficile de dire si le Sayana Press Project apportera véritablement les bénéfices que l’OMS attribue au planning familial: «Assurer le bien-être et l’autonomie des femmes tout en soutenant la santé et le développement des communautés», «Prévenir les risques liées à la grossesse chez les femmes», «Réduire la mortalité maternelle», «Limiter le besoin de recourir aux avortements pratiqués dans de mauvaises conditions de sécurité», «Réduire la mortalité infantile», ou encore «Contribuer à prévenir le VIH/sida».

En revanche, une chose est sûre: il sera profitable pour Pfizer à plus d’un titre. D’abord parce qu’un programme de ce genre constitue la plate-forme idéale pour écouler massivement son produit. La distribution devrait être encore facilitée par le nouveau conditionnement qui caractérise Sayana Press: des monodoses à usage unique, prévues pour des injections sous-cutanées – ce développement a d’ailleurs été financé par PATH et non par Pfizer.

La dose de Sayana Press coûte un peu moins d’un dollar dans le cadre du programme, mais on ignore à quel prix Pfizer vend l’unité aux principaux donateurs que sont la Fondation Bill et Melinda Gates, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), le Département pour le développement international du Royaume-Uni (DFID) et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). PATH ne renseigne pas sur ces montants: «Nous ne pouvons pas parler à la place de Pfizer», explique Kate Davidson, porte-parole de PATH. Quant au service de presse de Pfizer, il a refusé de répondre à nos questions, en dépit de nos sollicitations répétées.

En plus de rapporter à moindre frais, le Sayana Press Project permet de produire des études et donc des données scientifiques. Notamment sur la faisabilité de l’auto-injection de DMPA par voie sous-cutanée. Cette possibilité d’administration avait été envisagée dès l’homologation de depo-subQ provera aux Etats-Unis.

Officiellement, elle n’est pas autorisée, même si dans le cadre des essais cliniques qui avaient permis la mise sur le marché de ce deuxième produit, «environ 31% des participantes s’étaient auto-administrées le contraceptif après avoir reçu une injection et des instructions d’un professionnel de santé», relevait en 2004 AHC Media, média américain spécialisé dans la formation médicale continue.

Au cours des dernières années, l’auto-injection sous-cutanée de DMPA a également fait l’objet d’essais pilotes et d’études de petite taille. Mais elle n’a pas été évaluée spécifiquement dans le cadre d’essais cliniques contrôlés, ni avec le dispositif Uniject, dont l’utilisation est encore plus simple que celle d’une seringue pré-remplie. Or, grâce au Sayana Press Project, ce sera chose faite: PATH prévoit de mener trois études contrôlées sur le sujet, une au Sénégal et deux en Ouganda.

Dans la pratique, en Suisse, «certaines femmes s’auto-injectent déjà Sayana qui a quasiment remplacé Depo-Provera depuis 2012 aux consultations du CHUV», confirme Saira-Christine Renteria, médecin adjointe aux Départements de gynécologie-obstétrique et médico-chirurgical de pédiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne (CHUV). «Les femmes se font déjà des injections sous-cutanées dans d’autres situations, rappelle-t-elle. Pour traiter le diabète ou dans le cadre de la procréation médicalement assistée.» Mais la spécialiste souligne toutefois que cela se décide toujours «au cas par cas». Elle estime aussi que ce mode d’administration «n’est pas indiqué pour des adolescentes». Pourtant, ce public est précisément au cœur du deuxième essai sur l’auto-injection de Sayana Press mené par PATH en Ouganda. Objectif: «Evaluer l’intérêt des jeunes femmes pour la contraception injectable et spécifiquement pour l’auto-injection». Les résultats sont attendus pour fin 2015.

Or, l’existence d’études à grande échelle sur ce mode d’administration pourrait bien favoriser le retour du DMPA sur le marché le plus lucratif: celui des pays industrialisés. Le terrain y a rarement été aussi favorable.

D’abord, parce que certaines sociétés savantes de pays industrialisés plaident depuis 2005 pour un un «assouplissement»: la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la Société de médecine pour les adolescents aux Etats-Unis, le Comité pour la santé des adolescentes et le Comité pour les pratiques gynécologiques du Collège américain des obstétriciens et gynécologues (ACOG) ainsi que la Société américaine de santé reproductive.

Ces instances contestent notamment la nécessité de stopper au bout de deux ans une contraception efficace, au nom d’un risque qu’elles estiment inférieur à ceux liés à une grossesse non désirée. Dans sa récente prise de position, le Comité pour la santé des adolescentes et le Comité pour les pratiques gynécologiques l’ACOG plaident même pour que ce contraceptif soit proposé de manière plus systématique aux adolescentes.

Leurs recommandations sont bien accueillies par nombre de praticiens. Saira-Christine Renteria, par exemple, se réjouit de la dernière prise de position de l’ACOG: «Pour nous, elle est très importante, car elle nous confirme dans notre pratique», souligne-t-elle. «Le DMPA n’est pas une contraception de premier choix, mais il faut pouvoir y recourir lorsqu’on n’a plus que ça comme possibilité. Or, dans le cadre de notre consultation, nous avons affaire à des adolescentes qui sont vraiment dans ce cas. Ce qui compte, c’est qu’elles puissent accéder sans restriction à une contraception qui leur convient. Si elles se retrouvent contraintes de l’arrêter au bout de deux ans sans alternative, les conséquences peuvent être dramatiques.»

Autrement dit, si les essais de PATH devaient livrer des résultats positifs et si d’autres sociétés de médecine décidaient de s’aligner sur l’ACOG, le DMPA pourrait, à moyen terme, être proposé davantage en auto-injection et aux adolescentes. Cette évolution est plausible si l’on considère le véritable retour en grâce que connaissent les LARC dans les pays industrialisés.

L’acronyme désigne un ensemble de contraceptifs qui déploient un effet à long terme («long-acting reversible contraception»). Il regroupe des dispositifs et des produits très différents comme les stérilets (DIU) au cuivre ou aux hormones, l’implant ou les injections de DMPA, qui ont en commun de ne pas nécessiter de prise quotidienne.

Ces produits, il en est aujourd’hui beaucoup question dans la littérature spécialisée et dans le cadre des formations continues des médecins. Ils sont aussi au cœur de nouvelles stratégies de santé publique dans certains pays industrialisés qui visent la diminution des taux de grossesses non désirées et d’avortements, notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Les pouvoirs publics sont sensibles aux arguments que leurs promoteurs (fabricants en tête) avancent: leur grande efficacité anticonceptionnelle, qui ne dépend pas de l’autodiscipline de la personne, leur ancienneté et leur moindre coût.

L’engouement grandissant pour les LARC est aussi dû au fait que la demande pour les pilules contraceptives stagne, voire diminue, même dans des pays qui récemment encore étaient considérés comme «tout pilule».

En Suisse, c’est notamment la révélation au public du cas tragique de la jeune Schaffhousoise Celine, sévèrement handicapée suite à un accident thromboembolique imputé à sa pilule, qui a stoppé l’extraordinaire success story commerciale des pilules de troisième et de quatrième génération – due surtout à un appareil de promotion sans égal, tant auprès des médecins que des jeunes filles.

Aujourd’hui, l’industrie met les bouchées doubles pour proposer des remplaçants aux pilules de troisième et quatrième génération. Car comme le rappelait en 2012 le portail d’informations IMS Health, la contraception reste un marché très lucratif: «Parmi les 20 plus importants domaines thérapeutiques, seules les classes des antiépileptiques, des contraceptifs et des antiviraux (hormis les produits VIH) connaîtront une croissance plus rapide qu’au cours des cinq dernières années.»

Pour concrétiser cette perspective, l’industrie mise désormais largement sur les LARC, avec une promotion croissante auprès du jeune public. Bayer a récemment fait homologuer Jaydess, une variante «jeune fille» de Mirena, son stérilet aux hormones. Quant à MSD (Merck Sharp and Dohme), il profite de l’occasion pour tenter de raviver l’intérêt pour son implant contraceptif Nexplanon (successeur d’Implanon), y compris auprès du public jeune.

A maints égards, le Royaume-Uni est exemplaire de ces nouvelles tendances. Les autorités de santé britanniques déploient en effet depuis 2005 des politiques de santé visant à réduire le taux de grossesses et d’avortements chez les adolescentes par promotion des LARC. Les fabricants de ces contraceptifs ont pris le train en marche et aujourd’hui, la coopération public-privé pour promouvoir les LARC est particulièrement avancée.

Par rapport à l’impressionnant appareil promotionnel que les fabricants avaient déployé pour créer et entretenir le marché des pilules de troisième et quatrième génération, l’évolution est intéressante. Ce sont désormais les autorités sanitaires qui assurent en bonne partie la promotion des produits de l’industrie. Elles permettent aussi aux fabricants d’espérer de nouveaux gains grâce aux directives et recommandations qu’elles édictent à l’attention des médecins, du personnel soignant et de la population. Par ailleurs, au nom de l’intérêt public que représente pour elles un accès sans restriction à des contraceptions très efficaces, elles semblent prêtes à assouplir les carcans d’indications, prévus à la base pour garantir la sécurité des patientes. Dans le cas du DMPA, l’administration d’injections en pharmacie, voire l’auto-injection, sont par exemple des scénarios qu’elles étudient depuis l’homologation de Sayana Press en 2013.

Pour Pfizer, toutes ces éventualités sont synonymes d’opportunités. En ce qui concerne le DMPA, les perspectives ont rarement été aussi alléchantes . Pour les patientes, il n’est pas certain que cette évolution représente un avantage. Car dans l’élan de «l’accès pour toutes», certains problèmes majeurs de sécurité du produit semblent déjà oubliés, ou en passe de l’être. Alors qu’ils ont défrayé la chronique à plusieurs reprises au cours des quarante dernières années – sans être résolus.

Le constat est le même par rapport aux abus que ce contraceptif rend si faciles. D’autres questions plus fondamentales restent entières, elles aussi. Quelles sont les prérogatives de l’OMS par rapport aux autorités nationales de régulation? Quelle sécurité le système actuel, qui laisse une large marge de manœuvre aux sociétés savantes, offre-t-il aux patients? Qui assume la responsabilité en cas de problème?

Les applaudissements qui ont accueilli en novembre 2014 le Sayana Press Project, la promotion public-privé de ce contraceptif telle qu’elle se dessine à moyen terme dans les pays industrialisés, mais aussi l’amnésie qui semble s’installer quant au passé de ce médicament et aux excès qu’il a permis, tous ces éléments indiquent que certaines leçons essentielles n’ont pas été tirées. Et que le prochain scandale de santé publique est sans doute déjà en marche.