Sept.info | «L’optimisme est un impératif catégorique»

«L’optimisme est un impératif catégorique»

Patrick Deville est un écrivain pérégrin, toujours itinérant, jamais immobile. Depuis un quart de siècle, il entreprend une œuvre au long cours qui lui commande de circonscrire la planète entière. Rencontre.

Deville Heimermann Deville Heimermann
© Astrid Di Crollalanza

Volume après volume, Patrick Deville épuise le monde et remonte le temps avec une prédilection pour les pays interlopes, les personnages bancroches et les écrivains eux-mêmes enclins à plier bagage plus souvent qu’à leur tour. Le mitan du XIXe siècle porté par un vent d’optimisme sans frein a ses préférences pour ce qu’il nous a légué d’espoirs et d’initiatives mêlées.

Il semble que tout ait commencé grâce à un Tapis volant (Hemma, 1960), un livre pour enfants d’une trentaine de pages que votre grand-tante, Simone, vous a donné alors que vous n’étiez âgé que de trois ans?
(Surpris, il découvre un exemplaire un peu défraîchi de ce document sans prix.) Ah, vous en avez trouvé un! Oui, c’est bien ce petit album que «Monne» m’a offert alors que, atteint d’une malformation à la hanche et ayant subi une opération, je suis resté immobilisé sur le dos dans une coque en plâtre pendant plus d’un an dans l’hôpital psychiatrique où nous habitions. Par bonheur, les postes de télévision étaient rares et les consoles de jeu inexistantes; c’est en tout cas grâce à ce tout premier livre que j’ai appris à lire, seul, sans l’aide ni les conseils de personne…

Un ouvrage marquant qui rapporte une histoire qui ne l’est pas moins…
En effet, par je ne sais quelle perversité ce Tapis volant profite à un petit garçon de mon âge ou presque, prénommé Michel qui est alors mon contraire: il bouge, s’agite et voyage où et quand bon lui semble alors que pour ma part je suis cloué sur mon lit, cloîtré dans ma chambre, prisonnier du Lazaret de Mindin situé juste en face de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique)…

Compte tenu de votre handicap, il était impérieux que vous vous échappiez d’une manière ou d’une autre?
«Chacun est à soi-même l’être le plus obscur», comme l’écrivait Nietzsche. Je n’étais pas conscient de cela. Le suis-je aujourd’hui? Je n’ai aucune envie de me lancer dans un quelconque exercice de psychanalyse…

Néanmoins, on ne peut s’empêcher de filer la métaphore entre la fugue du jeune Verne en 1839 par exemple (Jules avait 11 ans) et vos propres aspirations...
Oui, à onze ans, la fugue et la première escale de Verne: Paimboeuf, là où je suis né, le plus grand avant-port du temps de la marine en bois. Il s’enfuit, rêve de s’enrôler comme mousse, son père le récupère, le corrige et le ramène à Nantes. Moi, je n’ai pas décollé de mon lit, mais mon Tapis volant a pallié à merveille cette déficience. Plus tard, toujours devant cette porte du Lazaret, une autre évidence: c’est là encore que Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) appareille pour la première fois pour la Polynésie.

«Il n’y a pas de hasard»: l’adage ne ment pas…
Disons que tout cela a sans doute participé de mon état d’esprit, mais je ne suis pas le seul à être né à Paimboeuf et à avoir eu le désir d’arpenter la planète…

«Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger», dit Alexandre Yersin, l’un de vos héros (Peste & choléra). Ce pourrait être votre mantra, votre devise…
Peut-être, mais ce n’est pas la panacée pour autant. Il y a sans doute des sédentaires heureux.

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