La conjuration de Biron pour éliminer Henri IV

Poussé par les Espagnols et les Savoyards, Charles de Gontaut, duc de Biron (1562-1602), veut tuer Henri IV. Le plan est éventé. Biron est décapité.

Dumas Henri IV Dumas Henri IV
Les dernières années de règne du roi Henri IV sont marquées par la conjuration de Charles de Gontaut, duc de Biron (1562-1602), amiral, puis maréchal de France. Ce pair de France (1598), connaissant la gloire lors des batailles d’Arques et d’Ivry, se laissa attirer dans une conspiration par les Espagnols et les Savoyards. Si Biron éliminait le roi, il recevait la main d’une des filles du duc de Savoie, ainsi qu’un domaine en Bourgogne et en Franche-Comté. Le plan est éventé. Biron est arrêté et décapité le 31 juillet 1602.© DR

Les dernières années de règne du roi Henri IV sont marquées par la conjuration de Charles de Gontaut, duc de Biron (1562-1602), amiral, puis maréchal de France. Ce pair de France (1598), connaissant la gloire lors des batailles d’Arques et d’Ivry, se laissa attirer dans une conspiration par les Espagnols et les Savoyards. Si Biron éliminait le roi, il recevait la main d’une des filles du duc de Savoie, ainsi qu’un domaine en Bourgogne et en Franche-Comté. Le plan est éventé. Biron est arrêté et décapité le 31 juillet 1602.

Alain Chardonnens, historien et enseignant-formateur à l'Université de Fribourg

Chapitre XIII

Nous nous apercevons que nous avons sauté sur un des événements les plus importants du règne d’Henri IV, sur le procès et l’exécution de Biron. Nous avons dit qu’il avait été envoyé à la reine Elisabeth comme ambassadeur.

Sans doute savait-elle tout ce que le monde savait, au reste, c’est-à-dire que Biron avait conspiré avec le duc de Savoie contre Henri IV; car elle le prêcha fort, lui parla beaucoup de Henri IV comme du meilleur et du plus grand roi qui eût jamais existé, ne lui reprochant que d’être trop bon.

Elle fit plus. Un jour – elle qui, disait-on, mourait de douleur de l’avoir fait tuer –, un jour, elle lui montra de sa fenêtre la tête de d’Essex, de ce beau jeune homme qu’elle avait tant aimé. Cette tête, après un an de séparation de son corps, était encore, exemple effroyable aux traîtres, exposée sur la Tour de Londres.
— Voyez la tête de cet homme exécuté à trente-trois ans, dit-elle, son orgueil l’a perdu: il croyait qu’il était nécessaire à la couronne; voilà ce qu’il y a gagné. Si mon frère Henri m’en croit, il fera à Paris ce que j’ai fait à Londres: il coupera la tête à tous les traîtres, depuis le premier jusqu’au dernier!

Au retour de Biron en France, le roi n’avait plus aucun doute sur sa culpabilité. Il avait tout su d’un de ses agents nommé Lefin. Biron était dans ses places de Bourgogne. Il s’agissait de le désarmer. Sully lui écrivit d’envoyer ses canons, qui étaient vieux, pour les remplacer par des neufs. Il n’osa refuser.

Alors le roi lui écrivit: Venez me voir. Je ne crois pas un mot de tout ce que l’on me dit contre vous, et je crois toutes ces accusations mensongères. Je vous aime et vous aimerai toujours.

C’était vrai. Biron ne pouvait tenir dans ses places sans canon. Sans doute, il pouvait fuir; mais il était dur de renoncer à la magnifique position qu’il occupait en France; d’ailleurs, il ne croyait pas le roi autrement renseigné, ou, du moins, il croyait qu’on n’avait point de preuves.

L’Espagnol Fuentès et le duc de Savoie l’encouragèrent à aller prendre, comme on dit, le taureau par les cornes, et à nier avec acharnement. A la porte de Fontainebleau, Lefin, qui l’avait trahi, l’attendait. Il s’agissait de le pousser dans l’abîme jusqu’au bout, sinon Lefin pouvait bien payer les frais de la guerre.
— Courage et bon bec, mon maître! lui souffla-t-il tout bas; le roi ne sait rien.

Il était dans le palais, que beaucoup disaient encore qu’il ne viendrait pas. Le roi lui-même le disait comme les autres, le 13 juin 1602 au matin, en se promenant au jardin de Fontainebleau. Tout à coup il l’aperçoit. Le premier mouvement du roi fut d’aller à lui et de l’embrasser.
— Vous avez bien fait de venir, lui dit-il.
Puis, moitié riant, moitié menaçant:
—Car si vous n’étiez pas venu, j’allais vous chercher.

A ces mots, il l’emmena dans sa chambre; et là, seul à seul avec lui et le regardant en face:
— N’avez-vous rien à me dire, Biron? lui demanda-t-il.
— Moi? dit Biron. Non, rien. Je viens pour connaître mes accusateurs et les châtier; voilà tout.

Le roi, très sincère cette fois, désirait sauver Biron. Henri ne mentait guère qu’aux femmes; il était mal dissimulé pour ceux qu’il aimait, leur laissant au contraire trop voir ce qu’il avait en lui. Dans la journée, le roi emmena encore Biron dans le jardin fermé de Fontainebleau.

Là, on ne pouvait les entendre, mais on les vit. Biron, toujours orgueilleux, relevait fort la tête et semblait protester dédaigneusement de son innocence. Après le dîner, même promenade et même pantomime. Le roi vit bien qu’il n’y avait rien à faire avec un pareil homme. Il s’enferma avec Sully et la reine. Ce que l’on sut, c’est que, dans ce conseil secret, le roi avait encore défendu Biron.

Pendant la soirée, on vint prévenir le roi que Biron devait fuir pendant la nuit, et que, s’il attendait au lendemain pour le faire arrêter, il serait trop tard. On joua jusqu’à minuit. A minuit, tout le monde partit, excepté Biron, que le roi retint. Henri, au nom de leur ancienne amitié, le pressa d’avouer sa trahison. Il était évident qu’un aveu le sauvait. Biron repentant était pardonné. Il demeura sec et nia tout.

C’était une grande patience à Henri que cette triple tentative, ayant toutes les preuves. Le roi rentra dans son cabinet, le cœur serré. Mais, rentré, il n’y put tenir; il rouvrit la porte.
— Adieu, baron de Biron! lui dit-il l’appelant du titre qu’il lui donnait dans sa jeunesse.

Rien n’y fit, pas même cet appel aux jours dorés.
— Adieu, sire, dit Biron.

Et il sortit.

Une fois la porte refermée, Biron était perdu. Dans l’antichambre, il se trouva face à face avec Vitry, le capitaine des gardes. C’était le père de celui qui tua plus tard Concini.
— Votre épée, lui dit Vitry en posant sa main sur la poignée.
— Bon! tu railles, répondit Biron.
— Le roi la veut, dit Vitry.
— Oh! mon épée! s’écria Biron; mon épée qui lui a fait de si bons services!

Et il rendit son épée.

Les preuves étaient si claires que le parlement le condamna à l’unanimité, à cent vingt-sept voix. Le 31 juillet, au moment où il s’y attendait le moins, il vit arriver dans sa prison toute la cour de justice, le chancelier, le greffier et leur suite. Il était en train de comparer quatre almanachs, d’étudier les astres, la lune, les jours, pour deviner l’avenir.

L’avenir, qui s’éloigne des autres, venait au-devant de lui, visible, palpable, terrible. C’était la mort des traîtres. Seulement, le roi permettait qu’il la reçût dans la cour de la prison, et non en grève. Avant de lui lire l’arrêt, le chancelier lui avait redemandé la croix du Saint-Esprit. Biron la rendit. Alors le chancelier lui dit:
— Faites preuve de ce grand courage dont vous vous vantez, monsieur, en mourant calme et comme doit mourir un chrétien.

Mais lui se mit à insulter le chancelier, en homme étourdi du coup qui le frappe et qui perd la tête, l’appelant idole sans cœur, grand nez, figure de plâtre. Et, tout en criant ces injures, il se promenait de long en large, essayant de bouffonner, mais avec un visage horriblement bouleversé.
— Monsieur, lui dit-on pour toute réponse aux insultes qu’il proférait, pensez à votre conscience.

Après un flot de paroles sans suite, presque insensées, où il parla de ce qu’il devait, de ce qui lui était dû, d’une maîtresse qu’il laissait enceinte, il revint enfin à lui et dicta son testament. A quatre heures, on le mena à la chapelle. Il pria près d’une heure. La prière faite, il sortit. Pendant ce temps, on avait dressé l’échafaud dans la cour.
— Ah! ah! fit-il en reculant d’un pas.

Puis, voyant à la porte un homme inconnu qui paraissait l’attendre:
— Qui es-tu? lui demanda-t-il.
— Monseigneur, répondit humblement celui-ci, je suis le bourreau.
— Va-t’en, va-t’en! s’écria Biron. Ne me touche pas qu’au moment. D’ici là, si tu m’approches, je t’étrangle.

Alors, se tournant vers les soldats qui gardaient la porte:
— Mes amis, mes bons amis, dit-il, cassez-moi la tête d’un coup de mousquet, je vous en prie.

On voulut le lier.
— Non pas, dit-il, je ne suis pas un voleur.

Puis, se retournant vers les rares assistants qui se tenaient dans la cour, une cinquantaine de personnes à peu près:
— Messieurs, dit-il, vous voyez un homme que le roi fait tuer parce qu’il est bon catholique.

Enfin, il se décida à monter sur l’échafaud; mais là, il chicana sur toutes choses. D’abord, il voulut être exécuté debout; puis ne voulut pas qu’on lui bandât les yeux; puis voulut que ce fût avec son mouchoir, qui se trouva être trop court. Les gens qui le regardaient mourir l’inquiétaient fort.
— Que font là tous ces marauds? Je ne sais à quoi tient que je ne prenne ton épée, dit-il au bourreau, et que je ne tombe sur eux.

Il était capable de le faire, et, fort comme il était, c’eût été un carnage. Plusieurs qui l’avaient entendu regardaient déjà vers la porte. Le bourreau vit bien qu’il n’en viendrait jamais à bout, et qu’il fallait en finir par surprise.
— Monseigneur, dit-il, comme l’heure de votre exécution n’est point encore arrivée, vous devriez profiter du délai pour dire votre In manus.
— Tu as raison, dit Biron.

Et, joignant les mains et inclinant la tête, il commença sa prière. Le bourreau profita du moment, passa par derrière lui et, par un miracle d’adresse, lui enleva la tête de dessus les épaules.

La tête roula hors de l’échafaud. Le tronc resta debout, battant l’air de ses bras, et tomba à son tour comme un arbre déraciné. Pendant ce temps, le roi était si défait que, suivant l’ambassadeur d’Espagne, on eût dit l’exécuté. Huit jours après, il pensa mourir d’une diarrhée. A l’avenir, son juron fut:
— Aussi vrai que Biron était un traître!

Revenons à M. le Prince.

M. le Prince, comme on appelait déjà M. de Condé à cette époque, et comme on appela depuis les aînés de la famille, M. le Prince était fort pauvre. Il n’avait en fonds de terre que dix mille livres de rente; mais c’était un grand honneur que de l’avoir pour gendre. M. de Montmorency donna cent mille écus de dot à sa fille, et le roi constitua, comme il l’avait promis, cent mille livres de rente à son neveu. Le mariage fut accompagné de fêtes comme un mariage royal.

Il y eut des carrousels, et le roi courut la bague avec un collet de senteur et des manches de satin de Chine. Par malheur, le soir des noces, l’amoureux royal fut pris de la goutte. C’était sa reine, à lui. Il dut à cette reine-là donner place dans son lit. Sa seule distraction était de se faire lire l’Astrée. Comme il ne pouvait dormir, on se relayait pour lui faire la lecture.

Il fallut un événement politique pour l’arracher de son lit. Le 25 mars 1609, le duc de Clèves mourut. La question du Rhin fut posée, et la rivalité commença entre la France et l’Autriche. Le roi se dit guéri, se leva, se montra à Paris, alla chasser la pie au Pré-aux-Clercs et se commanda une armure neuve.

Le mariage de la belle Charlotte rendit le roi encore plus amoureux d’elle qu’il ne l’était auparavant. Il fit tant auprès de la princesse qu’il obtint d’elle qu’un soir elle se montrerait tout échevelée sur son balcon, entre deux flambeaux. En la voyant ainsi, avec ses beaux cheveux tombant presque jusqu’à terre, le roi pensa s’évanouir de bonheur.
— Ah! Jésus! dit-elle, pauvre homme, il est fou.

Cette folie, si ridicule qu’elle soit, touche toujours un peu les femmes. Aussi le roi obtint-il que madame la Princesse se laissât peindre pour lui en cachette par un peintre très célèbre nommé Ferdinand! Bassompierre, qui, dans l’espoir d’y attraper quelque chose pour son propre compte, s’était fait le confident et le messager de ces ardentes amours, Bassompierre emporta le portrait encore tout mouillé, de sorte qu’il fallut le frotter de beurre frais pour qu’il ne s’effaçât point.

Ce portrait acheva de rendre le roi fou. Mais ce qui le rendait fou surtout, c’était sa situation près de la reine. 

Quelque temps avant ses amours pour mademoiselle de Montmorency, il avait été jusqu’à dire à Marie de Médicis que, si elle voulait renvoyer Concini, il lui faisait serment de n’avoir plus de maîtresse; puis, pour lui donner la preuve qu’il pouvait aimer encore, il s’était rapproché d’elle, et de ce rapprochement était résulté une grossesse.

Cette grossesse donna une fille, la seule qui fût certainement d’Henri IV: la reine d’Angleterre. Ce rapprochement conjugal était venu à la suite d’une grande querelle politique: le roi refusait pour ses enfants les mariages espagnols, c’est-à-dire l’influence jésuitique. Il voulait marier ses enfants en Lorraine et en Savoie, alliance que la reine regardait comme indigne.

Ce rapprochement blessa fort Concini: il ne pouvait pardonner à la reine son infidélité. On persuada à la sotte princesse qu’Henri ne s’était rapproché d’elle que pour l’empoisonner et épouser mademoiselle d’Entragues. La reine le crut, cessa de manger avec le roi et mangea chez elle, refusant les plats que le roi lui envoyait de sa table. Sur ces entrefaites, un homme arriva d’Italie: une espèce de condottiere normand nommé Labarde. Il revenait de faire la guerre aux Turcs, s’était arrêté à Naples en passant. Il y avait vu les Guises et avait vécu là dans la familiarité des vieux assassins de la Ligue et du secrétaire de Biron, Hébert.

Ce Lagarde raconta que, dînant un jour chez Hébert, il vit venir et se mettre à table un homme de grande taille habillé en violet, lequel, durant le dîner, dit qu’il allait en France, et qu’il y tuerait le roi. – Le propos avait paru assez grave au susdit Hébert pour qu’il s’informât du nom de cet homme, et il lui avait été répondu qu’il s’appelait Ravaillac. Il appartenait à M. d’Epernon et apportait ses lettres à Naples.

Lagarde ajoutait qu’on l’avait alors, lui, mené chez un jésuite nommé le père Alagon, lequel était oncle du premier ministre d’Espagne, et que là, on l’avait fort engagé à tuer le roi de concert avec Ravaillac. Il devait choisir le moment où le roi serait à la chasse. Lagarde, sans répondre ni oui ni non, était parti et était venu en France.

En route, il avait reçu une nouvelle lettre où on l’engageait encore à tuer le roi. En arrivant à Paris, la première chose que fit ce Lagarde fut de demander une audience au roi. Il l’obtint, lui raconta tout et lui montra la lettre. Cela s’accordait si bien avec les pressentiments d’Henri IV que le roi devint tout rêveur.
— Garde bien ta lettre, mon ami, dit-il; un jour, j’en aurai besoin, et elle est plus en sûreté dans tes mains qu’elle ne le serait dans les miennes.

Toutes choses coïncidaient: une nonne était venue à la cour, qui avait des visions; les visions de cette nonne étaient qu’il fallait sacrer la reine.

Pourquoi sacrer la reine? La réponse était facile: il fallait sacrer la reine parce que, d’un moment à l’autre, le roi pouvait être tué. Le roi ne parla à personne de cette révélation de Lagarde et de cette vision de la nonne; seulement, il quitta le Louvre et s’en alla à Ivry, dans une maison appartenant à son capitaine des gardes. Puis, un matin, n’y tenant plus, il courut tout dire à Sully.

Voyez les Mémoires de celui-ci:
Le roi me vint dire que Concini négociait avec l’Espagne; que la Parithée, mise par Concini auprès de la reine, la poussait à se faire sacrer; qu’il voyait très bien que leurs projets ne pouvaient réussir que par sa mort; enfin qu’il avait avis qu’on devait l’assassiner.

A la suite de cette confidence, le roi pria Sully de lui faire préparer un petit appartement à l’Arsenal. Quatre chambres lui suffiraient. Tout cela se passait juste au moment où Bassompierre apportait au roi le portrait de madame de Condé. Mais il était dit qu’on ne lui laisserait pas un instant de tranquillité, à ce pauvre roi; ni en politique ni en amour.

M. de Condé, qui, depuis six semaines, laissait sa femme fort tranquille, ayant oublié d’user de ses droits d’époux, M. de Condé, poussé par sa mère qui devait tout à Henri IV, enlève sa femme et la cache à Saint-Valéry. Cette opposition conjugale de M. de Condé l’élevait à la hauteur d’un ennemi politique.

Puis on se disait que le roi ferait des folies, on connaissait l’homme; - qu’en faisant des folies il se livrerait –; et qu’en se livrant, il en serait plus facile à tuer. En effet, le roi part seul et déguisé; en chemin, on l’arrête; il est obligé, pour passer outre, de dire qu’il est le roi. M. de Condé apprend l’aventure, se sauve de nouveau et amène sa femme à Muret, près de Soissons.

Le roi n’y peut tenir. Il apprend que M. le Prince doit aller avec sa femme à une chasse. Il s’ajuste une fausse barbe et part. Mais M. le Prince est prévenu à temps et ne va point à la chasse. A quelques jours de là, M. le Prince et sa femme furent invités à dîner chez un gentilhomme campagnard, et ils y allèrent. Mais le gentilhomme était complice du roi, et, par un trou fait dans une tapisserie derrière laquelle il s’était caché, le roi put voir à son aise celle qui lui faisait faire toutes ces folies.

En venant, elle avait été accostée par M. de Beneux, qui avait sa belle-sœur dans ces quartiers-là et qui feignait de l’aller voir. M. de Beneux était en poste, conduit par un postillon qui avait un emplâtre sur la moitié du visage. Ce postillon, c’était le roi. Madame la Princesse et sa belle-mère le reconnurent parfaitement.

Le roi pensa devenir fou. Il était d’une jalousie atroce. Il alla trouver le connétable et lui promit monts et merveilles s’il décidait sa fille à signer une requête pour être démariée. Le connétable, de son côté, alla trouver sa fille et obtint la chose d’elle. On faisait accroire à la pauvre enfant qu’elle serait reine.

M. le Prince apprit ce qui se passait. Sous prétexte de ramener sa femme à Paris, il la fit monter dans un carrosse à huit chevaux; mais il dirigea le carrosse sur Bruxelles, où il arriva sans avoir fait halte nulle part, mangeant et couchant dans sa voiture. Ils étaient partis le 1er et arrivèrent à Bruxelles le 3 décembre. Le roi jouait dans son cabinet lorsqu’il apprit cette nouvelle à la fois de deux côtés, par Delbène et le chevalier du guet.

Il quitta aussitôt son jeu, laissant son argent à Bassompierre et lui disant tout bas à l’oreille:
— Ah ! mon ami, je suis perdu! M. le Prince enlève sa femme; cet homme la mène dans un bois pour la tuer, ou tout au moins va-t-il la conduire hors de France.

Et tout aussitôt le roi assembla son conseil pour savoir ce qu’il y avait à faire dans cette grave circonstance. Le président Jeannin, Sully, Villeroy, le chancelier Bellièvre formèrent ce conseil et furent consultés.

L’un opina pour que le roi rendit un édit: c’était le chancelier Bellièvre; le second, pour qu’on réduisît le tout au pied des dépêches et de la négociation: c’était Villeroy; le troisième conseilla de faire de cet événement un cas de guerre avec les Pays-Bas: c’était le président Jeannin; le quatrième fut d’avis de garder le silence et de ne rien faire: ce fut Sully.

Enfin, Bassompierre, consulté à son tour, répondit:
— Sire, un sujet fugitif est bientôt abandonné de tout le monde quand un souverain ne paraît point se mettre en peine de le perdre. Si vous témoignez le moindre empressement à revoir M. le Prince, vos ennemis prendront plaisir à vous chagriner en le recevant bien et en lui donnant du secours.

On employa d’abord les négociations auprès de l’archiduc; mais le ministre d’Espagne et le marquis Spinola firent échouer tous les projets. On séduisit un page du prince qu’on appelait le petit Toiras et qui fut depuis maréchal de France. Le marquis de Cœuvres, ambassadeur à Bruxelles, reçut tout pouvoir du roi pour enlever madame la Princesse et la ramener en France. Le jour de l’enlèvement fut fixé au samedi 13 février 1610. La princesse, qui n’avait jamais eu une grande inclination pour son mari, y donnait les mains.

Mais, la veille du jour où l’enlèvement devait avoir lieu, toutes les menées furent découvertes et le complot échoua. Le Prince cria à tue-tête, les ministres d’Espagne se plaignirent; mais les ouvertures avaient été faites de vive voix, aucune preuve n’existait aux mains des plaignants; le marquis de Cœuvres nia tout.

Habitude ordinaire aux ministres qui ne réussissent pas, dit naïvement l’historien dans lequel nous puisons ces détails. Se voyant si mal en sûreté à Bruxelles, M. le Prince se retira à Milan, laissant sa femme à l’infante Isabelle, qui la fit garder comme une prisonnière.

Pour le coup, le roi perdit tout à fait la tête. Il écrivit à M. le Prince pour lui assurer son pardon s’il revenait et le menacer de toute son indignation s’il ne revenait pas. Alors il serait déclaré persistant dans sa révolte et criminel de lèse-majesté.

Le prince protesta de son respect et de son innocence, mais déclara qu’il ne reviendrait point. Le roi, apprenant que la princesse était restée à Bruxelles, dirigea toutes ses batteries de ce côté.

Il envoya M. de Préau au nom du connétable et de madame d’Angoulême, avec ordre de réclamer la princesse: M. le connétable et madame d’Angoulême écrivant qu’ils désiraient que madame la Princesse assistât au couronnement de la reine, qui devait avoir lieu le 10 mai.

Mais la cour d’Espagne refusa absolument de rendre madame la Princesse. Le roi se résolut alors à faire la guerre à l’Autriche et à l’Espagne. Le prétexte fut de secourir l’électeur de Brandebourg contre l’empereur Rodolphe. Grand succès pour Condé et pour les ennemis d’Henri IV.

Sa rupture avec le roi, la guerre faite à cause de lui, le constituaient le candidat de l’Espagne au trône de France. On avait bien voulu déclarer roi le petit bâtard d’Entragues.

Cette fois, c’était bien mieux, on faisait la guerre à ce vieux paillard de Béarnais, on déclarait Louis XIII illégitime, bâtard adultérin, on donnait des preuves, et l’on élisait Condé. Il y avait un prétendant, le Charles X de la Ligue.

L’Espagne, ayant en main une bonne cause, ne pouvait manquer de l’appui de la Providence. Ainsi, le 14 mai 1610, à quatre heures de l’après-midi, Henri IV fut assassiné. Donnons sur cette catastrophe et son auteur, ou plutôt ses auteurs, tout ce que nous avons réuni de détails.

«Le mystère de la tête d'Henri IV semble clos», France 2.