Les maîtresses du futur roi de France Henri IV

Alexandre Dumas publie en 1855 Henri IV et sa cour dans sa revue Le Mousquetaire. Le roi devient sous la plume du romancier un héros épique, courageux, humain galant, soucieux de l’unité du royaume. Récit de ses nombreuses conquêtes.

Dumas Henri IV Dumas Henri IV
En décembre 1600, Henri IV, 47 ans, obtient l'annulation de son mariage avec la reine Marguerite de Valois (connue sous le nom de la «Reine Margot»), et épouse Marie de Médicis de 22 ans sa cadette, fille de François Ier de Médicis et de Jeanne d'Autriche, et nièce de Ferdinand Ier, grand-duc de Toscane. (Peinture de Francois (Frans) Pourbus le jeune, 1569-1622). © DR

Retenu durant plus de trois ans comme otage à la cour, Henri réussit enfin à s’enfuir le 3 février 1576 lors d’une partie de chasse à Senlis (1). Il redevient chef du parti huguenot et abjure la foi catholique quatre mois plus tard. S’il soutient toujours le mouvement des Malcontents, qui regroupent les catholiques et les réformés modérés en lutte contre le gouvernement, il ne partage cependant pas les positions tranchées de son cousin, le prince de Condé, qui lutte avec acharnement en faveur de la cause protestante. A vrai dire, Henri cherche à ménager la couronne de France et cherche à s’assurer la charge de gouverneur en Guyenne (2). C’est pourquoi il ne s’engage qu’avec retenue lors de la sixième guerre de religion. «Henri a combattu avec tant de mollesse que son cousin Condé lui en a fait des reproches […]» (3) De ce fait, il suscite tant la méfiance des réformés, qui dénoncent son manque d’engagement, que des catholiques, haïssant le chef du parti opposé. Comme l’avance Jean-Pierre Babelon, Henri de Navarre est sujet à trois handicaps, qui le cantonnent alors à ne jouer qu’un rôle régional: «La mauvaise impression laissée dans le public par ses abjurations successives, ses infidélités aux dernières volontés de sa mère, ses légèretés de jeune prince insouciant et coureur.» (4)

D’octobre 1578 à mai 1579, le roi de Navarre reçoit à plusieurs reprises Catherine de Médicis dans son château de Nérac, dans la Garonne. Elle lui ramène sa femme, Marguerite, restée à la cour après la fuite de son mari, afin de tenter de le rallier à la politique du roi de France. «Commencent alors les beaux jours de Nérac, seul épisode heureux d’une vie conjugale traversée par toutes les tempêtes. Pour Marguerite surtout, ce fut l’époque bénie de son existence» (5). Mais, relève Emmanuel Le Roy Ladurie, «l’incompatibilité d’humeur séparera pour toujours les deux époux, après quelques tentatives de boiteuse cohabitation. Henri va demeurer bien longtemps semi-célibataire de fait» (6), tombant sous le charme de nouvelles maîtresses. Durant ces quelques mois, il va régner à Nérac (7), sous l’impulsion du couple royal de Navarre à nouveau reconstitué, une atmosphère légère et festive. En effet, «Nérac s’offre magnifiquement à ce séjour enchanteur de la cour de Navarre. L’agrément du château, la beauté du site et le souvenir poétique de Marguerite d’Angoulême en font pour un temps l’Athènes gasconne» (8). Janine Garrisson ajoute que «la cour d’Henry, qu’elle se tienne à Nérac ou qu’elle se divise pour suivre le prince dans ses déplacements, ressemble aux cours princières telles qu’Hollywood à sa grande époque aurait pu les reconstituer» (9). La cour prend plaisir à participer aux différents jeux (paume, quilles, billard), aux danses et aux parties de chasse. Elle accueille Michel de Montaigne, ainsi que des poètes, parmi lesquels Du Burtas. Henri et Marguerite s’amusent; il n’en demeure pas moins qu’Henri jette consécutivement son dévolu sur Dayelle, puis Rebours, et surtout sur Françoise de Montmorency-Fosseux (10), «l’une des espionnes de l’oreiller à la solde de Catherine de Médicis» (11). Mais dans la longue liste des maîtresses royales, Diane d’Andouins (12), comtesse de Gramont et de Guinche, Gasconne elle aussi, est une courtisane à part: Henri l’aime, de manière passionnée. Leur relation dure de 1583 à 1590. Cette jeune veuve, qui s’est appelée elle-même Corisande après lu l’Amadis de Gaule, soutient financièrement son amant, qui lui promet le mariage. Les conquêtes féminines du Béarnais, tout comme l’absence d’enfants issus de l’union, conduisent à la rupture couple. C’est au tour de Gabrielle d’Estrées d’apparaître dans la vie et le lit du roi.

Alain Chardonnens, historien, enseignant-formateur à l'Université de Fribourg 

Chapitre II

La pauvre Marguerite était à peine consolée de cette catastrophe de la Mole, quand une catastrophe non moins terrible la revint plonger dans un désespoir pareil. Bussy, le brave Bussy, Bussy d’Amboise fut assassiné par le comte de Monsoreau, qui força sa femme, Diane de Méridor, à lui donner un rendez-vous, et, ayant amené vingt hommes, fit tuer Bussy par ces vingt hommes. Ah! celui-là, convenons-en, sa perte pouvait bien être le désespoir d’une femme, cette femme fût-elle reine. La pauvre Marguerite, qui, d’après ses Mémoires, était si innocente qu’elle ne savait pas, huit jours après son mariage, si son mariage était consommé; qui justifie l’ingénuité de sa réponse sur ce que la reine Catherine appelait être homme, en disant qu’elle était «dans le cas de cette Romaine qui répondit aux reproches que lui faisait son mari de ne pas l’avoir averti qu’il avait l’haleine mauvaise: Je croyais que tous les hommes l’avaient pareille, ne m’étant pas approchée d’autre que de vous», la pauvre Marguerite n’a pas le courage de renier Bussy. Il était né, dit-elle dans ses Mémoires, pour être la terreur de ses ennemis, la gloire de son maître et l’espérance de ses amis. C’est que lui, de son côté, aimait grandement cette reine Marguerite qui lui rend ce bel hommage. Un jour, dans un duel acharné qu’il avait avec le capitaine Page, officier du régiment de Lauscoue, tenant ce capitaine sous lui et prêt à le tuer pour accomplir le serment qu’il avait fait qu’il ne mourrait que de sa main, celui-ci s’écria:
— Au nom de la personne du monde que vous aimez le mieux, je vous demande la vie!

La demande lui alla droit au cœur, et, levant à la fois le genou et l’épée:
— Va donc chercher par tout le monde, lui dit-il, la plus belle princesse et dame de l’univers, et te jette à ses pieds et la remercie, et dis-lui que Bussy t’a sauvé la vie pour l’amour d’elle.

Et le capitaine Page, sans demander quelle était cette belle dame et princesse, s’en alla droit à Marguerite de Valois et, se mettant à genoux, la remercia de lui avoir sauvé la vie. Aussi, comme elle aimait son brave Bussy, la belle reine! Elle raconte dans ses Mémoires qu’un jour, lui vingtième, il affronta trois cents hommes et ne perdit qu’un ami, «encore, ajouta-t-elle, le brave Bussy avoit-il son bras en écharpe.» Henri IV, qui semblait avoir pris son parti sur les équipées de sa femme, fut une fois, cependant, impitoyable pour elle, et ce fut à propos de Bussy. 
– Peut-être Henri IV, courageux par force morale, ne pouvait-il point pardonner à ce héros, courageux par tempérament, d’être mieux doué que lui par la nature. 

Marguerite avait, pour la servir dans ses amours avec Bussy, une fille de qualité dont elle avait fait non seulement sa confidente, mais encore son agente: c’était Gilonne Goyon, fille de Jacques de Matignon, maréchal de France, et que l’on appelait familièrement la Thorigny. Le roi Charles IX, poussé par Henri IV, prit en haine la pauvre fille et exigea son éloignement. La Thorigny fut donc renvoyée, malgré les réclamations et les larmes de sa maîtresse, et elle se retira chez un de ses cousins nommé Chatelas. De son côté, Bussy avait reçu l’ordre de quitter la cour. D’abord il refusa d’obéir; mais, sur les instances du duc d’Alençon, à qui il appartenait, il finit par se décider à cet exil. Ce fut une grande tristesse pour Marguerite, et qui rejaillit sur Henri IV. Voyez plutôt ce qu’en dit la reine de Navarre dans ses Mémoires: «Bannissant toute prudence de moi, je m’abandonnai à l’ennui, et je ne pus plus me forcer à rechercher le roi mon mari; de sorte que nous n’habitions plus et ne parlions plus ensemble. Par bonheur, cet état de contrainte ne dura pas longtemps.»  Le 15 septembre 1575, le duc d’Alençon s’évada de la cour, et, quelque temps après, le roi de Navarre, prétextant une chasse du côté de Senlis, eut le bonheur d’en faire autant. Le roi Henri III – c’était le roi Henri III, revenu de Pologne à la mort de Charles IX, qui régnait alors –, fut furieux. Il chercha sur qui faire tomber sa colère.

La pauvre Thorigny se trouvait sous sa main. Il prétendit – s’appuyant sur je ne sais quelle raison – que la jeune fille avait aidé cette double fuite et envoya des hommes à la maison de Chatelas avec ordre de noyer la coupable dans une rivière qui coulait à quelques centaines de pas de cette maison. C’en était fait de la malheureuse; les cavaliers, après s’être emparés du château, s’étaient emparés d’elle et la liaient sur le cheval qui devait l’emporter, lorsque deux officiers du duc d’Alençon, la Ferté et Aventigny, qui allaient rejoindre le prince, rencontrèrent les valets de Chatelas, alarmés et fuyants. Ceux-ci leur racontèrent tout, et les officiers coururent aussitôt à toute bride, avec leurs gens, dans la direction qu’on leur indiquait, et ils arrivèrent au moment où la Thorigny, déjà descendue de cheval, était emportée vers la berge de la rivière. Il va sans dire qu’elle fut sauvée.Ce n’était point sans raison que le successeur de Charles IX en voulait à Henri de Béarn. Il s’était passé, lors de la mort de Charles IX, une chose étrange et qui avait laissé une profonde impression à la cour.
— Allez-moi chercher mon frère, avait dit Charles IX mourant.

La reine mère lui envoie chercher M. d’Alençon.
Charles IX jette un regard de côté sur lui, l'un de ces regards à la Charles IX.
— J’ai demandé mon frère, dit-il.
— N’est-ce donc pas moi qui suis votre frère?
— Non, répond Charles IX; mon frère, celui que j’aime et qui m’aime, c’est Henri de Béarn.

Force fut d’envoyer chercher celui que demandait le roi. Catherine ordonna de le faire passer par la voûte où étaient les arquebusiers. Le Béarnais eut grand-peur; mais on le pousse en avant: il entre dans la chambre du roi, qui lui tend les bras.
— Nous avons dit la facilité de larmes de Henri; il se jette sur le lit en sanglotant.
— Vous avez raison de me pleurer, lui dit Charles, car vous perdez un bon ami. Si j’avais cru ce que l’on disait, vous ne seriez plus en vie; mais je vous ai toujours aimé. Ne vous fiez pas à… 

La reine mère l’interrompit.
— Ne dites pas cela, monsieur.
— Madame, je le dis, car c’est la vérité. Croyez-moi, mon frère aimé, je me fie en vous seul, de ma femme et de ma fille. Priez le Seigneur pour moi. Adieu. 

Celui auquel Henri de Béarn ne devait pas se fier, c’était Henri de Valois. Aussi, sauvé des mains de Henri de Valois, Henri de Béarn courut-il tout d’une traite jusqu’en Guyenne. Une fois arrivé en Guyenne, Henri, qui était parti sans prévenir sa femme et sans lui dire adieu, lui écrivit, dit l’auteur des Mémoires historiques et critiques, une lettre fort honnête, où il lui demandait le secours de son crédit près du roi et des nouvelles de la cour, afin de régler ses démarches sur ce qu’elles lui apprendraient. La bonne reine Marguerite pardonna tout et arrangea les affaires de son frère le duc d’Alençon et de son mari le roi de Navarre, tout en faisant assassiner, à ce que l’on assure, son ennemi du Guast. L’accusation est dure; mais la chose n’était point rare à cette époque, et l’assassinat, comme on dit aujourd’hui, était très bien porté. Voici, au reste, ce que Marguerite dit de ce du Guast dans ses Mémoires: «Le Guast étoit mort, ayant été tué par un jugement de Dieu, lorsqu’il suoit une diète. Comme aussi c’étoit un corps gâté de toute sorte de vilenies qui fut donné à la pourriture qui dès longtemps le possédoit, et son âme au démon, à qui il en avoit fait hommage par magie et toute sorte de méchancetés…»

S’il faut en croire Brantôme, ce du Guast était l’homme le plus accompli de son temps. Il est vrai que du Guast était le favori de Henri III, et que Brantôme, la flatterie incarnée, flattait le favori même au-delà de la mort; le roi ne vivait-il pas? Du Guast fut tué quelques jours après le départ d’Henri IV, dans sa maison, pendant qu’il était malade, par Guillaume Duprat, baron de Viteaux. Desportes, l’auteur de la charmante villanelle Rosette pour un peu d’absence, que chantait M. le duc de Guise cinq minutes avant d’être tué, a fait sur cet assassinat de du Guast un assez beau sonnet qui finit par ces trois vers: «Enfin, la nuit, au lit, faible et mal disposé, Se vit meurtrir de ceux qui n’eussent pas osé En plein jour seulement regarder son visage.» Soit retour vers son mari, soit crainte d’être broyée entre les débats politiques, Marguerite, au grand étonnement de tout le monde, demanda à aller rejoindre Henri en Guyenne; ce qui lui fut refusé par le roi, sous le prétexte qu’il ne voulait point que sa sœur vécût avec un hérétique. Enfin, la reine mère ayant décidé qu’elle irait elle-même en Guyenne pour négocier avec Henri, Marguerite obtint de l’accompagner dans ce voyage.

Mais sans doute la reine mère ne comptait point assez sur les séductions de sa fille, si séduisante que fût sa fille, car elle emmena avec elle ce qu’elle appelait son escadron volant, escadron des plus jolies filles du royaume et dont l’effectif, au dire de Brantôme, montait parfois au nombre de trois cents. C’était un puissant moyen de séduction pour la reine Catherine de Médicis, que ce fameux escadron volant dont il est parlé dans les mémoires et pamphlets du temps. En effet, Alexandre a bien résisté à la femme et aux filles de Darius; Scipion, à cette belle Espagnole fiancée d’Allutius et dont l’histoire a oublié de nous conserver le nom; Octave a bien résisté à Cléopâtre; et Napoléon, à la belle reine Louise de Prusse. Mais le moyen qu’un homme, fût-il général, roi ou empereur, résiste à un escadron de trois cents femmes plus belles et plus séduisantes les unes que les autres, commandées par un capitaine tel que Catherine de Médicis?

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Catherine de Médicis, épouse du roi Henri II et Reine de France (auteur inconnu, entre 1547 et 1559).  © DR

Certes, un homme du tempérament d’Henri IV, dont la principale vertu n’était pas la continence, devait succomber. Il succomba. La belle Dayelle eut les honneurs du triomphe. C’était une Grecque de l’île de Chypre, laquelle île a, voilà tantôt trois mille ans, donné son nom de Cypris à Vénus. Tout enfant, elle avait joué sur les ruines d’Amathonte, de Paphos et d’Idalie, et, quand la ville, en 1571, avait été prise et mise à sac par les Turcs, elle s’était heureusement sauvée sur une galère vénitienne. Recommandée à la cour de Catherine, celle-ci l’avait trouvée d’une merveilleuse beauté et, jugeant que cette beauté pourrait la servir, l’avait engagée dans son escadron volant. Elle et madame de Sauve, dit d’Aubigné, furent les deux jolies et adroites personnes que la reine mère employa pour amuser Henri IV, au voyage qu’elle fit en Gascogne en 1578. Par bonheur pour les affaires des huguenots, Marguerite, qui protégeait toujours son mari, même au milieu des infidélités dont elle l’accablait, par bonheur, disons-nous, Marguerite se chargea de faire le contrepoids de cette passion d’Henri pour la belle Grecque: elle séduisit le conseiller Pibrac, tout chaud à cette époque de la célébrité que lui avaient donnée ses quatrains moraux, qui venaient d’être imprimés quatre ans auparavant. C’était un homme fort important que messire Guy du Faure, seigneur de Pibrac, qui avait représenté la France au concile de Trente avec le titre de juge mage, et qui, y ayant défendu les libertés de l’Eglise gallicane, avait été fait avocat général, puis conseiller d’Etat, puis avait suivi Henri III en Pologne et était revenu de Pologne avec lui, et, envoyé par lui, venait – après avoir défendu, comme nous l’avons dit, les libertés de l’Eglise gallicane au concile de Trente – défendre les intérêts des catholiques aux conférences de Nérac. Marguerite n’oublia point les services rendus à son mari par le brave conseiller. Elle le fit plus tard président à mortier, et son chancelier et celui du duc d’Alençon. 

C’est dans l’histoire, et non dans cette chronique, qu’il faut aller chercher les résultats des conférences de Nérac, les articles du traité et l’influence que ce traité eut sur les affaires du temps. On sait que nous avons mission de nous occuper de tout autre chose. Le traité signé, les conférences fermées, la reine mère passa en Languedoc, et la cour du roi de Navarre se rendit à Pau en Béarn. Nous avons donné, ou à peu près, la liste des amants de Marguerite. Essayons de donner la liste des maîtresses d’Henri IV. De son séjour en Béarn, antérieur à son mariage, on n’a souvenir que d’une amourette de petite fille et de jeune homme. Tout le monde connaît le nom de Fleurette sans savoir d’elle autre chose, sinon qu’elle était la fille d’un jardinier de Nérac, que Henri de Béarn l’aima, et qu’elle aima Henri de Béarn. Rien de positif ni d’authentique dans cet amour, pas même le nom de l’héroïne. Fleurette, dit l’auteur des Anecdotes des reines et régentes de France, nom vrai ou imaginé de la fille du jardinier du château de Nérac, assez jolie pour amuser le roi de Navarre. Puis vient mademoiselle de Tignonville, fille de Laurent de Montuan. Celle-là fut non pas la maîtresse, mais l’amante du roi de Navarre. Les résistances étaient rares dans ce beau temps où l’amour était la troisième religion, si elle n’était pas la première. Consignons celle-là; elle est, d’ailleurs, plus authentique que l’histoire de Fleurette. C’est Sully et d’Aubigné qui en font roi. Le roi de Navarre, dit Sully, s’en alla en Béarn, sous prétexte de voir sa sœur. «Mais, en effet, on croit qu’il y étoit attiré par la jeune Tignonville, dont il faisoit lors l’amoureux. Elle résista fermement aux attaques du roi de Navarre, et ce prince, qui s’enflammoit en proportion des obstacles qu’il trouvoit au succès, employa près de la jeune Tignonville toutes les ressources d’un amant passionné.»

Quelles étaient ces ressources d’un amant passionné?
D’Aubigné va nous le dire; c’est lui-même qui parle: «Sur ce point, étant commencés les amours du jeune roi et de la jeune Tignonville, qui, tant qu’elle fut fille, résista vertueusement, le roi voulut y employer d’Aubigné, ayant posé pour chose sûre que rien ne lui étoit impossible; mais celui-ci, assez vicieux en grandes choses, et qui peut-être n’eût point refusé ce service par caprice à un sien compagnon, se révolta tellement contre le nom qu’on lui vouloit faire prendre, et l’emploi qu’on lui vouloit donner, que les caresses démesurées de son maître, ou ses infinies supplications jusqu’à joindre les mains devant lui à genoux, ne le purent émouvoir.» Voilà donc le roi de Navarre repoussé et obligé d’en revenir à madame de Sauve. C’était, au reste, un charmant pis aller. Charlotte de Beaune de Semblançay, dame de Sauve, était non seulement l'une des plus belles, mais encore une des plus séduisantes créatures de la cour, et il ne faut pas, sur ce point, croire ce que dit d’elle, dans ses Mémoires, la reine Marguerite, dont elle fut deux fois la rivale: une fois dans ses amours avec le duc d’Alençon, une autre fois dans ses amours avec Henri de Navarre. Elle était petite-fille du malheureux Semblançay, exécuté sous François Ier, et tenait son charmant nom de dame de Sauve de Simon de Fizes, baron de Sauve, son mari. Elle n’eut point l’idée de résister comme la jeune Tignonville: la résistance n’était pas dans les habitudes de cette belle personne; elle fut la maîtresse déclarée du roi de Navarre pendant que celui-ci était consigné au Louvre avec le duc d’Alençon, et son amour fit passer plus rapides les heures de prison du captif, et même, assure-t-on, des deux captifs. Il paraît que cette médisance n’est pas tout à fait une calomnie, car voici ce que l’on trouve écrit de la main d’Henri IV dans les Mémoires de Sully: «Nos premières haines (avec M. d’Alençon) commencèrent dès lors que nous étions tous deux prisonniers à la cour, et que, ne sachant à quoi nous divertir, parce que nous ne sortions pas souvent et n’avions d’autre exercice que faire voler des cailles dans ma chambre, nous nous amusions à caresser les dames; en sorte qu’étant devenus tous deux amoureux d’une même beauté, qui étoit madame de Sauve, elle me témoignoit de la bonne volonté et le rabrouoit et le méprisoit devant moi, ce qui le faisoit enrager.»

Leur haine devint telle qu’ils furent sur le point de s’égorger dans un duel sans témoins; ce qui eût bien pu arriver si, tout prudent, nous l’avons dit, qu’était Henri IV, le duc d’Alençon n’eût été encore plus prudent que lui. Cette haine produisit un singulier effet: c’est que, horriblement jaloux l’un et l’autre, ils cessèrent complètement de l’être des étrangers. De sorte, dit Marguerite dans ses Mémoires, de sorte que, quoique la dame de Sauve fût aimée du duc de Guise, de du Guast, de Souvray et de plusieurs autres, tous plus aimés que le roi de Navarre et le duc d’Alençon, ceux-ci n’y pensoient point et ne craignoient que la préférence que l’un pouvait avoir sur l’autre. Henri IV en était au plus fort de cet amour quand il se sauva du Louvre; soit influence de madame de Sauve, soit crainte de trahison, il partit même sans prévenir sa femme. Il eût bien voulu au moins enlever sa maîtresse, mais ce fut chose impossible. La belle Dayelle vint apporter un instant de diversion dans le cœur du roi, dit Marguerite, étant éloignée de sa Circé, dont les charmes avoient perdu leur force par l’éloignement. Mais la belle Dayelle ayant suivi la reine mère, la correspondance se renoua, et ce fut la dame de Sauve qui, à son tour, prit la fuite de Paris pour venir rejoindre le roi à Pau. Par malheur, elle avait tardé, et, dans un voyage que le roi avait fait à Agen, il était devenu amoureux de Catherine du Luc. C’était la plus belle fille de la ville, et sa beauté fut pour elle un sujet de misère. Henri IV en eut une fille; mais, les événements l’ayant séparé d’elle, et Henri IV ayant oublié cette aventure, la mère et l’enfant moururent de faim. Ah! c’était un amant, un ami, un roi fort oublieux que Henri IV, et – d’Aubigné en sait quelque chose – fort avare, en outre.

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Portrait du roi de France Henri IV. © DR

Le roi le chargea, vers ce temps, d’une mission en Gascogne. D’Aubigné voulut y paraître en véritable seigneur qu’il était: il y mangea sept ou huit mille livres de son patrimoine. A son retour, il s’attendait bien, si avare que fût son maître, à être remboursé et récompensé; mais, pour toute gratification, Henri IV lui donna son portrait. D’Aubigné, au bas du portrait, écrivit ces quatre vers: «Ce prince est d’étrange nature; Je ne sais qui diable l’a fait! Car il récompense en peinture ceux qui le servent en effet.» En quittant Agen, Henri IV y avait oublié non seulement la pauvre Catherine du Luc, mais encore, dit d’Aubigné, «un grand épagneul nommé Citron, qui avait accoutumé de coucher sur les pieds du roi (et souvent entre Frontenac et d’Aubigné); 
— Cette pauvre bête, qui mouroit de faim, lui vint faire chère, de quoi esmu, il la mit en pension chez une femme, et lui fit coudre sur son collier le sonnet suivant:

La fidèle Citron, qui couchait autrefois
Sur votre lit sacré, couche ores sur la dure;
C’est le fidèle chien qui apprit de nature
De faire des amis et des traîtres le choix.

C’est lui qui les brigands effrayoit de sa voix,
Des dents qui meurtrissoit. D’où vient donc qu’il endure
La faim, le froid, les coups, les dédains et l’injure,
Payement coutumier du service des rois?

Sa fierté, sa beauté, sa jeunesse agréable
Le fit chérir de tous, mais il fut redoutable
A vos haineux, aux siens pour sa dextérité.

Courtisans qui jetez vos dédaigneuses vues
Sur ce chien délaissé, mort de faim par les rues,
Attendez ce loyer de la fidélité!»

Par bonheur pour le pauvre Citron, Henri passait le lendemain à Agen; on le mena au roi, «qui pâlit, dit d’Aubigné, en lisant cet écrit.» Il est probable que cette pâleur assura une rente viagère à Citron. D’Aubigné n’en dit pas davantage sur lui. Henri IV s’habitua peu à peu à ce genre de reproche et, après avoir pâli, ne se donna plus même la peine de rougir pour si peu. Il est vrai que c’était quelques années après qu’arriva l’anecdote que nous allons raconter.

Une nuit, dit d’Aubigné, me trouvant couché dans la garde-robe de mon maître avec le sieur de la Force – ce même Caumont qui avait échappé miraculeusement à la Saint-Barthélemy, dont Voltaire a écrit l’aventure en si mauvais vers, et qui mourut maréchal de France, en 1652, âgé de quatre-vingt-treize ans –, une nuit, dit d’Aubigné, me trouvant couché dans la garde-robe de mon maître avec le sieur de la Force, je lui dis à plusieurs reprise: «La Force, notre maître est un ladre vert et le plus ingrat mortel qu’il y ait sur la face de la terre.» Et lui, qui était moitié endormi, demanda: «Que dis-tu, d’Aubigné?» Le roi, qui avait entendu le dialogue, répondit pour lui: «Il dit que je suis un ladre vert et le plus ingrat mortel qu’il y ait sur la terre. Que vous avez donc le sommeil dur, la Force!» De quoi, ajoute d’Aubigné parlant de lui-même, de quoi l’écuyer resta un peu confus. Mais son maître ne lui fit point pour cela plus mauvais visage le lendemain, mais aussi ne lui en donna point un quart d’écu d’avantage.» Voilà un coin du caractère d’Henri IV peint de main de maître.
– Merci, d’Aubigné!

L’histoire privée et même politique de Henri IV est l’énumération de ses amours et de ses amitiés; seulement, on le trouve constamment ingrat en amitié, volage en amour. A Catherine du Luc succéda la femme de Pierre Martinus, que, du nom de son mari, on appelait Martine. Son nom, la complaisance de son mari et une grande réputation de beauté qui avait rendu amoureux d’elle le chancelier de Navarre Dufay, voilà tout ce qui reste d’elle. Puis vint Anne de Balsac fille de Jean de Balsac, seigneur de Montaigu, surintendant de la maison de Condé. Elle épousa François de l’Isle, seigneur de Treiny; mais la chronique scandaleuse se contente de la désigner sous le nom de la Montaigu. Puis Arnaudine, sur laquelle on trouvera d’assez singuliers renseignements à la page 129 du tome premier de la Confession de Sancy. Puis la demoiselle de Rebours, fille d’un président de Calais. Celle-ci est fort maltraitée par Marguerite. Il est vrai que ses amours eurent lieu avec le roi pendant la présence de Marguerite à Pau. C’était, dit la reine de Navarre, une fille malicieuse, qui ne m’aimait point, me faisant tous les jours les plus mauvais offices qu’elle pouvait.

Mais le règne de Rebours ne fut pas long. Le roi et la cour quittèrent Pau, où la pauvre fille tomba malade et, demeurée souffrante, fut obligée de rester. Délaissée, elle mourut à Chenonceaux. Cette fille venant d’être fort malade, dit Brantôme, la reine Marguerite la visita, et qu’ainsi qu’elle voulut rendre l’âme, l’admonesta et puis dit: «Cette pauvre fille endure beaucoup; mais aussi a-t-elle fait bien du mal!» Ce fut son oraison funèbre. Françoise de Montmorency-Fosseux, plus connue sous le nom de la belle Fosseuse, lui succéda. Il faut voir, dans les Mémoires de Marguerite, la peinture faite par elle de cette charmante petite cour de Nérac; c’est à en faire venir l’eau à la bouche des plus dégoûtés. Elle était composée de tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus galant dans le Midi. Marguerite de Navarre et Catherine, sœur d’Henri IV, en étaient les reines. C’était un singulier mélange de catholiques et de protestants; mais, pour le moment, il y avait trêve aux guerres de religion. Les uns allaient au prêche avec le roi de Navarre, les autres à la messe avec Marguerite, et comme le temple était séparé de l’église par une promenade charmante en manière de bosquets, on se rejoignait dans de délicieuses allées de myrtes et de lauriers, sous des massifs de chênes verts et d’arbousiers, et, une fois-là, on oubliait le prêche et la messe, Luther et le pape, et l’on sacrifiait, comme on disait alors, au seul dieu d’amour.

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Henri IV, roi de Navarre et la belle Fosseuse (peinture d'Anthony Paul Emile Morlon).  © DR

La belle Fosseuse sacrifia tant et si bien qu’elle se trouva enceinte. Par bonheur, Marguerite, fort occupée du vicomte de Turenne, s’inquiétait assez peu de ce que faisait son mari. Cependant l’affaire était embarrassante. Fosseuse faisait partie des dames de la reine; or, toutes les dames de la reine couchaient dans ce qu’on appelait la chambre des filles. Enfin, les deux amoureux s’en tirèrent grâce à une complaisance de la bonne Marguerite. Laissons-la raconter elle-même l’aventure. Le mal lui prit un matin, au point du jour, étant couchée en la chambre des filles. Elle envoya querir mon médecin, et le pria d’aller avertir le roi mon mari; ce qu’il fit. Nous étions toutes couchées en une même chambre, en divers lits, ainsi que nous étions accoutumées. Comme le médecin lui dit cette nouvelle, il se trouva fort en peine, ne sachant que faire, craignant d’un côté qu’elle ne fût découverte, de l’autre qu’elle ne fût mal secourue, car il l’aimoit fort. Il se résolut enfin de m’avouer tout, et me pria de l’aller secourir, sachant bien que, quoi qu’il se fût passé, il me trouveroit toujours prête à le servir en ce qu’il lui plairoit. Il ouvre mon rideau et me dit: «Ma mie, je vous ai celé une chose qu’il faut que je vous avoue: je vous prie de m’en excuser, mais obligez-moi tant que de vous lever tout à cette heure, et allé secourir Fosseuse, qui est fort mal. Vous savez combien je l’aime; je vous prie, obligez-moi en cela.» Et Marguerite se leva et secourut la pauvre Fosseuse, laquelle accoucha d’une petite fille qui arriva morte, tant sa mère s’était serrée pour dissimuler son état. Aussitôt l’accouchement opéré, on reporta la malade dans la chambre des Filles. Henri espérait ainsi qu’on ne se douterait de rien.

Il va sans dire qu’on s’en douta si peu que, le même jour, tout Nérac sut la nouvelle. Les amours de Henri avec Fosseuse durèrent cinq ans, après lesquels ils se quittèrent tous deux d’un commun accord: Henri pour devenir amoureux de la comtesse de Guiche; Fosseuse pour épouser François de Broc, seigneur de Saint-Mars. Dès lors, la belle Fosseuse s’enfonce et disparaît dans la nuit du mariage, presque aussi épaisse pour elle que celle de la mort, puisqu’on ignore, à partir de ce moment, où elle vit et où elle meurt. Mais avant d’en arriver à la belle comtesse de Guiche, plus connue sous le nom de Corisande, disons encore quelques mots de Marguerite. Cette bonne intelligence des deux époux, que n’avait pu troubler la publicité de leurs amours respectifs, s’obscurcit à l’endroit des matières religieuses. La cour était à Pau, ville presque entièrement protestante. Il en résultait que les deux religions n’avaient plus, comme à Nérac, ville neutre, chacune son temple. Tout ce que l’on permit à Marguerite fut de faire dire la messe au château, dans une petite chapelle qui contenait à peine six ou sept personnes. Les rares catholiques de la ville espéraient, du moins, pouvoir assister par fractions à la messe; mais à peine la reine était-elle dans l’église qu’un nommé Le Pin, zélé huguenot, intendant du roi de Navarre, faisait lever le pont. Cependant, le jour de la Pentecôte de l’an 1579, quelques catholiques parvinrent à se glisser dans la chapelle et, par cette pieuse maraude de la parole céleste, à entendre la messe. Les huguenots, au pouvoir, sont non moins persécuteurs que les catholiques, témoin le bûcher du pauvre Servet à Genève. Les huguenots les découvrirent, informèrent Le Pin de cette infraction à ses ordres, et, en présence même de la reine, on entra dans la chapelle, on arrêta les catholiques, et on les conduisit, en les maltraitant, à la prison de la ville. Marguerite s’en plaignit au roi son mari. Le Pin intervint et parla avec une hauteur que la reine traita d’insolence, et que le roi se contenta de qualifier d’indiscrétion. Mais la reine, qui connaissait sa force, insista, exigeant que les prisonniers catholiques fussent mis en liberté. Le Pin l’avait insultée: elle exigea que Le Pin fût chassé. 

Henri, après s’être bien défendu, fut obligé de lui donner satisfaction sur ces deux points; mais, de cette exigence, il prit contre sa femme ce profond ressentiment qui dicta plus tard à d’Aubigné le Divorce satirique, et, de l’indifférence où ils vivaient, ils passèrent à la désunion la plus marquée. La reine se retira à Nérac, et comme, depuis 1577, les hostilités avaient recommencé, elle obtint que Nérac fût traitée en ville neutre par les catholiques et les protestants, et qu’à trois lieues aux environs il ne fût fait aucun acte d’hostilité, mais à la condition que le roi de Navarre ne s’y trouvât point. Par malheur, une intrigue amoureuse du roi le conduisit à Nérac. Biron le sut, et, au moment où il faisait attaquer la suite du roi, un boulet de canon vint frapper la muraille à quelques pieds au-dessous du parapet d’où Marguerite regardait l’engagement. Marguerite ne pardonna jamais cette inconvenance à Biron. Cette septième guerre civile fatiguait Henri III au delà de toute expression. C’était peut-être, de tous les rois fainéants que compte la France – et le nombre en est grand! – celui qui désirait le plus le repos. Ce fut, comme par une punition anticipée de ses étranges défauts, celui peut-être dont le règne fut le plus agité. Enfin, il avisa que rien n’irait bien que si Henri et d’Alençon étaient prisonniers de nouveau ou, qui sait? même morts tout à fait. Il pensa que le moyen de les attirer à Paris était d’y appeler Marguerite. On fit une de ces paix plâtrées, comme savait si bien en faire la reine mère, et Henri III écrivit à sa sœur de revenir à la cour. Le duc d’Alençon reparut au Louvre; mais, quelques instances que l’on fît au roi de Navarre, on ne put le déterminer à quitter son royaume. Arrêter ou tuer d’Alençon, ce n’était faire que la moitié de la besogne, et le reste en devenait plus difficile.

Henri III se contenta de rager et de se manger les poings en voyant que le renard ne voulait point à toute force tomber dans le piège. Mais il ne lui manquait qu’une occasion et qu’une victime: l’une et l’autre se présentèrent. Joyeuse, le plus cher favori d’Henri III, était en mission à Rome. Henri III lui envoya un courrier. Ce courrier était porteur d’une lettre importante et contenant quelques-uns de ces secrets politiques et privés que nous révèlent l’Ile des Hermaphrodites Il est vrai que ces deux femmes étaient madame de Duras et mademoiselle de Béthune. Apparemment, le roi pensait que c'en était trop pour une princesse avec laquelle il avait affaire. Entre Saint-Clair et Palaiseau, un capitaine des gardes nommé Solern, accompagné d'une troupe d'archevêques, stoppa la litière de la reine, força la reine à se démasquer, frappa madame de Duras et mademoiselle de Béthune. Il a conduit les deux prisonniers à l'abbaye de Ferrières, près de Montargis, où ils ont été soumis à un interrogatoire des plus insultants pour la vertu de la reine. Mézerai et Varillas ajoutent même que le roi était présent à cet interrogatoire; mais sans doute, après réflexion et sa colère calme, Henri III pensa à l'énormité du fait qui venait d'être accompli, et il écrivit le premier à Henri de Béarn,

Dumas Henri IV Dumas Henri IV
Henry IV représenté sous les traits de Mars (toile de Jacob Bunel, vers 1605-1606). © DR

Le roi était à la chasse aux environs de Sainte-Foix quand il vit arriver un valet de la garde-robe de Henri III, qui lui remit une lettre toute de la main de son maître. Celui-ci disait que «pour avoir découvert la mauvaise et scandaleuse vie de madame de Duras et de mademoiselle de Béthune, il s’était résolu à les chasser d’auprès de la reine de Navarre, comme une vermine très pernicieuse et non supportable auprès d’une princesse de tel lieu.»  Mais de la manière dont il les avait chassées, mais de l’injure faite à la reine de Navarre, il ne disait pas un seul mot. Henri sourit comme il avait l’habitude de sourire en pareille circonstance, ordonna que l’on fît grande chère à l’envoyé du roi et, se doutant qu’il s’était passé quelque chose d’extraordinaire, attendit de nouveaux renseignements. Les renseignements ne tardèrent pas à arriver. Ce fut une lettre de la reine de Navarre. Elle lui racontait l’événement dans des détails qui flairaient la vérité autant que la lettre de Henri III flairait le mensonge. Le roi de Navarre expédia aussitôt Duplessis-Mornay à la cour de France pour supplier, en son nom, Henri III de lui déclarer la cause des insultes faites à la reine Marguerite et à ses femmes, et de lui indiquer, comme bon maître, ce qu’il avait à faire. Henri III biaisa, et l’on n’obtint aucune satisfaction. Marguerite continua, en conséquence, sa route vers Nérac, aux portes de laquelle son mari vint la recevoir.

Mais la conduite de Marguerite de Navarre avait ajouté de nouvelles fautes aux anciens griefs que son mari avait déjà à lui reprocher, et, à la suite d’une dispute dans laquelle Henri l’accusa d’avoir eu un enfant de Jacques Chevalon, Marguerite se retira à Agen, ville qui lui appartenait, lui ayant été donnée en dot. Ce qu’il y avait de pis, c’est que l’enfant existait réellement: ce fils, que Bassompierre appelle le père Archange, et Dupleix le père Ange, se fit plus tard capucin, devint directeur de la marquise de Verneuil et fut l’un des agents les plus acharnés de cette conspiration où Henri IV faillit laisser la vie, et où le comte d’Auvergne et d’Entragues furent condamnés à mort. Il va sans dire qu’Henri IV les gracia.

Notes et références
(1) Garrisson Janine: Henri IV. Paris, Editions du Seuil, 2008, pp. 75-76.
(2) Le Roy ladurie Emmanuel: L’Etat royal. De Louis XI à Henri IV, 1460-1610, tome 2. Paris, Hachette, 1987, coll. Histoire de France, p. 281.
(3) Babelon Jean-Pierre: Henri IV. Paris, Fayard, 2009, p. 235.
(4) Ibid., p. 217.
(5) Babelon Jean-Pierre: Op. cit., p. 260.
(6) Le Roy Ladurie Emmanuel: Op. cit., p. 282.
(7) Garrisson Janine: Op. cit., pp. 80-84.
(8) Babelon Jean-Pierre: Op. cit., p. 260.
(9) Garrisson Janine: Op. cit., p. 83.
(10) Françoise de Montmorençy-Fosseux (1566-1641), dite «la belle Fosseuse», est l’une des cinq filles de Pierre de Montmorençy. Devenue dame de compagnie de la reine Margot, elle est séduite par le roi. Devenue arrogante à l’égard de la reine, «la belle Fosseuse», enceinte, caressait l’espoir de devenir reine si elle mettait au monde un garçon. La reine proposa de l’éloigner de la cour, mais Françoise refuse de s’exécuter. En 1581, elle met au monde une fille mort-née. Sur les conseils de la reine-mère, Catherine de Médicis, Marguerite chasse l’intrigante de la cour en 1582. Elle épousa François de Broc, baron de Cinq-Mars en 1596.
(11) Garrisson Janine: Op. cit., p. 96.
(12) Née en 1554, Diane d’Andoins (ou d’Andouins) est la fille de Paul, baron d’Andoins, comte de Louvigny, et de Marguerite de Cauna. Cette riche héritière se retrouve veuve à l’âge de 26 ans à la suite de la mort de son mari, Philibert de Gramont, seigneur de Lescure et gouverneur de Bayonne. Femme d’une grande culture et d’une grande beauté, elle est d’emblée courtisée par Henri de Navarre. Durant les guerres de religion, cette catholique n’hésite pas à vendre ses diamants et à engager ses biens pour soutenir son amant réformé. Elle meurt en février 1621.