Il faut marier le roi Henri IV

Alexandre Dumas publie en 1855 Henri IV et sa cour dans sa revue Le Mousquetaire. Le roi devient sous la plume du romancier un héros épique, courageux, humain galant, soucieux de l’unité du royaume.

La question de sa descendance ronge le souverain. Henri IV, qui est sur le point d’aborder la cinquantaine, n’a pas encore d’héritier mâle légitime, bien qu’il soit déjà le père de plusieurs enfants issus de ses relations avec ses maîtresses, dont la dernière en date est Gabrielle d’Estrées. Dumas parle d’elle de la sorte: «Comme à toutes ses maîtresses, Henri IV avait promis le mariage à Gabrielle. Gabrielle avait vingt-six ans; elle était grasse, replète, positive, forte mangeuse; c’était pour elle, selon toute probabilité, que Henri IV demandait ces oies grasses de Béarn.»

Henri, sans héritier mâle légitime, se laisse d’autant plus convaincre qu’il est victime d’une sévère attaque de fièvre en octobre 1598. «La mort du roi aurait plongé le royaume dans les mêmes affres qu’en 1588» (1), déclare Yves-Marie Bercé. «Le roi était conscient du problème; il avait résolu d’épouser son actuelle maîtresse, Gabrielle d’Estrées, qu’il avait faite duchesse de Beaufort, et de légitimer les trois enfants qu’elle lui avait donnés. La duchesse était belle, intelligente, soutenue à la fois par des protestants, qui préféraient cette alliance à celle d’une princesse venue d’une cour catholique, et par d’anciens ligueurs auxquels elle était apparentée» (2).

Devenue marquise de Montceaux, puis duchesse de Beaufort, Gabrielle d’Estrées convainc Henri de se marier avec elle. Le pape Clément VIII se montre hostile au projet de mariage avec cette sulfureuse maîtresse au nom de la morale. De plus, quel enfant mâle du couple le pape devra-t-il légitimer pour prétendre à la succession au trône? César (1594-1665) ou Alexandre (1598-1629), fils de Gabrielle et d’Henri? Ou alors l’héritier mâle issu de leur union qu’elle pourrait avoir une fois reine?

Mais les intimes du roi le poussent alors penser à épouser une femme digne de son rang. Après que le pape Clément VIII eût dissout son mariage avec Marguerite de Valois, Henri IV porte son dévolu sur une princesse italienne : Marie de Médicis. Le choix n’est innocent. La Florentine est catholique et… très riche.

Alain Chardonnens

Références
(1) Bercé, Yves-Marie: La naissance dramatique de l’absolutisme (1598-1661), Nouvelle histoire de la France moderne, tome 3. Paris, Éditions du Seuil, 1992, coll. « Points Histoire », n°209, p. 15.
(2) Ibid., p. 15

Après la rentrée au Louvre vint le chapitre des récompenses. On fit une fournée de chevaliers du Saint-Esprit. M. le comte de la Vieuville père, ancien maître d’hôtel de M. de Nevers, neveu de Henri IV, en était. Quand ce fut son tour de recevoir le collier, il se mit à genoux comme d’habitude, et comme d’habitude aussi prononça les paroles sacramentelles: Domine, non sum dignus.

— Je le sais pardieu bien, répondit le roi; mais mon neveu m’en a tant prié que je n’ai pu le refuser.

La Vieuville raconta la chose lui-même, car il se doutait bien que, s’il gardait le silence sur l’anecdote, le roi, dans son humeur gasconne, ne manquerait pas, lui, de la raconter. De la Vieuville était, au reste, un homme d’esprit. Un jour, il railla un certain spadassin ayant réputation de toujours tuer son homme. Celui-ci lui envoya faire un appel par deux témoins, lesquels signifièrent au comte de la Vieuville que son adversaire l’attendrait le lendemain derrière les Carmes déchaux, à six heures du matin.

— À six heures, répondit la Vieuville, je ne me lève pas de si bon matin pour mes propres affaires. Je serais bien sot de me lever de si bonne heure pour celles de votre ami.

Et il n’alla point au rendez-vous; mais il alla au Louvre, où, racontant l’histoire, il mit les rieurs de son côté. Les hommes comme Henri IV se complètent par ceux qui les entourent. On se rappelle la lettre qu’il écrivit à Crillon après la bataille d’Arques. Crillon le vint rejoindre et le quitta le moins possible. Cependant, au moment où Henri IV entrait à Paris, lui, Crillon, était à Marseille avec le jeune duc de Guise, gouverneur de la Provence pour Henri IV. À Blois, en 1588, Henri III avait proposé à Crillon d’assassiner le duc de Guise. Mais lui s’était contenté de répondre:

— Sire, vous me prenez pour un autre.

Et, tournant le dos à Henri III, il s’en était allé. Le roi l’avait attaché au jeune duc de Guise, et Crillon était le véritable gouverneur de la Provence. Or, une flotte espagnole croisait devant Marseille. Une nuit que les jeunes gens buvaient et que Crillon dormait, on résolut de voir si ce Crillon, qu’on appelait le brave, était en réalité aussi brave qu’on le disait. On fit irruption dans sa chambre en criant:

Alarme! alarme! l’ennemi est maître de la ville. Crillon, réveillé par toutes ces clameurs, demanda, avec son calme ordinaire, quelle était la cause de ce vacarme. On lui répéta le conte convenu, c’est-à-dire qu’on lui cria aux oreilles que tout était perdu, et que l’ennemi était maître partout.

— Eh bien, après? demanda Crillon.
— Nous venons vous demander ce qu’il faut faire, dit le duc de Guise.
— Harnibieu! dit Crillon passant ses chausses avec la même tranquillité que s’il se rendait à la parade, la belle demande! il faut mourir en gens de cœur.

L’épreuve était faite, le duc de Guise avoua à Crillon que ce n’était qu’une épreuve. Crillon défit ses chausses avec la même tranquillité qu’il les avait mises ; mais, en les défaisant:

— Harnibieu! dit-il au jeune duc, tu jouais-là un jeu dangereux, mon enfant; si tu m’eusses trouvé faible, je t’eusse poignardé.

Se remettant alors au lit, il tira les couvertures sur son nez et se rendormit. Crillon était Gascon comme Henri IV, plus Gascon que lui peut-être. Henri IV n’avait prétention que de descendre de saint Louis, tandis que Crillon, qui descendait de Balbez de Crillon, avait la prétention de descendre de Balbus. Il n’avait jamais voulu apprendre à danser; car, dès la première leçon, son maître de danse lui ayant dit:

— Pliez, reculez!
— Harnibieu! dit-il, monsieur le maître de danse, je n’en ferai rien; Crillon ne pliera ni ne reculera jamais.

C’était un zélé catholique, et il en donna une preuve publique. Un jour de Passion qu’il se trouvait dans l’église et que le prêtre disait le crucifiement du Christ, les souffrances de Notre-Seigneur exaspérèrent Crillon.

— Harnibieu! dit-il, monseigneur Jésus-Christ, quel malheur pour vous que Crillon n’ait pas été là, on ne vous eût jamais crucifié!

Lorsque Henri vint à Lyon pour y recevoir Marie de Médicis:

— Madame, dit-il à la future reine en lui désignant Crillon, je vous présente le premier capitaine du monde.
— Vous en avez menti, sire, répondit Crillon, c’est vous.

Le 2 décembre 1615, il mourut. Le 3, les médecins l’ouvrirent; il avait le corps couvert de vingt-deux blessures et le cœur du double de grosseur qu’il est chez les autres hommes. Revenons au roi, qui eut à se reprocher de n’avoir pas fait Crillon maréchal de France. Il est vrai qu’avec Sully, Crillon avait empêché Gabrielle d’être reine. Nous avons dit la visite que le roi Henri IV avait faite à madame de Montpensier, sa tante, en rentrant à Paris. Il en fit une à son autre tante, madame de Condé, veuve du prince de Condé tué à Jarnac. Elle était sortie, et comme personne n’était là pour le lui dire, il pénétra jusque dans sa chambre à coucher. M. de Noailles en sortait, et il avait laissé sur le lit un papier où étaient ces deux vers:

Nul bien, nul heur ne me contente

Absent de ma divinité.
Henri prit une plume, et, achevant le quatrain, il mit ces deux derniers vers au-dessous des deux premiers :
N’appelez pas ainsi ma tante :

Elle aime trop l’humanité.
Après quoi, il sortit.

Il s’agissait d’instruire le roi dans la religion catholique. Ce fut M. Duperron, évêque d’Évreux, qui reçut cette charge difficile toujours, plus difficile avec un homme d’esprit comme Henri IV qu’avec tout autre. L’évêque commença par lui expliquer ce que c’était que l’enfer. Henri IV parut prêter une grande attention à ce que disait monseigneur. Cela encouragea le prélat.

— Sire, dit-il, nous allons maintenant passer au purgatoire.
— Inutile, dit le roi.
— Pourquoi inutile? demanda l’évêque.
— Je sais ce que c’est.
— Comment, sire, vous savez ce que c’est que le purgatoire?
— Oui.
— Qu’est-ce que c’est, alors?
— Monseigneur, dit le roi, c’est le pain des moines; n’y touchons pas.

L’instruction n’alla pas plus loin. Aussi Henri IV ne passa-t-il jamais pour un catholique bien ardent. Cependant il arriva que, dans sa guerre contre le duc de Savoie, Henri IV faisait en personne le siège de Montmeillan. Le roi, abrité avec Sully derrière un rocher, dirigeait les travaux de l’artillerie; un boulet lancé par la ville vint s’aplatir contre le rocher, dont il fit voler une partie en éclats.

— Ventre-saint-gris! s’écria Henri en faisant le signe de la croix.
— Ah! sire, dit Sully, que l’on ne vienne plus me chanter maintenant que vous n’êtes pas bon catholique.

En se rendant à ce siège, il s’était arrêté pour dîner dans un petit village. Comme Sully était occupé à donner des ordres pour la marche de son artillerie, et qu’il vit qu’il allait dîner seul:

— Que l’on m’aille chercher, dit-il, l’homme du village qui passe pour avoir le plus d’esprit.

Cinq minutes après, on lui amenait un paysan à l’œil futé, à la bouche moqueuse.

— Approche, lui dit-il.
— Me voilà, sire.
— Assieds-toi là.

Henri lui indiquait un siège en face de lui, de l’autre côté de la table.

— J’y suis, dit le paysan en s’asseyant.
— Comment t’appelle-t-on?
— Gaillard.
— Ah! ah! Et quelle différence vois-tu entre Gaillard et Paillard?
— Sire, je ne vois que la largeur d’une table entre les deux.
— Ventre-saint-gris! dit le roi, j’en tiens. Je ne croyais pas trouver un si grand esprit dans un si petit village.

Comme, en revenant de cette campagne, il traversait une ville où d’avance, ayant très faim, il avait envoyé ses fourriers pour lui préparer à dîner, il se trouva tout à coup arrêté par une députation ayant son maire en tête.

—Ventre-saint-gris ! dit-il, rien ne pouvait m’être plus désagréable en ce moment qu’un long discours; enfin, n’importe, il faut prendre patience.

Et il arrêta son cheval.

Le maire arriva jusqu’à son étrier, et là, tenant à la main un grand papier sur lequel le discours qu’il devait lire était écrit, il mit un genou en terre. Mais le digne magistrat avait mal choisi l’endroit. Son genou porta sur un caillou qui lui fit si grand mal qu’il ne put se retenir.

— F….. ! dit-il.
— Bon! dit Henri IV, restons-en là, mon ami ; tout ce que vous ajouteriez gâterait ce que vous venez de dire. Allons dîner.

Henri IV aimait les harangues courtes.

— Ce sont les longues harangues, disait-il, qui ont fait mes cheveux gris.

Après le dîner, le maire l’invita à visiter la ville. Le roi, qui avait une heure devant lui, accepta la promenade offerte. Au détour d’une rue, il se trouva face à face avec une vieille femme accroupie au pied d’un mur. À la vue du roi, elle voulut se lever.

— Restez, restez, ma bonne, lui dit Henri IV: j’aime mieux voir la poule que l’œuf.

Pendant le siège de la Rochelle, il entendit raconter qu’un certain épicier, par suite de ses relations avec le mauvais esprit, avait obtenu de celui-ci une main de gloire à l’aide de laquelle il faisait fortune. Cette fortune que faisait l’épicier excitait l’envie des autres commerçants, si bien qu’ils firent insinuer à Henri IV qu’il n’y avait pas de mal à faire son procès au sorcier et à le brûler. La réputation du Béarnais comme bon catholique ne pouvait qu’y gagner. Par malheur, Henri IV ne voyait pas facilement à toutes ces histoires de magie; un jour qu’on le pressait de prendre un parti à l’endroit de cet homme dont la fortune rapide scandalisait la ville, il promit de rendre une réponse positive le lendemain. Le lendemain, les zélés arrivent.

— Eh bien, sire, l’opinion de Votre Majesté est-elle fixée?
— Oui, dit Henri IV, cette nuit, à minuit, j’ai envoyé frapper à sa porte pour acheter une chandelle de trois deniers. Il s’est levé, a ouvert sa porte et a vendu la chandelle. Voilà sa main de gloire; cet homme ne perd pas une occasion de gagner, et c’est pourquoi il fait si bien ses affaires.

Henri IV comprenait d’autant mieux la probité chez les autres qu’il était né avec un irrésistible penchant au vol. Il ne pouvait s’empêcher de prendre et de fourrer dans sa poche tous les objets précieux qu’il trouvait sous sa main, et même de l’argent; mais, le même jour, ou le lendemain au plus tard, il renvoyait ce qu’il avait pris. Si je n’avais été roi, avait-il l’habitude de dire, j’eusse bien certainement été pendu. Il était de mine assez peu avantageuse, et son air un tant soit peu vulgaire justifiait ce mot de Gabrielle le voyant déguisé en paysan:

— Ah ! sire, que vous êtes laid!

Louise de l’Hôpital, demoiselle de Vitry, mariée à Jean de Seymer, maître de la garde-robe du duc d’Alençon, habituée qu’elle était à la bonne mine de Henri III, interrogée sur l’effet que lui avait produit le roi, qu’elle venait de voir pour la première fois:

— J’ai vu le roi, dit-elle, mais je n’ai pas vu Sa Majesté.

Lorsqu’il voyait une maison tombant en ruine, il avait l’habitude de dire:

— Ceci est à moi ou à l’Église.

Les amours de Henri IV avec Gabrielle, au lieu d’aller en diminuant, suivaient une progression qui faisait, comme nous l’avons dit, craindre aux amis du roi qu’il ne fît la folie de l’épouser. Au mois de juin 1591, elle lui avait donné un fils, celui qu’il n’avait point, et pour cause, appelé Alexandre mais César. Cet événement, qui combla le roi de joie, lui fit changer le nom de sa maîtresse, c’est-à-dire la seule chose qu’elle eût reçue de son mari. À son nom de dame de Liancourt il substitua celui de marquise de Monceaux. Ce fut à partir de l’heure où Gabrielle eut donné un fils à son amant qu’elle commença à faire ce beau rêve de devenir un jour reine de France. Il faut dire qu’elle marchait dans cet espoir, appuyée d’un bras sur madame de Sourdis, sa tante, et de l’autre sur M. de Chiverny, chancelier de France.

Son mariage avec M. de Liancourt était un obstacle qui semblait infranchissable. Elle fit prononcer d’abord la séparation, ensuite la nullité. De son côté, le roi fit des démarches pour obtenir de Marguerite qu’elle consentît au divorce. En attendant, César de Vendôme fut légitimé par lettres enregistrées le 3 février au parlement de Paris. En récompense de ce bon procédé du roi, Gabrielle rompit tout à fait avec Bellegarde. Au reste, sur ces deux points, son influence avait été heureuse. C’était elle qui avait obtenu du roi qu’il abjurât. Elle obtint de lui qu’il nommât Sully surintendant des finances.

Les finances étaient à Francois d’O et, s’il faut en croire cette lettre de Henri IV, ne prospéraient pas entre ses mains. Le roi, étant devant Amiens, écrivit à Sully:

Mon cher Sully, je suis proche des ennemis, et je n’ai quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnais complet que je puisse endosser. Mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués aux coudes, ma marmite est souvent renversée, et, depuis deux jours, je dîne et je soupe chez les uns et chez les autres, mes pourvoyeurs disant n’avoir plus moyen de me rien fournir pour ma table, d’autant qu’il y a plus de six mois qu’ils n’ont reçu d’argent.

Quelque temps après, Sully fut nommé surintendant. Gabrielle accoucha encore successivement de deux enfants: Catherine-Henriette, légitimée de France, depuis duchesse d’Elbeuf, et Alexandre de Vendôme, grand prieur de France. Ce siège d’Amiens avait été des plus inopinés. Le 12 mars 1597, veille de la mi-carême, tandis que le roi dansait un ballet avec la marquise, on vint annoncer qu’Amiens avait été surpris par les Espagnols. Naturellement, une pareille nouvelle interrompit ce ballet. Le roi resta un instant pensif; puis, prenant sa résolution:

— C’est assez de faire le roi de France, dit-il, il est temps de faire le roi de Navarre.

Puis, comme la marquise pleurait:

— Allons, ma maîtresse, ajouta-t-il, il faut prendre les armes et faire une autre guerre.

Il partit, et, le 25 septembre 1597, Amiens fut repris.

Ce fut pendant ce siège, c’est-à-dire le 10 juillet 1597, que Henri IV fit Gabrielle duchesse de Beaufort. Nous avons dit que Gabrielle avait eu sa bonne part dans la conversion de Henri IV. Voici la lettre que son amant lui écrivait quelques jours auparavant:

J’arrivai au soir de bonne heure et fus importuné de Dieugard jusqu’à mon coucher. Nous croyons à la trêve et qu’elle se doit conclure aujourd’hui. Pour moi, je suis à l’endroit des Ligueurs de Saint-Thomas, je commence ce matin à parler aux évêques. Outre ceux que je vous mandai hier pour escorte, je vous envoie cinquante arquebusiers qui valent bien des cuirassiers. L’espérance que j’ai de vous voir demain retient ma main de vous faire plus long discours. Ce sera dimanche que je ferai le saut périlleux. À l’heure que je vous écris, j’ai cent importuns sur les épaules qui me feront haïr Saint-Denis comme vous faites moult. Bonjour, mon cœur ! venez demain, de bonne heure, car il me semble déjà qu’il y a un an que je ne vous ai vue. Je baise un million de fois ces belles mains de mon ange, et la bouche de ma belle maîtresse.

Ce 23 juillet.

Quelques jours après la naissance de César, il écrivait cette autre lettre à Gabrielle:

Mon cher cœur, je n’ai rien appris de nouveau, sinon qu’hier je renouai le mariage de mon cousin, et tous les contrats en furent passés. Je jouai au soir, jusqu’à minuit, au reversi. Voilà toutes les nouvelles de Saint-Germain, mon menon. J’ai un extrême désir de vous voir; ce ne sera pas avant que vous soyez relevée, car je ne puis commencer ma diette à cause de l’ambassadeur de Savoie qui me vient jurer la paix, qui

L’empereur a dit quelque chose de pareil à Montereau: «Allons, Bonaparte, sauve Napoléon.» ne peut être que samedi. Mes chères amours, aimez-moi toujours bien, et soyez assurée que vous serez toujours la seule qui posséderez mon amour. Sur cette vérité, je vous baise un million de fois et le petit bonhomme.

Ce 14 novembre.
Terminons notre échantillon du style amoureux et épistolaire de Henri IV par ce dernier billet, qu’on croirait bien plutôt écrit par M. de Scudéri que par le vainqueur de Coutras et d’Ivry:

Mon cher cœur, j’ai pris le cerf en une heure avec tout le plaisir du monde, et je suis arrivé en ce lieu à quatre heures. Je suis descendu à mon petit logis, où il fait admirablement beau. Mes enfants m’y sont venus trouver, ou plutôt on me les y a apportés. Ma fille amende fort et se fait belle; mais mon fils sera plus beau que son aîné: vous me conjurez, mes chères amours, d’emporter autant d’amour que je vous en ai laissé. Ah! que vous me faites plaisir, car j’en ai eu tant, que, croyant avoir tout emporté, je pensais qu’il ne vous en fût point demeuré. Je m’en vais, las! entretenir Morphée. Mais, s’il me représente autre songe que vous, je fuirai à tout jamais sa compagnie. Bonsoir pour moi, bonjour pour vous, ma chère maîtresse ! je baise un million de fois vos beaux yeux.

Encore une lettre, et ce sera la dernière.

Mes belles amours, deux heures après l’arrivée de ce porteur, vous verrez un cavalier qui vous aime fort, que l’on appelle roi de France et de Navarre, titre certainement honorable, mais bien pénible; celui de votre sujet est bien plus délicieux. Au reste, tous trois sont bons en quelque sauce qu’on les puisse mettre et n’ai résolu de les céder à personne. J’ai vu, par votre lettre, la hâte qu’avez d’aller à Saint-Germain. Je suis fort aise qu’aimiez bien ma sœur, c’est un des plus assurés témoignages que vous me pouvez rendre de votre bonne grâce, que je chéris plus que ma vie, encore que je l’aime bien.

Bonjour, mon tout; je baise vos beaux yeux un million de fois. De nos délicieux déserts de Fontainebleau, ce 12 septembre.

On voit où en étaient les amours du roi pour Gabrielle. Il négociait en cour de Rome la rupture de son mariage avec Marguerite. Il pressait celle-ci de consentir au divorce, ce à quoi elle se refusait obstinément. Mais il était résolu à passer par-dessus tout. On déclarait Henri de Bourbon, prince de Condé, bâtard. M. le comte de Soissons se faisait cardinal, et on lui donnait trois cent mille écus de rente en bénéfices. François de Bourbon, prince de Conti, avait épousé Jeanne de Coëme, comtesse de Montafix, mère de la comtesse de Soissons, mais qui ne pouvait plus avoir d’enfants. Enfin, le maréchal de Biron devait épouser la fille de madame d’Estrées, qui fut depuis madame de Sauzay.

Et cependant les avertissements ne manquaient au roi ni d’en haut ni d’en bas. Un soir qu’il revenait de la chasse, vêtu fort simplement et n’ayant avec lui que deux ou trois gentilshommes, il passa la rivière au quai Malaquais, à l’endroit où est aujourd’hui le pont des Saints-Pères, et où autrefois était un bac. C’était en 1598, on venait de signer la paix de Vervius. Voyant que le batelier ne le connaissait pas, il lui demanda ce que l’on pensait de la paix.

— Ma foi, dit le batelier, je ne sais pas ce que c’est que cette belle paix, mais ce que je sais, c’est qu’il y a des impôts sur tout, et jusque sur ce misérable bateau avec lequel j’ai bien de la peine à vivre.
— Eh! reprit Henri, le roi ne compte-t-il donc pas mettre ordre à tous ces impôts-là?
— Peuh! le roi est un assez bon diable, répondit le passeur; mais il a une maîtresse à laquelle il faut faire tant de belles robes et tant d’affiquets que cela n’en finit point, et c’est nous qui payons tout cela.

Puis il ajouta d’un grand air de commisération:

— Passe encore si elle n’était qu’à lui, mais on dit qu’elle se fait caresser par bien d’autres!

Le roi se mit à rire. Rit-il de bon cœur? rit-il à contrecœur? Nous ne sommes pas assez avant dans les mystères de la jalousie royale pour décider cela. Mais, en tout cas, le lendemain, il envoya chercher le batelier et lui fit tout redire devant la duchesse de Beaufort. Le batelier répéta tout, sans omettre une parole. La duchesse était furieuse et voulait le faire pendre. Mais Henri, haussant les épaules:

— Vous êtes folle! dit-il; c’est un pauvre hère que la misère met de mauvaise humeur; je ne veux plus qu’il paye rien pour son bateau, et dès demain, je vous en réponds, il chantera : Vive Henri IV et Charmante Gabrielle!

Et le batelier quitta le Louvre avec une bourse contenant vingt-cinq écus d’or et la franchise de son bateau. Une chose tourmentait la duchesse, au reste, bien autrement que tout ce que les bateliers du monde pouvaient dire d’elle. C’étaient les horoscopes qu’elle faisait tirer sur sa fortune et qui tous étaient désespérants. Les uns disaient qu’elle ne serait mariée qu’une fois. Les autres, qu’elle mourrait jeune.

Ceux-ci qu’un enfant lui ferait perdre toute espérance. Ceux-là qu’une personne à laquelle elle donnait toute sa confiance lui jouerait un mauvais tour. Plus son bonheur semblait proche aux autres, plus à elle il semblait mal assuré, et Gratienne, sa femme de confiance, disait à Sully :

— Je ne sais ce qu’a ma maîtresse, mais elle ne fait que pleurer et gémir toute la nuit.

Et cependant Henri pressait Sillery, son ambassadeur à Rome, menaçant de refaire une France protestante si l’on ne brisait son mariage, et envoyait courriers sur courriers à Marguerite, menaçant d’un procès en adultère si elle ne donnait son adhésion au divorce. Sur ces entrefaites, une nouvelle grossesse se déclara. Gabrielle était à Fontainebleau avec le roi. Les fêtes de Pâques approchaient. Le roi pria Gabrielle de les aller faire à Paris afin que le peuple, qui, on ne sait pourquoi, la traitait de huguenote, n’eût point cette occasion de crier contre elle.

D’ailleurs, René Benoît, son confesseur, la pressait de son côté de revenir à Paris pour cette solennité. Il fut donc résolu que les deux amants se sépareraient pour quatre ou cinq jours et se retrouveraient aussitôt les fêtes de Pâques passées. C’était bien peu de chose qu’une si courte absence pour des gens qui avaient été si souvent séparés, et cependant jamais départ n’avait été plus douloureux. On eût dit qu’il y avait entre eux quelque pressentiment mortel, et qu’une voix funèbre leur disait au fond du cœur qu’ils ne se verraient plus. Ils ne pouvaient se résoudre à se séparer; ils se quittaient, Gabrielle faisait vingt pas et revenait pour recommander au roi ses enfants, ses domestiques, sa maison de Monceaux; puis le roi prenait congé d’elle, et alors c’était, à son tour, lui qui la rappelait. Henri la conduisit à plus d’une lieue puis revint tout triste et tout éploré à Fontainebleau, tandis que Gabrielle, non moins triste et non moins éplorée, continuait son chemin vers Paris.

Gabrielle arriva enfin à Paris. Elle était accompagnée du valet de chambre de Henri IV, nommé Fouquet, dit La Varenne. C’était le confident actif des amours du roi. Il jouait près de lui le rôle que Lebel jouait près de Louis XV. Le malheureux mourut de peur parce qu’une pie apprivoisée qu’il agaçait, au lieu de l’appeler de son nom de famille, Fouquet, ou de son surnom, La Varenne, l’appela d’un nom de poisson. Il paraît que la pie savante n’avait pas fait, à tout prendre, une aussi terrible erreur que le singe de la Fontaine, qui avait pris le Pirée pour un nom d’homme. Ce n’était pas sans raison que la pauvre Gabrielle avait des pressentiments.

Toute la cour était liguée contre elle. Henri IV avait beaucoup aimé et de bon nombre de façons ; mais il n’avait jamais aimé personne comme Gabrielle. Il avait fait, ou fait faire pour elle, sur un air de vieux psaume probablement, la ravissante chanson populaire alors, et restée populaire aujourd’hui encore, de Charmante Gabrielle. De toute la monarchie, il reste dans la bouche du peuple un nom – Henri IV – et deux chansons – Charmante Gabrielle et Malbrouk s’en va-t-en guerre.

Ah! il est resté un mot aussi: La poule au pot.

On venait d’entrer, depuis quarante ans de guerre, dans une période de paix; tout le monde avait faim et soif, n’ayant ni bu ni mangé depuis un demi-siècle. Le sobre Gascon lui-même semblait être devenu gastronome. Envoyez-moi des oies grasses du Béarn, dit-il; les plus grosses que vous pourrez trouver, et qu’elles fassent honneur au pays. Comme à toutes ses maîtresses, Henri IV avait promis le mariage à Gabrielle. Gabrielle avait vingt-six ans ; elle était grasse, replète, positive, forte mangeuse; c’était pour elle, selon toute probabilité, que Henri IV demandait ces oies grasses de Béarn.

Dans le dernier portrait qu’on a d’elle, et qui est le dessin que possède la Bibliothèque, son gras et frais visage s’épanouit comme un bouquet de lis et de roses. Si ce n’était la reine encore, dit Michelet, c’était bien la maîtresse du roi de la paix – le type et le brillant augure des sept années grasses qui devaient succéder aux sept années maigres dont à Paris on vit l’aurore.

C’était, de plus, la mère d’enfants que le roi aimait fort, des gros Vendômes. – Faible avec ses maîtresses, Henri IV était encore bien autrement faible avec ses enfants, avec ceux qu’il croyait de lui du moins. Il ne fut jamais faible avec Louis XIII, qu’il commandait par écrit de fouetter serré. On se rappelle le Béarnais à quatre pattes recevant l’ambassadeur d’Espagne ses enfants sur le dos.

Henri avait quarante-cinq ans; depuis trente, il portait le harnais de la guerre – l’ayant à peine déposé –, et toujours pour le reprendre presque aussitôt. Il arrivait à cet âge où l’homme a besoin de repos, de bonheur calme, d’intérieur. Il avait, comme tous les hommes faibles, l’orgueil de paraître absolu. Gabrielle, qui était réellement la maîtresse, lui laissait prendre des airs de maître. Cela lui allait.

Maigre, vif, vieilli de corps et fort entamé en amour, il était resté infiniment jeune d’esprit, et, par son extrême activité, imposait à l’Europe et se maintenait dans l’opinion. Jamais on ne le voyait assis; jamais il ne paraissait fatigué: l’intrépide marcheur du Béarn semblait avoir, pour quelque péché, reçu du ciel défense de prendre repos; c’était debout qu’il écoutait les ambassadeurs; c’était debout qu’il présidait le conseil; puis, les ambassadeurs entendus, le conseil présidé, il montait à cheval, chassait d’une façon enragée. Il semblait avoir le diable au corps.

Aussi le peuple, si juste dans ses appréciations, l’appelait-il le Diable à quatre. Toute cette vigueur s’était soutenue tant qu’avait duré la guerre. La paix faite, Henri IV s’aperçut qu’il était non seulement fatigué, mais épuisé.

Six mois après la paix faite, une trilogie effroyable, lasse probablement d’attendre, s’abattit sur lui: une rétention d’urine, la goutte, la diarrhée. – Pardon, cher lecteur, nous racontons les rois en robe de chambre. Le pauvre Henri IV en pensa mourir. Il avait tant vu, tant fait, tant souffert! Sur un seul point Henri IV resta ce qu’il avait toujours été: un coureur de femmes, et même un coureur de filles.

Madame de Motteville se plaint que, de son temps, les femmes n’étaient plus honorées comme sous Henri IV. C’est que Henri IV aimait les femmes, et que Louis XIII les détestait. Comment le fils de Henri IV détestait-il les femmes? Nous n’avons jamais dit, nous historien d’alcôve, que Louis XIII fût le fils de Henri IV. Nous dirons peut-être tout le contraire au moment de sa naissance.

La situation était donc bonne pour Gabrielle : elle devenait, en tourmentant un peu, la femme d’un roi fatigué auquel elle apportait en dot, non de l’or, non des provinces, mais quelque chose de bien autrement précieux : des enfants tout faits. Mais l’Espagne battue espérait bien prendre sa revanche en introduisant dans le lit du roi une reine espagnole. De là les craintes de la pauvre Gabrielle. Elle se sentait un obstacle. Et, en face de l’Espagne et de l’Autriche, les obstacles duraient peu. Le roi de France était le seul roi soldat de l’Europe: la France était la seule nation guerrière. On n’avait pas pu s’emparer de la France; il fallait s’emparer du roi.

Il fallait le marier. Et, si l’on ne pouvait pas le marier, le tuer. On le maria, ce qui n’empêcha point qu’on ne le tuât. Comme politique, il était aussi le plus fort. Il avait plus d’esprit à lui seul que tous ses ennemis ensemble. Tout en ayant l’air de faire tout ce que Rome voulait, il finissait toujours par faire à sa guise. Il avait promis au pape le rétablissement des jésuites, mais il se gardait bien de tenir sa promesse. Le rétablissement des jésuites, il le savait bien, c’était sa mort. Le pape le pressait par l’intermédiaire du nonce. Mais lui, toujours spirituel, toujours éludant, glissant toujours:

— Si j’avais deux vies, répondit-il, j’en donnerais volontiers une pour Sa Sainteté. Mais je n’en ai qu’une, et je la dois garder pour son service.

Et il ajouta:

Et pour l’intérêt de mes sujets. Il fallait donc marier le roi, ou le tuer! Il faut rendre cette justice au pape qu’il était pour le mariage. Pour un mariage italien ou espagnol – pour un mariage toscan, par exemple. Les Médicis étaient tout à la fois Italiens et Espagnols. Il est vrai qu’à Bruxelles, le légat Malvezzi organisait à tout hasard l’assassinat. Voyez de Thou.

Le roi avait été et était encore bien pauvre. Dans sa grande misère, il avait eu recours à un prince banquier, despote de Florence. C’était l’habitude de nos rois de tendre la main par-dessus les Alpes, et les Médicis ont encore dans leurs armes les fleurs de lis avec lesquelles Louis XI leur a payé ses dettes. Mais, en leur qualité de banquiers, les Médicis avaient pris leurs précautions. Henri leur avait fait des délégations sur les impôts futurs, et ils avaient en France deux percepteurs qui recevaient directement en leur nom: Gondi et Zamet.

Remarquez bien que c’est chez ce dernier que va mourir Gabrielle. Chez l’homme du grand-duc Ferdinand qui, un an après, va marier sa nièce, Flamande par sa mère, Jeanne d’Autriche, Flamande par son grand-père, l’empereur Ferdinand, cousin de Philippe II et de Philippe III, à Henri IV, veuf de Gabrielle. Il avait, à tout hasard, le grand-duc Ferdinand, envoyé le portrait de Marie de Médicis à Henri IV.

— N’avez-vous pas peur de ce portrait ? demandait-on à Gabrielle.
— Non, répondit-elle, je n’ai pas peur du portrait, mais j’ai peur de la caisse.

Ce qui soutenait Gabrielle, c’est qu’avec un homme comme Henri IV, on sentait le besoin d’une reine française. Mais elle avait contre elle un homme à qui il n’était pas facile d’arracher son consentement, c’était Sully; et Henri IV ne faisait rien que du consentement de Sully. Les d’Estrées avaient fait la faute de mécontenter le rancunier financier. Sully désirait être grand maître de l’artillerie, et les d’Estrées avaient pris cette grande maîtrise pour eux. Ce grand astrologue des choses de la terre vit, dans son esprit éminemment juste, que Gabrielle ne réussirait pas, quoiqu’elle eût pour elle le roi. Mais qu’était-ce que le roi en pareille matière! Il pouvait donner son corps tout entier, moins sa main.

Puis on n’avait pas le sou. Sully commençait à peine cette grande restauration des finances qui, au bout de dix ans, au lieu d’un déficit de vingt-cinq millions, donna un excédent de trente. L’Italienne était riche. Sully, financier avant tout, était pour l’Italienne. Henri IV avait près de lui deux hommes dans lesquels il avait toute confiance :

La Varenne, ex-aumônier;
Zamet, ex-cordonnier.

C’étaient des drôles, le roi le savait, mais il ne pouvait pas plus se passer d’eux que de maîtresses. Nous allons avoir à nous occuper particulièrement de Zamet. Maintenant que nous avons vu la situation, passons au drame.

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