Maximilien de Béthune (1559-1641), duc de Sully, est le compagnon d’armes du roi Henri de Navarre. Rescapé du massacre de la Saint-Barthélemy, il combat dans les armées réformées aux côtés du Béarnais notamment à Coutras, Paris, Arques, Ivry ou encore Chartres.
Conseillant à Henri de se convertir au catholicisme, mais restant lui-même réformé, Maximilien de Béthune est nommé au Conseil des finances en 1596, puis devient surintendant des finances en 1598, rééquilibrant au fil des années le budget de l’Etat. En 1606, il est nommé duc et pair de Sully.
A la suite de l’assassinat d’Henri IV, il est nommé membre de la régence, mais, en désaccord avec la reine, démissionne en 1611 de sa charge de surintendant des finances et de gouverneur de la Bastille. Ses mémoires connaissent le succès.
L’édit de 1601 favorise l’exploitation minière. L’état des routes connaît une nette amélioration, stimulant ainsi l’économie (1). «Particulièrement novatrice est l’action de Sully, surintendant des finances, Grand maître de l’artillerie et Grand voyer de France en matière de routes et de désenclavement du territoire, grâce à la construction de ponts, phares, canaux, etc.». (2) Des canaux (3), favorisant le transport des marchandises, sont construits.
Malgré l’avis de Sully, Henri IV relance la politique coloniale en Nouvelle-France. Comme le relève Yves Cazaux, «les entreprises canadiennes voulues et décidées sous des formes diverses par Henri IV furent nombreuses avant de se cristalliser sur le nom prestigieux de Samuel Champlain» (4).
Le trésor royal connaît enfin un budget équilibré. Les importantes dettes de guerre sont remboursées et des réserves peuvent même être constituées grâce au travail de Sully.
Comme le relève Yves-Marie Bercé, «Sully, après une dizaine d’années d’administration des finances, pouvait se flatter d’avoir constitué dans le château de la Bastille, à Paris, où dormait le Trésor de l’Epargne, une réserve monétaire de plus de 12 millions de livres, soit une avance de revenus royaux de presque une demi-année» (5).
Toutefois, comme le relève Yves Cazaux, «il a manqué à Henri IV, pour relancer son commerce, et de façon plus générale toute l’économie française, l’instrument essentiel: une organisation du crédit» (6).
Joël Cornette ajoute qu’«avec le règne pacificateur d’Henri IV et le retour progressif à l’ordre, revenait le temps des années plus heureuses, un temps depuis longtemps oublié, celui où l’on dansait la farandole au début de l’été, où des musiciens circulaient dans les villages, un temps où les fêtes battaient leur plein, où l’effervescence des foires de l’automne attirait partout des foules d’acheteurs et de vendeurs». (7) C’est le début de «l’âge d’or henricien».
Alain Chardonnens, historien, enseignant-formateur à l'Université de Fribourg
Notes et références
(1) Michelet Jules: Histoire de France. Au XVIIe siècle. Tome XI. Henri IV et Richelieu. Paris. Chamerot, 1857, pp. 139-147.
(2) Le Roy Ladure Emmanuel: l'Etat royal. De Louis XI à Henri IV, 1460-1610, Tome 2. Paris, Hachette, 1987, Coll. «Histoire de France«, p. 306.
(3) Des canaux sont construits entre la Loire et la Seine, la Loire et la Saône, la Saône et la Meuse, l'Aude et la Garonne.
(4) Cazaux Yves: Henri IV. Les horizons du règne. Paris, Fayard, 1986. p. 292.
(5) Bercé Yves-Marie: La naissance dramatique de l'absolutisme (1598-1661), Nouvelle histoire de la France moderne, tome 3. Paris, Editions du seuil, 1992, Coll. «Points Histoire», n°209, p.36.
(6) Cazaux Yves: Op.Cit., p. 216.
(7) Cornette Joël: L'affirmation de l'Etat absolu, 1492-1652. Paris, Hachette Supérieur, 2012, 7e édition revue et augmentée, p. 176.
(8) Ibid., p.176.
Chapitre IX
Sully, si populaire depuis sa mort, était médiocrement aimé de son vivant. Cela tenait à sa brusquerie et à son air rébarbatif. Un soir, après dîner, cinq ou six seigneurs des mieux reçus au Louvre vinrent lui faire la cour à l’Arsenal.
Leurs noms l’empêchaient de les mettre à la porte; ayant leurs entrées chez le roi, ils pouvaient bien les avoir chez lui. Il les reçut donc, mais avec l’air maussade qui lui était habituel.
— Que me voulez-vous, messieurs? leur demanda-t-il.
L’un d’eux, croyant être mieux reçu en prévenant tout de suite le surintendant qu’il n’avait, ni lui ni ses compagnons, aucune grâce à demander, répondit:
— Tranquillisez-vous, monsieur, nous ne venons que pour vous voir.
— Ah! si vous ne venez que pour cela, dit Sully, ce sera bientôt fait.
Et, s’étant tourné devant et derrière pour se faire voir, il rentra dans son cabinet et ferma la porte sur lui. Un Italien, de ceux qui étaient venus à la suite de Marie de Médicis, avait eu affaire à lui pour de l’argent et en avait reçu tout un monde de rebuffades sans en avoir tiré une pistole.
Une dernière fois, revenant de l’Arsenal, il passa par la Grève juste au moment où l’on pendait trois ou quatre malfaiteurs.
— O beati impeccati, s’écria-t-il, che non avete da fare con quel Rosny! (Ô bienheureux pendus! qui n’avez pas affaire à ce Rosny !)
Sa difficulté à donner de l’argent faillit lui mal tourner. Un vieux maître d’hôtel du maréchal de Biron, fort connu du roi et qui s’appelait Pradel, ne pouvait avoir raison de Sully, qui se refusait à lui payer ses gages.
Un matin, comme il avait pénétré jusque dans la salle à manger, que Sully s’entêtait à l’en faire sortir et Pradel à y rester, Sully le voulut pousser dehors par les épaules; mais Pradel prit un couteau sur la table et déclara à Sully que, s’il le touchait seulement du bout du doigt, il lui planterait son couteau dans le ventre.
Sully rentra dans son cabinet et le fit mettre dehors par ses gens. Pradel alla trouver le roi.
— Sire, dit-il, j’aime mieux être pendu que de mourir de faim, c’est plus vite fait. Si d’ici à trois jours je ne suis pas payé, j’aurai le regret de vous annoncer que j’ai tué votre surintendant des finances.
Il l’eût fait comme il disait; mais, sur l’ordre précis de Henri IV, Sully le paya. Celui-ci avait eu l’idée, bonne idée au reste, de faire planter des ormes sur les grands chemins pour les orner. Ces ormes, on les appelait des Rosnys. Le surintendant était si fort détesté que les paysans les coupaient pour lui faire pièce.
— C’est un rosny, disaient-ils, faisons-en un biron.
Biron, on se le rappelle, fut décapité en 1602. À propos de ce même Biron, auquel nous reviendrons naturellement, comme à tous les grands hommes du règne d’Henri IV, Sully dit dans ses Mémoires: M. de Biron et douze des plus galants seigneurs de la cour ne pouvaient venir à bout d’un ballet qu’ils avaient entrepris. Il fallut, pour qu’il réussît, ajoute-t-il, que le roi me fît venir et me commandât de m’y mettre.
Vous ne voyez pas Sully en maître de ballet, n’est-ce pas, chers lecteurs? Et cependant c’était, sinon sa vocation, du moins son orgueil. Tout au contraire de Crillon qui n’avait jamais voulu apprendre à danser parce qu’il fallait plier et reculer, la danse était la folie de Sully.
Tous les soirs, jusqu’à la mort de Henri IV, un valet de chambre du roi nommé La Roche montait chez Sully et lui jouait, sur le luth, des danses du temps, et Sully les dansait tout seul, coiffé d’un bonnet fantastique qu’il portait d’habitude dans son cabinet, n’ayant d’autres spectateurs que Duret, depuis président de Chivry, et son secrétaire La Clavelle. Parfois cependant, les jours de grande fête, on amenait des filles et l’on bouffonnait avec elles.
Veuf en premières noces d’Anne de Courtenay, il s’était remarié en secondes noces à Rachel de Cochefilet, veuve elle-même de Châteaupers.
C’était une gaillarde qui ne se privait point d’amants. Sully, au reste, n’en était pas dupe, et pour qu’on ne l’accusât point d’ignorer ce qu’il savait parfaitement, dans les comptes qu’il tenait de l’argent donné à sa femme il mettait:
Tant pour votre table,
Tant pour votre toilette,
Tant pour vos domestiques,
Tant pour vos amants.
Il avait fait faire, pour aller chez sa femme, un escalier tout à fait indépendant du sien. L’escalier fini, il en donna la clef à la comtesse, et, en la lui donnant:
— Madame, lui dit-il, faites passer les gens que vous savez par cet escalier. Tant qu’ils entreront par-là, je n’ai rien à dire. Mais je vous préviens que, si je rencontre un de ces messieurs dans mon escalier à moi, je lui en fais sauter toutes les marches.
Il était calviniste, et tout en donnant au roi le conseil d’abjurer, jamais il n’avait voulu abjurer lui-même.
— On peut se sauver en toute religion, disait-il.
Au moment de sa mort, il ordonna qu’à tout hasard on l’enterrât en terre sainte. Vingt-cinq ans après que tout le monde avait renoncé à porter des chaînes et des ordres en diamants, lui en portait tous les jours et s’en allait se promener, ainsi chamarré, sous les porches de la place Royale, qui était près de son hôtel.
Sur la fin de ses jours, il se retira à Sully, où il entretenait une espèce de garde suisse qui battait aux champs et lui présentait les armes quand il entrait et quand il sortait.
Il avait, en outre, dit Tallemant des Réaux, quinze ou vingt vieux paons, et sept ou huit reîtres de gentilshommes qui, au son de la cloche, se mettaient en rang pour lui faire honneur quand il allait à la promenade, et qui le suivaient par derrière. Enfin, il mourut dans son château de Villebon, trente et un ans après Henri IV.
Louis XIII l’avait fait maréchal en 1634. La terre de Rosny fut, en 1817 ou 1818, je crois, achetée deux millions par le duc de Berry. M. de Girardin était en marché pour vendre au prince la terre d’Ermenonville.
— Combien veux-tu me la vendre, la terre d’Ermenonville? lui demanda le prince pendant une chasse à Compiègne.
— Deux millions, monseigneur.
— Comment! Deux millions?
— Sans doute; n’est-ce point le prix que Votre Altesse a payé Rosny?
— Et l’ombre de Sully, la comptes-tu pour rien? répondit le prince.
M. de Girardin eût pu répondre: «Altesse, nous avons celle de Jean-Jacques Rousseau, qui vaut bien l’ombre d’un ministre.» Revenons à Henri IV.