Dumas Louis XV Dumas Louis XV
Portrait de la Marquise de Pompadour, François Boucher, 1759.© DR

La rencontre de Louis XV avec madame de Pompadour

Louis XV a du mal à se remettre de la mort de sa favorite, Madame de Châteauroux. Le duc de Richelieu se met à la recherche d’une nouvelle maîtresse. Ce sera la marquise de Pompadour.

Louis XV a du mal à se remettre de la mort de sa favorite, Madame de Châteauroux. Le duc de Richelieu se met à la recherche d’une nouvelle maîtresse. Il trouve la perle rare: Madame de Flavacourt. Alexandre Dumas explique de quelle manière la jeune femme repousse ses avances:
«La marquise regarda le tentateur en souriant.
— C’est bien beau tout cela, dit-elle, je le sais; mais…
— Mais? répéta le duc.
— Mais je préfère à tout cela l’estime de mes contemporains.
Et ce fut tout ce que le duc put tirer d’elle.»

Le duc de Richelieu a en vue une autre femme pour le roi: la marquise de Rochechouart. Mais elle aussi repousse les faveurs du roi.

L’humeur du monarque devient sombre, comme l’explique Alexandre Dumas: «Le roi devenait de plus en plus triste, de plus en plus ennuyé.» Dans ces conditions, le duc se rejeta sur les fêtes. Et il y en avait de superbes données à Paris dans les milieux bourgeois.

Dumas les décrit ainsi: «Les marchands de vin faisaient, au milieu de ces fleurs, couler des fontaines de champagne et de bordeaux; les limonadiers allumaient des bassins de punch; les glaciers dressaient des Alpes à la base neigeuse et aux sommets couronnés de cette teinte rose que le soleil couchant répand au faîte des montagnes: c’était quelque chose de merveilleux que ces fêtes!»

On est loin de l’esprit de Versailles et des intrigues de la cour. Alexandre Dumas déclare: «Mais ce qui distrayait surtout le roi, c’était la franche gaieté des bourgeoises, intimidées d’abord, mais rassurées bientôt par un compliment, par un mot, par un sourire, et dansant des allemandes et des anglaises avec une gaieté et un entrain qu’il n’avait jamais vus ni à Versailles, ni à Trianon, ni à Choisy.»

Le roi ne pouvait que croiser la route de la marquise de Pompadour, à l’ambition démesurée…

Fille d’un financier, séduisante, cultivée, Jeanne Le Normant d’Etiolles, née Poisson (1), devient la favorite la plus célèbre du roi. En effet, comme le déclare Jean-Christian Petitfils, «outre ses attraits physiques, Louis prisait sa spontanéité, sa générosité et ce ton de liberté sans calcul ni ambition qu’il ne trouvait chez aucune autre femme.» (2)

Issue de la bourgeoisie, elle s’attire rapidement les foudres de l’aristocratie, qui peine à accepter qu’une maîtresse du roi soit une roturière. Cette haine est propagée dans la population par des chansons et des pamphlets injurieux.

«L’opinion, explique Joël Cornette, fustigeait notamment les folles prodigalités de la maîtresse du roi. Il est vrai que l’aménagement de ses hôtels de Paris, dont l’Elysée actuel, de ses résidences de Crécy, de La Celle et de Bellevue (près de Meudon) coûtèrent près de huit millions de livres. Les dépenses de théâtre et des fêtes magnifiques de la cour s’élevèrent, de 1748 à 1756, à quatre millions de livres.» (3)

Alain Chardonnens, historien et enseignant-formateur à l'Université de Fribourg

Notes et références 
(1) Salles, Catherine : Louis XV. Les ombres et la lumière. Paris, Tallandier, 2006, PP. 66-67.
(2) Petitfils, Jean-Christian : Louis XV. Paris, Perrin, 2014, P.409.
(3) Cornette, Joël : Absolutismes et lumières, 1962-1783. Paris, Hachette supérieur, 2014, 7è édition revue et augmentée, P.178.

Chapitre XII

L’année 1745 s’ouvrit par le mariage du dauphin avec l’infante Marie-Thérèse-Antoinette-Raphaëlle, fille de Philippe V et d’Elisabeth Farnèse.

Paris était tout en fête; mais peut-être le roi, profondément attristé de la mort de Madame de Châteauroux, ressentant une plus forte atteinte de cet ennui qui était le cancer de sa vie et que le vide laissé par la belle duchesse rendait plus profond encore; peut-être le roi n’eût-il pris part aucune fête, si M. de Richelieu ne fût revenu des états du Languedoc pour lui rendre un peu de gaieté.

A la mort de Madame de Châteauroux, M. de Richelieu avait eu non seulement un grand regret, mais encore une grande peur. Madame de Châteauroux, amie intime du duc, femme sur l’honneur de laquelle un ami pouvait compter, avait, dans un portefeuille particulier, toute la correspondance du duc, et, dans cette correspondance, Richelieu ne négligeait pas les conseils à l’endroit du roi.

Or, ces conseils étaient donnés presque tous au défaut de la cuirasse royale; c’était bien plus sur les vices du roi que sur ses vertus que Richelieu comptait pour donner prise à la belle favorite. Le roi n’était donc pas ménagé dans la correspondance, et si, par hasard, Sa Majesté trouvait le portefeuille, M. de Richelieu courait grand risque pour sa faveur.

Il faut que M. de Richelieu ait eu grand peur, puisqu’il avoue qu’à l’annonce de la mort de Madame de Châteauroux, il tomba à genoux en disant avec un élan plein de religion et surtout d’égoïsme:

— O mon Dieu! faites que le roi ne trouve pas certain portefeuille!…

Le roi ne trouva rien, ou fit semblant de n’avoir rien trouvé. Il en résulta que M. de Richelieu, n’entendant pas parler du portefeuille, ne voyant venir aucune lettre de cachet, se rassura et revint à Paris, où le roi, que son babil amusait prodigieusement, le reçut plus tendrement encore que d’habitude.

Comme on le comprend bien, le premier soin de Richelieu, en voyant le roi si triste et si esseulé, fut de lui chercher une compagne. D’abord, il tenta la fortune près de Madame de Flavacourt, cela ne sortait pas le roi de sa famille; il avait déjà eu les quatre sœurs, il était naturel qu’il eût la cinquième. Il alla donc trouver la belle marquise et la tenta de toutes les manières.

Voulait-elle des richesses? Le roi était le prince le plus riche du monde. Était-elle ambitieuse? Elle allait voir les potentats envoyer chez elle leurs ministres pour préparer la paix et la guerre. Voulait-elle avancer sa famille? Elle devenait la source des grâces et des emplois.

La marquise regarda le tentateur en souriant.
— C’est bien beau tout cela, dit-elle, je le sais; mais…
— Mais? répéta le duc.
— Mais je préfère à tout cela l’estime de mes contemporains.

Et ce fut tout ce que le duc put tirer d’elle.

Alors il se rejeta sur la marquise de Rochechouart; elle était du sang des Mortemart, c’est-à-dire belle et spirituelle; mais, malgré son esprit et sa beauté, la marquise échoua.

Le roi devenait de plus en plus triste, de plus en plus ennuyé. Le duc se rejeta sur les fêtes.

C’étaient des fêtes toutes bourgeoises données par la ville de Paris, mais qui n’en étaient que plus originales pour un roi habitué aux fêtes princières.

Les chefs de métier se réunissaient et élevaient des salles de bal, tantôt à un endroit, tantôt à un autre, aujourd’hui sur la place Vendôme, demain sur la place des Victoires.

Chacun apportait son contingent: les charpentiers bâtissaient la salle; les tapissiers la meublaient; les porcelainiers y apportaient leurs plus beaux vases; les marchands de fleurs en faisaient un jardin d’Ispahan ou de Bagdad.

On arrivait ainsi, par la réunion des industries, à un luxe que les plus puissantes fortunes royales n’eussent pas pu atteindre. Les marchands de vin faisaient, au milieu de ces fleurs, couler des fontaines de champagne et de bordeaux; les limonadiers allumaient des bassins de punch; les glaciers dressaient des Alpes à la base neigeuse et aux sommets couronnés de cette teinte rose que le soleil couchant répand au faîte des montagnes: c’était quelque chose de merveilleux que ces fêtes!

Mais ce qui distrayait surtout le roi, c’était la franche gaieté des bourgeoises, intimidées d’abord, mais rassurées bientôt par un compliment, par un mot, par un sourire, et dansant des allemandes et des anglaises avec une gaieté et un entrain qu’il n’avait jamais vus ni à Versailles, ni à Trianon, ni à Choisy.

Puis, au milieu de tout cela, devait surgir ce qu’attendait son cœur désolé: un nouvel amour.

Cette fois, il y avait bal masqué sur la place de Grève. Depuis quelque temps, tout était à l’Orient, et à l’Orient comme on le comprenait du temps de Louis XV; Galland avait traduit ses Mille et une Nuits; Montesquieu avait écrit ses Lettres persanes; Voltaire avait fait jouer Zaïre: il y avait donc à ce bal force houris, force sultanes, force bayadères, quand, au milieu de toutes ces étoffes de brocart d’or et d’argent, le roi vit s’avancer vers lui une simple Diane chasseresse portant l’arc à la main et le carquois sur l’épaule, montrant un bras rond et blanc, une jambe fine, une main de déesse.

La belle Diane était masquée, et cependant, aux effluves sympathiques qu’elle répandait autour d’elle, le roi devina que ce n’était point une étrangère.

Elle parla et, en parlant, montra des dents de perles; puis, à travers ces dents, elle laissa tomber tout un monde de railleries fines, de coquetteries suprêmes, de flatteries ingénieuses.

Elle ne s’était pas encore démasquée, que le roi en était déjà fou, et, quand elle se démasqua, ce fut bien pis, car dans la belle Diane chasseresse, il reconnut la nymphe des bois de Sénart, celle qui lui était apparue, tantôt emportée par un cheval, tantôt à demi-couchée dans une de ces conques de nacre que Boucher donne pour char à ses Vénus et ses Amphitrites; cette belle madame d’Etioles, enfin, pour laquelle un soir la pauvre duchesse de Châteauroux avait écrasé le pied de Madame de Chevreuse.

Les femmes ont de ces pressentiments-là.

Celle-ci n’est pas une grande dame comme les Vintimille et les Mailly, dont nous avons déjà parlé; ce n’est pas non plus une fille du peuple comme Jeanne Vaubernier, dont nous parlerons plus tard: c’était Antoinette Poisson; les uns la disent fille d’un riche fermier de la Ferté-sous-Jouarre, les autres prétendent qu’un boucher des Invalides est son père; quoi qu’il en soit, elle a épousé M. Lenormand d’Etioles, le plus riche des fermiers généraux; elle a vingt-deux ans, elle est musicienne parfaite; elle jette sur la toile de charmants paysages, sur le carton d’adorables pastels; elle aime la chasse, le plaisir, la dépense, les arts; elle a en elle de la Vénus et de la Madeleine; c’est enfin la femme qu’avait inutilement cherchée M. de Richelieu et qui vient s’offrir d’elle-même.

Un souper fut arrangé entre le roi et Madame d’Etioles. Binet, parent de la belle Diane et valet de chambre du dauphin, fut l’intermédiaire de ces nouvelles amours. Ce souper eut lieu le 22 avril 1745: M. de Luxembourg et M. de Richelieu y assistèrent.

Ce tact parfait du courtisan, qui n’avait jamais trahi Richelieu, lui manqua cette fois. Il ne vit dans Madame d’Etioles ni ce qu’il y avait, ni ce qu’il y aurait; il fut froid pour elle, dédaigneux de son esprit, insensible à sa beauté; elle ne le lui pardonna jamais.

Le souper fut fort gai et la nuit fort longue. Le roi ne quitta Madame d’Etioles que le lendemain à onze heures; elle occupait l’ancien appartement de madame de Mailly.

Quels mélancoliques mémoires écriraient les murailles de certaines chambres, si les murailles pouvaient écrire!

À partir de ce moment, deux partis bien distincts se formèrent à la cour: le parti du dauphin, qu’on nomma le parti des dévots, et celui de la nouvelle favorite.

Tout cela se passait tandis que M. Lenormand, qui adorait sa femme, se trouvait à la terre de M. de Lavallette, un de ses amis, où il était allé passer les fêtes de Pâques.

Ce fut là qu’il apprit de M. de Tourneham que sa femme avait quitté sa maison, habitait Versailles et était maîtresse déclarée. Il fallut éloigner de lui toutes les armes; il était au désespoir et voulait se tuer. Dans sa douleur, il écrivit une lettre à sa femme et chargea M. de Tourneham de la porter.

La première chose que fit Madame d’Etioles fut de montrer cette lettre au roi, lequel la lut avec beaucoup d’attention et la lui rendit en disant:
— Que vous avez là, madame, un mari honnête homme!

La position de Madame d’Etioles fut fixée dès le premier moment: le 9 juillet 1745, c’est-à-dire trois mois à peine après ce petit souper auquel assistaient M. de Luxembourg et M. de Richelieu, le roi lui avait déjà écrit quatre-vingt lettres.

Ces lettres étaient scellées d’un cachet qui portait ces mots: DISCRET ET FIDÈLE.

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Portrait de la Marquise de Pompadour, François Boucher, 1759. © DR

Le 15 septembre de la même année, à six heures du soir, Madame d’Etioles fut présentée par madame la princesse de Conti, qui avait réclamé cet honneur.

Madame d’Etioles débuta, comme Madame de Châteauroux, par pousser son amant à prendre lui-même, à l’ouverture de la campagne, le commandement de l’armée; mais, plus habile que la duchesse, elle ne demanda point à l’y suivre.

Malgré la mort de Charles-Albert, arrivée le 20 janvier, laquelle mort nous permettait de reconnaître Marie-Thérèse, la guerre avait repris, et surtout allait reprendre avec plus d’acharnement que jamais: c’était notre influence diplomatique que les cabinets du Nord voulaient abaisser; c’était notre nationalité qu’ils voulaient amoindrir.

La coalition était complète: les Hollandais venaient de se joindre aux Anglais et aux Autrichiens; c’était encore la même ligue contre laquelle avait lutté Louis XIV, contre laquelle luttait Louis XV, contre laquelle devaient lutter la République et l’Empire, contre laquelle nous lutterons de nouveau avant qu’il soit longtemps.

Les Anglais avaient fait un grand effort: ils avaient jeté sur le littoral de la Hollande vingt bataillons anglais et écossais; vingt-six escadrons, cinq régiments hanovriens formant quinze mille hommes et seize forts escadrons s’étaient réunis aux Anglais ; les états généraux avaient fourni vingt-six bataillons et quarante escadrons; enfin, l’Autriche avait envoyé huit escadrons de cavalerie légère et de hussards hongrois.

Le prince Charles avait, en outre, sur le Rhin, une armée de quatre-vingt mille hommes qui incessamment devait être portée à cent vingt mille.

Le duc de Cumberland commandait les Anglais, les Hollandais et les Hanovriens.

Le gouvernement français fit, de son côté, des prodiges pour mettre sur pied une armée honorable. Nos deux organisateurs n’étaient plus là malheureusement: envoyés en négociations à Berlin, le comte et le chevalier de Belle-Isle avaient été arrêtés et conduits en Angleterre; on n’en réunit pas moins cent six bataillons, soixante et douze escadrons complets et dix-sept compagnies franches.

Cette armée, qui prit le nom d’armée de Flandre, fut mise sous le commandement du maréchal de Saxe.

Malheureusement encore, le maréchal de Saxe était atteint d’une hydropisie. Quand on le vit à Paris, se traînant à peine, on lui fit remarquer sa faiblesse; mais il se contenta de répondre :
— Il ne s’agit pas de vivre, il s’agit de partir.

En effet, il était arrivé mourant à l’armée.

Le roi était à Pont-Achain, le 7 mai. Le lendemain, il alla visiter le champ de bataille que le maréchal avait choisi; car, par la position des deux armées, l’ennemi se voyait forcé d’accepter le combat tel que le lui offrait le maréchal ou de laisser prendre Tournay.

Le champ de bataille dénotait le grand homme de guerre; tout était préparé pour la victoire, tout était prévu pour la défaite; c’était une plaine tourmentée de ravins, resserrée entre Fontenoy et le bois de Barry, et qui, s’élargissant ensuite, permettait à notre ligne un développement de trois quarts de lieue, à peu près.

Ainsi disposée, l’armée appuyait sa droite à Antoing, sa gauche au bois de Barry; tout son front, dont Fontenoy formait le centre, était couvert de redoutes.

Antoing, surtout, avait été fortifié et entouré d’abattis d’arbres; en outre, une batterie de six pièces de seize, placée au-delà de l’Escaut, prenait en écharpe toute armée qui eût tenté de s’avancer dans la plaine séparant Antoing de Péronne; quant à l’extrême droite du bois de Barry, elle était protégée par deux redoutes assez rapprochées de Fontenoy pour que leurs feux se croisassent avec ceux de Chaville.

Or, comme Antoing ne pouvait être attaqué que par la plaine de Péronne, comme on ne pouvait atteindre l’armée française qu’en traversant le défilé de Fontenoy, de quelque côté que se présentât l’ennemi, il fallait qu’il s’exposât, pour une victoire douteuse, à une défaite.

En outre, et en cas de revers, le maréchal de Saxe avait établi en avant du pont de Calonne, le seul sur lequel on pût traverser l’Escaut, une tête de pont en double couronne, où il avait laissé six mille hommes de troupes fraîches. 

Du moment que le danger deviendrait trop imminent, le roi et le dauphin devaient donc se retirer par le pont, sous les retranchements duquel l’armée, de si près qu’elle fût poursuivie, pouvait parfaitement se rallier.

De leur côté, les alliés étaient divisés en deux corps pour faire face à la fois aux deux points d’attaque arrêtés d’avance. Le jeune prince de Waldeck avec les Hollandais menaçait Antoing; les Anglo-Hanovriens, sous les ordres du duc de Cumberland, s’apprêtaient à forcer le défilé de Fontenoy et formaient un vaste demi-cercle autour de notre armée, appuyant leur gauche à Péronne et leur droite à Barry.

Les deux armées employèrent la journée du 10 et la nuit du 11 à faire leurs dispositions.

Le roi passa la journée du 10 chez le maréchal de Saxe, qui, sur son ordre exprès, était resté couché. Le maréchal était atteint d’une hydropisie parvenue au troisième degré et s’était refusé à la ponction, de peur que l’opération, tournant mal, ne l’empêchât d’assister à la bataille.

Cependant, comme il avait grand espoir dans le succès de la journée du lendemain, il fut très gai. De son côté, le roi était plein de confiance et de sérénité. La conversation tomba sur les batailles où les rois de France s’étaient trouvés en personne.

Le roi rappela alors aux assistants que, depuis la bataille de Poitiers, aucun roi de France n’avait combattu avec son fils, et que, depuis celle de Taillebourg, gagnée par saint Louis, aucun de ses descendants n’avait remporté de victoire importante sur les Anglais: c’étaient deux revanches à prendre pour une.

Louis XV quitta le maréchal de Saxe sur les onze heures et revint chez lui avec le dauphin. Les deux princes passèrent la nuit dans la même chambre. À quatre heures, le roi se leva et alla réveiller lui-même le comte d’Argenson, ministre de la guerre, qu’il dépêcha aussitôt au maréchal pour recueillir ses derniers ordres.

Il trouva le comte de Saxe couché dans une voiture d’osier, où il pouvait s’étendre comme dans son lit, afin de ne point trop se fatiguer d’avance et inutilement; il ne comptait monter à cheval qu’au moment même de l’action. Le maréchal fit dire au roi qu’il avait pourvu à tout et qu’il pouvait venir.

Le roi, qui avait couché à Calonne, monta à cheval avec le dauphin, passa le pont en avant de la Justice-de-Notre-Dame-aux-Bois, à trois quarts de lieue environ du pont de Calonne, et à cinquante pas en arrière de notre troisième ligne de bataille.

A cinq heures, on annonça au maréchal que l’ennemi se mettait en mouvement. Alors il se fit conduire sur la première ligne, qui était disposée ainsi: neuf bataillons gardaient Antoing, à gauche, jusqu’au ravin de Fontenoy; quinze bataillons formaient la gauche et s’étendaient, derrière le bois de Barry, jusqu’à Gauvin; toute la cavalerie occupait en arrière un front égal à celui de l’infanterie, sur deux lignes, derrière le centre et la gauche, et sur une ligne derrière la droite, un bataillon de partisans, appelé les grassins, était jeté en tirailleurs dans le bois de Barry.

Le maréchal de Saxe s’approcha jusqu’à portée de canon de l’ennemi pour étudier sa position. Le maréchal de Noailles vint alors à lui pour lui rendre compte d’un ouvrage qu’il avait fait exécuter pendant la nuit dans le but de joindre la première redoute de droite au village de Fontenoy.

Le duc de Grammont, neveu du maréchal de Noailles, était derrière lui à cheval. Le maréchal de Saxe écouta le rapport, approuva tout, et, voyant que l’action allait s’engager, invita M. de Noailles à se rendre à son poste. Celui-ci, se tournant alors vers son neveu, lui dit:
— Monsieur de Grammont, votre place est auprès du roi! Allez lui dire que je serai heureux aujourd’hui de vaincre ou de mourir pour son service.

L’oncle et le neveu s’embrassèrent. Tout à coup, le bruit du canon se fit entendre, et le duc de Grammont, qui se trouvait entre le maréchal de Noailles et le maréchal de Saxe, tomba coupé en deux par le premier boulet.

M. de Noailles fit un mouvement pour le secourir; mais tout était inutile; la mort avait déjà commencé sa triste moisson. Le maréchal secoua tristement la tête et mit son cheval au galop. Au même moment, toute la ligne française s’enflamma et répondit par une décharge générale.

Bientôt on ne s’en tint plus à la canonnade; on s’aborda corps à corps. Les Hollandais dirigèrent deux attaques sur Antoing, et deux fois ils furent repoussés.

A la seconde attaque, un escadron presque entier fut emporté par une bordée croisée de la batterie placée derrière l’Escaut et d’une autre batterie placée en avant d’Antoing: il n’en resta que douze hommes.

Quant aux Anglais, repoussés trois fois de Fontenoy, ils étaient revenus trois fois à la charge et se reformaient pour tenter une nouvelle attaque.

Le duc de Cumberland avait remarqué que les Français devaient leur avantage au feu croisé de leur artillerie. En conséquence, il ordonna à un major général, nommé Ingolsby de s’emparer du bois de Barry et d’enlever les deux redoutes. Le major vint se heurter au bataillon des grassins; il crut avoir affaire à une brigade tout entière, battit en retraite et vint demander du renfort au duc, qui le fit arrêter.

Les coups de feu partis du bois avaient déterminé le maréchal de Saxe à y envoyer deux bataillons. Résolu à forcer le ravin, M. de Cumberland forma une colonne d’infanterie de vingt mille Anglo-Hanovriens, plaça six pièces à la tête et au centre de sa colonne, qu’il porta en avant.

Les gardes françaises et suisses, protégées par un ravin, crurent n’avoir affaire qu’à une batterie soutenue par un bataillon: elles résolurent de l’enlever; mais, arrivées sur la crête, elles trouvèrent une armée; soixante grenadiers et six officiers furent couchés à terre. Elles reprirent leurs rangs, et la colonne ennemie apparut en haut du ravin.

Elle s’approcha lentement, l’arme au bras, la mèche allumée, sans que les gardes françaises et les gardes suisses, qui n’étaient pas un contre dix, fissent un pas pour reculer.

Arrivés à cinquante pas, les officiers anglais, à la tête desquels se tenaient MM. de Campbell, d’Albermale, de Churchill, saluèrent du chapeau. Le comte de Chabannes, le duc de Biron, qui étaient sortis des rangs pour aller au-devant d’eux, et tous les officiers rendirent le salut.

Alors milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, fit quatre pas en avant et cria:
— Messieurs des gardes françaises, tirez!

A ces mots, M. le comte de Hauteroche, lieutenant des grenadiers, fit également quatre pas en avant et répondit à voix haute:
— Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers. Tirez vous-mêmes, s’il vous plaît.

Et il remit sur sa tête son chapeau, que jusqu’alors il avait tenu à la main.

Aussitôt les six pièces de canon tonnèrent, et la fusillade commença par division. Dix-neuf officiers des gardes et trois cent quatre-vingt soldats, le colonel des Suisses, M. de Courten, son lieutenant-colonel, quatorze officiers et deux cent soixante et quinze soldats tombèrent tués ou blessés à cette première décharge. MM. de Clisson, de Langey et de Peyre étaient morts.

La colonne anglaise avança alors au pas de course.

Le régiment Royal protégea la retraite des gardes, qui vinrent se reformer derrière lui, et vint lui-même se réunir sous une redoute défendue par le régiment du roi.

La colonne avançait toujours du même pas, tirant en marchant, et cela, avec un tel ordre, qu’on voyait les majors appuyer leur canne sur les fusils des soldats afin qu’ils tirassent bien à hauteur d’homme.

Les redoutes des bois de Barry et de Fontenoy foudroyaient toujours la colonne marchante; mais elle brisait tout ce qui se présentait à son front. Le désordre s’était mis dans l’armée française.

Le maréchal oublia ses douleurs: il se fit amener un cheval et le monta. Comme il n’avait pas la force de porter une cuirasse, il prit à son bras un petit bouclier de taffetas piqué qu’il jeta aussitôt, ce poids, quelque léger qu’il fût, étant encore trop lourd pour lui.

L’ennemi avait dépassé les batteries de Fontenoy, qui manquaient de boulets et tiraient à poudre pour ne pas laisser voir aux alliés qu’on manquait de projectiles.

Le maréchal envoya le marquis de Meuse au roi pour lui dire de repasser le pont. M. de Meuse trouva le roi immobile au milieu des fuyards.
— Je suis sûr que le maréchal fera ce qu’il faudra, répondit Louis XV au marquis; mais je resterai où je suis.

La colonne avançait toujours. Les fuyards séparèrent un moment le roi du dauphin. Le comte d’Aché vint supplier le roi de s’éloigner. M. d’Aché avait le pied brisé par une balle et s’évanouit de douleur devant le roi.
— Comment est-il possible que de pareilles troupes ne soient pas victorieuses? dit Maurice de Saxe en voyant M. de Guerchy et le régiment des vaisseaux aborder la colonne anglaise à la baïonnette.

La colonne n’était plus qu’à six cents pas du roi, qui déclarait au duc d’Harcourt qu’il était décidé à mourir où il était. En ce moment, le duc de Richelieu, aide de camp de Louis XV, accourait.
— Qu’y a-t-il? s’écria en l’apercevant le duc de Noailles, et quelle nouvelle apportez-vous?
— J’apporte la nouvelle que la bataille est gagnée, si l’on veut, dit le duc; l’ennemi même est étonné de sa victoire; il ne sait plus s’il doit aller en avant, car il n’est pas soutenu par sa cavalerie. Qu’on fasse avancer une batterie contre lui; que les redoutes de Barry et de Fontenoy, qui maintenant ont des boulets, redoublent leur feu, et tombons tous ensemble sur lui en fourrageurs.
— Très bien, dit le roi. Monsieur de Richelieu, mettez-vous à la tête de ma maison et donnez l’exemple.

M. de Richelieu part au galop; M. de Péquigny rencontre quatre pièces qu’on ramenait; le duc de Chaulnes rassemble ses chevaux-légers, M. de Soubise ses gendarmes, M. de Grille ses grenadiers à cheval, M. de Jumilhac ses mousquetaires; M. de Biron conserve Antoing avec le régiment de Piémont.

La colonne n’est plus qu’à cent pas de la batterie qu’on vient d’établir par le conseil de M. de Richelieu. Tout à coup elle se démasque et fait feu. Fontenoy et Barry tonnent à la fois; l’infanterie française fond en flanc sur la colonne que la maison du roi, la gendarmerie et les carabiniers attaquent de front.

Un instant encore le succès fut douteux; la colonne gigantesque faisait face de tous côtés.

Enfin, le régiment de Normandie commença à l’entamer, puis les Irlandais, puis Royal. Bientôt on vit le serpent se tordre, se débattre coupé en trois tronçons, et la colonne fit son premier pas en arrière.

Alors chacun redoubla de courage: l’armée tout entière avait à venger huit heures de défaite. La colonne, harcelée, finit par changer sa retraite en déroute.

Tout était détruit ou prisonnier: pas un de ces quinze ou dix-huit mille hommes n’échappait, si la cavalerie ne fût venue les soutenir.

Louis XV avait lancé son cheval au galop et allait de régiment en régiment. Partout on entendait des cris de victoire, là où, un quart d’heure auparavant, on entendait des hurlements de rage et des râles d’agonie; les soldats faisaient sauter leur chapeau en l’air; les drapeaux, criblés de balles, s’inclinaient; les blessés se soulevaient pour faire encore un geste de la main; c’était un délire général.

Le maréchal de Saxe se laissa glisser aux pieds de son cheval et tomba aux genoux du roi.
— Sire, dit-il, je puis mourir à cette heure; je ne désirais vivre que pour voir Votre Majesté victorieuse. Maintenant, vous savez à quoi tiennent les batailles.

Le roi releva le maréchal et l’embrassa à la vue de toute l’armée. La bataille de Fontenoy ouvrit une série de victoires qui finit par amener la paix d’Aix-la-Chapelle. Le 23 mai, le roi prend Tournay, et, dix jours après, la citadelle. Le 18 juillet, le comte de Lowendahl prend Gand par escalade. Le 22, Bruges ouvre ses portes au marquis de Souvré.

Le 1er août, le roi se rend maître d’Audenarde; Termonde se rend au duc d’Harcourt; Ostende et Nieuport au comte de Lowendahl, et Alost au marquis de Clermont-Gallerande. Par la prise de cette dernière ville, la campagne de 1745 est close; celle de 1746 s’ouvre, le 20 février, par la prise de Bruxelles, dans laquelle le roi fait son entrée le 4 mai.

Le roi se met à la tête de son armée et marche sur Louvain, Lierre, Arschot, Herenthals et le fort Sainte-Marguerite, qui sont abandonnés sans coup férir. Le 20 mai, la ville d’Anvers est prise; le 30, la citadelle. Le 20 juillet, Mons se rend; le 2 août, Charleroy; le 19 septembre, Namur.

Enfin, pour terminer la campagne de 1746 par un coup d’éclat, le maréchal de Saxe gagne, le 11 octobre, la bataille de Raucoux tue à l’ennemi douze mille hommes, lui fait trois mille prisonniers et ne perd pas onze cents hommes.

La campagne de 1747 s’ouvre par l’entrée des troupes en Zélande et par la prise des forts de l’Écluse et de Dislendick par le comte de Lowendahl. Le 24 avril, ceux de la Perle et de Liefkenshœk sont emportés par M. de Contades. Le 1er mai, M. de Montmorin s’empare du fort Philippine, et, le 15 septembre, le comte de Lowendahl prend Berg-op-Zoom l’imprenable.

Voilà pour l’année 1747.

Enfin, le 13 avril 1748, Maestricht est investie et se rend le 4 mai.

Le roi avait dit au maréchal de Saxe:
— Pourquoi les alliés, malgré leurs défaites, ne font-ils pas la paix, maréchal?

Le maréchal avait répondu avec le laconisme qui le caractérisait:
— Sire, dans Maastricht.

En effet, une fois Maastricht rendue aux Français, les hostilités cessent en Italie entre le duc de Richelieu et le comte de Brown.

La reine de Hongrie, le roi d’Espagne et la république de Gênes adhèrent aux préliminaires de paix convenus, après la reddition de Maastricht, entre le roi de France, l’Angleterre et la Hollande, et qui amènent le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 18 octobre 1748.

Voici les changements que le traité d’Aix-la-Chapelle apportait à l’équilibre européen:

Don Carlos recevait la confirmation du royaume des Deux-Siciles; le duc de Modène, qui avait épousé mademoiselle de Valois, fille du régent, était remis en possession de ses Etats; enfin, l’infant don Philippe obtenait les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla.

Le roi de Prusse, qui avait commencé la guerre, fut celui qui en tira le plus d’avantages. Il conserva la Silésie, qu’il avait conquise, et se trouva tout à coup, par cette augmentation de territoire et aussi par les sévères économies de Frédéric Ier, son père, à la tête d’une puissante nation. Enfin, le duc de Savoie, pour prix de son alliance avec l’impératrice, obtint une partie du Milanais.

Comme on le voit, le marquis de Saint-Sévérin, envoyé de la France au congrès d’Aix-la-Chapelle, avait bien suivi les recommandations de son maître.

Louis XV avait voulu traiter, non en marchand, mais en roi.