Le bifteck d’ours imaginé par Alexandre Dumas

Fuyant l'épidémie de choléra et complots royalistes, Alexandre Dumas quitte Paris en mai 1832 pour se rendre en Suisse. De ce séjour, il rédigera ses célèbres Impressions de voyage en Suisse. Après Genève et Lausanne, Alexandre Dumas arrive en Valais. Martigny et le Grand-Saint-Bernard sont des sites touristiques incontournables.

Dumas Suisse Dumas Suisse
Martigny.© DR

En quête de gloire, Alexandre Dumas n’hésite pas à travestir la réalité. Ainsi, un point litigieux du texte d’Alexandre Dumas porte sur le bifteck d’ours qu’il déclare avoir mangé à Martigny. Ce chapitre a été sujet à bien des polémiques au sein de l’intelligentsia parisienne: une belle publicité pour le livre du jeune auteur! Il évoque ce repas en ces termes: «C’est qu’elle était merveilleusement servie, ma petite table. Quatre plats formaient le premier service, et au milieu était un bifteck d’une mine à faire honte à un bifteck anglais!… Mon hôte vit que ce bifteck absorbait mon attention. Il se pencha mystérieusement à mon oreille:
– Il n’y en aura pas de pareil pour tout le monde, me dit-il.
– Qu’est-ce donc que ce bifteck?
– Du filet d’ours! Rien que cela!

J’aurais autant aimé qu’il me laissât croire que c’était du filet de bœuf. (…)
En effet, j’en coupai un morceau gros comme une olive, je l’imprégnai d’autant de beurre qu’il était capable d’en éponger, et, en écartant mes lèvres, je le portai à mes dents, plutôt par une mauvaise honte que dans l’espoir de vaincre ma répugnance. Mon hôte, debout derrière moi, suivait tous mes mouvements avec l’impatience bienveillante d’un homme qui se fait un bonheur de la surprise que l’on va éprouver. La mienne fut grande, je l’avoue. Cependant, je n’osai tout à coup manifester mon opinion, je craignais de m’être trompé; je recoupai silencieusement un second morceau d’un volume double à peu près du premier, je lui fis prendre la même route avec les mêmes précautions, et, quand il fut avalé:
– Comment! c’est de l’ours? dis-je.
– De l’ours.
– Vraiment?
– Parole d’honneur. – Eh bien, c’est excellent.»

En 1834, le journaliste Georges Arandas se rend à l’auberge de la Grand-Maison pour interroger le patron, Valentin Morand. Son compte-rendu, destructeur pour Dumas, paraît dans la Revue de Lyon en 1835. Morand y nie catégoriquement avoir servi de l’ours et installé l’écrivain dans la chambre dans laquelle avait dormi l’impératrice Marie-Louise. Selon le tenancier, aucun ours n’a été abattu dans la région de Fouly [Fully] depuis des lustres. De plus, aucune collecte de dons n’a été organisée en faveur de la veuve dont le mari, Guillaume Mona, avait été prétendument dévoré par un plantigrade. Certes, un ours a bien été tué par un chasseur, Georges Bourdier, trois ans (et non trois jours) auparavant, en mai 1829, dans la vallée d’Hérémence. Mais Guillaume Mona n’a rien à voir dans cette histoire de chasse à l’ours en Valais. Mona est tout simplement le nom du garde-forestier de Villers-Cotterêts, ville natale de Dumas… Valentin Morand, président radical de la ville de Martigny de 1843 à 1848, 1853 à 1858 et 1861 à 1864, se plaint à Georges Arandas que des voyageurs affamés ayant lu les Impressions de voyage viennent toujours lui demander du bifteck d’ours, continuant ainsi d’être la risée des Martignerains. En 1842, Alexandre Dumas revient à Martigny et lui commande, sans se faire reconnaître, le plat tant décrié.

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