Nicolas Bouvier Nicolas Bouvier
Nicolas Bouvier, Kurdistan, 1954. Photo de Thierry Vernet. © Eliane Bouvier et Musée de l’Elysée, Lausanne - Fonds Nicolas Bouvier

Le vrai journalisme prend du temps

Roger de Diesbach et Nicolas Bouvier, nos deux anges gardiens, nous ont inspiré notre manifeste de slow journalisme. Leurs oeuvres nous rappellent qu'il faut partir sur le terrain pour que le journalisme soit vrai, sensible, précis, crédible, qu’il faut oser l’incertain pour déterrer certaines vérités.

Souvent, au fil de mes rencontres, les amoureux de Sept me demandent dans quelles sources d’inspiration nous avons trempé nos plumes pour écrire notre manifeste du slow journalisme. Ou pour créer l’un des premiers médias post news d’Europe, qui a osé zapper la sacro-sainte actualité pour se lancer avec audace sur les routes sinueuses d’une information de qualité.

A vous, je peux l’avouer aujourd’hui. En toute confiance. Notre webmagazine lancé en 2014, qui fut à l’époque un pionnier dans son genre et qui, depuis, a été maintes fois copié, a deux anges gardiens. Le premier se nomme Roger de Diesbach (1944-2009), enquêteur devant l’éternel, journaliste de talent et surtout le rédacteur en chef qui a osé me lancer dans le métier. «Tu doutes, petit père», m’avait-il demandé en guise d’introduction lors de mon entretien d’embauche. J’avais 28 ans. J’avais tout à apprendre. Mon silence surpris l’avait convaincu. Le début d’une aventure passionnante à la bien nommée Liberté.

Roger m’a ensuite appris l’art d’une curiosité active, de l’intelligence collective et d’un journalisme fort, pilier d’une démocratie saine. «Est-ce que ce sujet est d’intérêt public?» répétait-il encore et toujours en dénonçant dès les années 1990 l’infobésité grandissante, les news futiles et la pseudo-gratuité de l’information. Un plaidoyer qu’il a résumé dans un livre passionnant et visionnaire (Presse futile, presse inutile, Slatkine, 2007).

La seconde de nos sources vitales n’est autre que Nicolas Bouvier auquel nous consacrons le 26e opus de Sept mook. C’est pour nous un vrai plaisir, un honneur même de célébrer notre cinquième anniversaire en la compagnie de l’écrivain genevois dont nous avons reçu le Prix en 2016 à Genève pour notre fidélité à son esprit dans nos récits. C’est en nous immergeant dans son œuvre que nous avons retrouvé l’envie du beau, du bon, cette jouissance de la découverte et de la contemplation. C’est grâce à lui que nous avons ralenti notre rythme, que nous avons redécouvert des valeurs souvent négligées dans les rédactions aujourd’hui: que le journalisme prend du temps, qu’il faut partir sur le terrain pour qu’il soit vrai, sensible, précis, crédible, qu’il faut oser l’incertain pour déterrer certaines vérités.

Comme Bouvier, nous voulons écrire le monde avec nos yeux en goûtant au luxe de la lenteur et de l’espace. Un luxe que nous partageons avec vous chaque semaine sur notre site sept.info et tous les trois mois dans notre mook. Et c’est tout naturellement vers le slow que nous nous sommes tournés, cette résistance à la tentation de l’inutile et à l’effrayante impression de tomber dans le vide sidéral des réseaux sociaux.

«C’est le propre des longs voyages que d’en ramener tout autre chose que ce que l’on allait y chercher», a écrit Bouvier dans L’usage du monde. Comme le Genevois, nos auteurs qui portent haut l’étendard de la littérature du réel tracent leur route sans savoir ce qu’ils y trouveront. Nous leur demandons simplement d’être des témoins rigoureux et respectueux, d’être honnêtes, loin des caricatures de l’autre, du lointain qui dominent le paysage médiatique. La faute aux GAFA qui veulent du clic, du stupide, du simplet. Ces monstres du net vendent notre temps de cerveau à des marques, notamment en jouant sur nos peurs. Loin de l’appel à l’intelligence lancé par des Bouvier et de Diesbach, que nous faisons nôtre.

Avant de vous laisser voyager dans les riches pages de Sept mook, je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui nous ont permis de réaliser ce numéro exceptionnel. En tout premier lieu Eliane Bouvier, l’épouse de Nicolas, qui nous a patiemment ouvert de nombreuses portes et qui nous a soutenus. Nos remerciements s’adressent aussi à Nora Mathys, Pascale Pahud et Julie Maillard du Musée de l’Elysée à Lausanne pour leur disponibilité et leur confiance; à Barbara Prout, Nicolas Schätti et Marcio Nunes de la Bibliothèque de Genève; à Yvonne Böhler, à Anneliese Hollmann et aux Editions Payot & Rivages à Paris pour leur coopération.

Merci de votre confiance et de votre soutien.