Sept.info | L’homme le plus dangereux du monde: Le rapport (3/7)

L’homme le plus dangereux du monde: Le rapport (3/7)

Après deux ans passés au Viêtnam, Daniel Ellsberg a pris conscience des horreurs et de l’inutilité de cette guerre. A la demande du secrétaire à la Défense, il participe à la rédaction d’une enquête sur les Américains au Viêtnam. C’est pire que tout ce qu’il avait pu imaginer. Il ne peut plus rester les bras croisés.

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Troupes de l'armée sud-vietnamienne en plein combat, 1961. © US Information Agency

Dès 1967, Robert McNamara, le secrétaire à la Défense est arrivé à la même conclusion que Daniel Ellsberg: les Américains ont échoué au Viêtnam. Pourquoi? Comment en est-on arrivé là? Pour y répondre, McNamara rassemble au mois de juin une équipe dans le but de rédiger l’histoire secrète d’une défaite annoncée. «Surtout, ne retenez pas vos coups, signifie McNamara à son bras droit, John McNaughton. Racontez la vraie histoire.» Toute la documentation nécessaire à la rédaction se trouve dans la chambre forte que Daniel Ellsberg a visitée clandestinement un soir de 1964. Morton Halperin, un fonctionnaire du Pentagone, recrute 36 chercheurs, dont son ami Daniel Ellsberg, pour étudier et approfondir les différentes étapes de l'implication américaine au Viêtnam à partir de 1945. Personne ne doit être mis au courant de cette opération, surtout pas le président Johnson qui tuerait le projet dans l’œuf. Pour en dissimuler les traces, Halperin lui donne un titre insignifiant, Histoire de la prise de décision américaine au Viêtnam. L’Histoire en retiendra un autre: les Pentagon PapersSentant les doutes de son secrétaire à la Défense sur la question vietnamienne, Lyndon B. Johnson le pousse vers la sortie. Son départ ne met pourtant pas fin à l’étude. Sous la direction de Morton Halperin, les équipes de chercheurs achèvent leur tâche titanesque en janvier 1969. Résultat: un monument de 7'000 pages tiré à seulement quinze exemplaires.
- Selon vous, quelle est maintenant la proportion de Vietnamiens qui souhaitent la fin de la guerre à tout prix? questionne Ellsberg.
- Je suppose environ 80 ou 90%, estime Halperin.
- Dans ce cas, comment pouvons-nous justifier nos efforts pour prolonger une guerre dont les principaux intéressés ne veulent pas? Pourquoi aurions-nous le droit de continuer ne serait-ce qu’un jour de plus? 

Après un long silence, Halperin répond: «C'est une très bonne question.»

En mars 1969, Daniel Ellsberg demande à Morton Halperin de lui remettre un exemplaire du rapport. Il promet d'être discret, Halperin hésite, puis accepte. Après tout, il est normal que la RAND Corporation possède son exemplaire. Ellsberg se charge lui-même de transporter les documents du Pentagone à Los Angeles avant de les enfermer dans le coffre-fort de son bureau à la RAND. Ellsberg se croyait bien informé; la lecture des 47 volumes de l’histoire secrète des relations américano-vietnamiennes lui prouve le contraire. Il apprend avec effarement qu’en 1945, le président Truman a clandestinement soutenu la guerre menée par les Français contre le peuple vietnamien largement favorable à l'indépendance incarnée par Hô Chi Minh. Il découvre comment, après le départ des Français, le président Eisenhower a ordonné de pirater les élections pour empêcher la victoire d’Hô Chi Minh. Les Pentagon Papers n’épargnent pas non plus le président Johnson et ses mensonges sur le prétendu incident du golfe du Tonkin. Ellsberg constate encore que la CIA estimait que les bombardements massifs du Viêtnam du Nord n'avaient «aucun effet direct ni mesurable sur les opérations militaires nord-vietnamiennes». Les chiffres sont tout aussi terrifiants: les bombardements en 1965 et 1966 ont tué quelque 36'000 Nord-Vietnamiens, dont 80% de civils. Sans compter les soldats américains tombés comme des mouches pour soutenir un gouvernement sud-vietnamien «corrompu et impopulaire». Atterré, Ellsberg comprend que, pendant plus de vingt ans, quatre présidents des Etats-Unis ont délibérément menti à leur peuple. Plus grave encore, ces présidents n'ont jamais essayé de gagner une guerre qu’ils savaient perdue d’avance, ils ne souhaitaient qu’une chose: sauver la face. Si Ellsberg s'en doutait, maintenant 'il en détient la preuve. Il ne sait quoi en faire. Il hésite... Il décide alors d’en savoir un peu plus sur le mouvement de protestation contre la guerre du Viêtnam qui secoue les Etats-Unis et se rend, en août 1969, à Philadelphie pour assister à un congrès international contre la guerre, alors même qu'il travaille toujours pour la RAND Corporation et donc indirectement pour le gouvernement américain. Pourquoi Ellsberg court-il ce risque? Peut-être espère-t-il mettre fin à une situation schizophrénique qu’il vit de plus en plus mal et le contraint à aller consulter.

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