🚧 Sept.info | Vous reprendrez bien du lapin cuit Ć  l’étuvĆ©e? (4/4)

Vous reprendrez bien du lapin cuit Ć  l’étuvĆ©e? (4/4)

Banosh ou banush est un plat prĆ©parĆ© Ć  partir de semoule de maĆÆs additionnĆ©e de smetana (crĆØme), garnie de couenne de porc, de champignons et de bryndza (produit fromager Ć  base deĀ lait de brebis),Ā etc.Ā  © DR

Ā«Quelle recette préparer quand Oksana se décide enfin aĢ€ vous apprendre aĢ€ faire la cuisine?Ā» Extrait de son livre Ā«Le Festin sauvageĀ» paru en 2022 aux Ć©ditions Noir sur Blanc.

Je n’ai pratiquement pas eu la moindre idée tout au long de cette période, ce qui fut effrayant, car les idées nouvelles me semblaient parfois eĢ‚tre la véritable monnaie dans laquelle j’étais payé pour le travail que j’avais choisi. La stérilité fut telle que j’en suis arrivé aĢ€ croire que ce serait comme ça, désormais.Ā Tout l’optimisme américain que j’avais taĢ‚ché de cultiver en moi s’est dissipé comme une simple illusion – j’étais un colporteur de platitudes, j’étais mon propre public crédule – et j’en suis revenu aĢ€ la croyance, que je connaissais si bien dans ma vie de famille, que seul un idiot pouvait regarder un paysage de désolation et se dire: Ā«ça ira mieux demain.Ā» Si l’on m’avait dit que ma peau allait se décolorer ou que j’aurais des probleĢ€mes d’élocution, je l’aurais cru. MeĢ‚me l’écriture, qui m’avait sauvé toutes les autres fois, était aux abonnés absents. Je me suis imaginé foncer vers le néant; parfois, je n’arrivais meĢ‚me pas aĢ€ me souvenir de ce que j’avais dit l’instant d’avant. Mais il m’est venu une idée en rentrant de chez mon grand-peĢ€re en métro. J’ai presque éclaté en sanglots de gratitude. Elle m’est venue alors que je regardais, pendant le trajet, la vidéo d’Oksana parlant de la façon dont elle se serait occupée du cochon qui avait donné la poitrine qu’elle tenait aĢ€ la main.Ā 

Une fois de retour chez mon amie, j’ai fait la liste des fermes autour de la ville qui recherchaient des bénévoles et, meĢ‚me si nous étions en début de soirée, je me suis mis aĢ€ les appeler. Dans les fermes autour de New York, il est plus difficile qu’on ne croit de trouver du travail, meĢ‚me en plein hiver: trop de cadres lessivés qui suivent un apprentissage pour repartir de zéro; de cadres aĢ€ moitié lessivés qui prennent une année sabbatique; et de cadres pas encore lessivés qui satisfont au fervent engagement de leur entreprise en matieĢ€re de responsabilité sociale. (Bien suĢ‚r, il y a aussi quelques apprentis qui veulent devenir agriculteurs.) J’ai appelé cinq ou six fermes avant d’avoir une réponse. L’exploitation qui m’a recontacté avait des chevaux, un petit cheptel laitier, et produisait des légumes sur un terrain d’environ deux hectares. Louise (le prénom a été changé), la patronne de la ferme, qui fut aussi sympa que les autres furent désagréables, m’a demandé si je voulais passer ce week-end pour jeter un œil. Ce week-end? Soudain, cela prenait un tour treĢ€s concret, avec un trajet preĢ€s de trois fois plus long que celui menant chez mon grand-peĢ€re. Ā«OuiĀ», me suis-je empressé de répondre avant de pouvoir changer d’avis. Ā«Qu’est-ce que vous en pensez?Ā» m’a dit Louise apreĢ€s la visite. Le ciel était gris tourterelle, plein de petits nuages plissés qui donnaient l’impression d’hésiter aĢ€ se déplier et aĢ€ s’en aller. Elle portait une salopette en jean et une parka aĢ€ motif écossais. Ā«Vous voulez faire un petit travail? Voir aĢ€ quoi ça ressemble?Ā» Je portais de beaux veĢ‚tements – un pantalon de velours, mes belles chaussures en cuir – en partie pour faire bonne impression et en partie pour me rappeler que j’avais autre chose que de vieux jeans élimés. Ça faisait un mois que je ne m’étais pas préparé un seul repas. Que je n’avais rien fait de plus que des promenades d’un pas tranquille. J’ai répondu oui, en signe de reconnaissance pour le temps qu’elle m’avait consacré. Quand on disait oui, il se passait des choses, meĢ‚me quand tout notre eĢ‚tre voulait qu’il ne se passe rien. Louise a apporté un raĢ‚teau branlant et souple, comme celui que j’avais utilisé pour ratisser les feuilles dans le jardin de Simona Limona il y a si longtemps. Elle m’a montré un enclos. Ā«Tout le crottin de cheval de l’automne dernier qui a gelé est en train de fondre, m’a-t-elle dit. Il nous en faut toujours, mais ce crottin-laĢ€ est resté sous la neige tout l’hiver aĢ€ se gorger de nutriments. C’est du super engrais, maintenant. On n’a pas eu le temps de le récupérer l’automne dernier avant que le sol geĢ€le, mais ça a parfois du bon de faire des erreurs.Ā» Elle m’a tendu le raĢ‚teau. Ā«A plus tard.Ā» Je devais un peu avoir une teĢ‚te de cheval dans cet enclos, moi aussi, aĢ€ gratter le sol gelé avec mon raĢ‚teau, de grands nuages de vapeur jaillissant de ma bouche, le temps réduit aĢ€ une abstraction. (Le ciel si plombé qu’il était impossible de savoir l’heure qu’il était.) Pour une fois, je me suis retrouvé en nage aĢ€ cause de l’exercice et non de la fieĢ€vre. Au final, je n’ai pas réussi aĢ€ faire plus d’une heure. Le résultat de mon travail était franchement pitoyable, se réduisant tout juste aĢ€ quelques seaux de fumier. Mais mes chaussures étaient couvertes de crottin, tout comme mon pantalon de velours, jusqu’aux genoux. Il faisait un froid mordant, j’avais les mains gercées et aĢ€ vif, et les larmes avaient coulé – aĢ€ cause du froid, j’en étais suĢ‚r. Mais, tout aĢ€ coup, j’ai pleuré pour de bon. J’ai commencé aĢ€ m’essuyer les joues avec ma manche mouchetée de merde, en espérant que personne ne ferait son apparition – j’étais seul depuis plus d’une heure et l’étais peut-eĢ‚tre bien sur les cent cinquante hectares de cette exploitation, sur la totalité de cette bonne vieille terre.

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