Une carrosserie rouge avec un moteur de l’Est

Pourquoi la culture sportive ex-yougoslave est-elle bien ancrée dans les gènes du football suisse? Enquête de la racine aux branches du phénomène.

Footballa suisse origine Xherdan Shaqiri Footballa suisse origine Xherdan Shaqiri
Xherdan Shaqiri, comme Granit Xhaka, Valon Behrami ou encore Admir Mehmedi ont préféré la Nati à l'équipe nationale de leur pays d'origine.© Omar Cartulano

Son allemand n’est pas parfait, mais généreux. Un flux à la hauteur de l’enthousiasme. Ranko Jakovljevic sillonne le football suisse depuis ses 25 ans, l’âge auquel il a débarqué d’une Yougoslavie alors en pleine balkanisation. Ici, il a joué, un peu, puis entraîné, beaucoup. Jusqu’en Super League, lorsqu’il a repris un FC Aarau en crise en 2010. Jakovljevic a passé la première partie de sa vie à Banja Luka, aujourd’hui deuxième ville de Bosnie. De cette puissante culture footballistique yougoslave, il s’en souvient très bien: «Dans tout le pays, le football était quelque chose de sacré. Il y avait des équipes phares bien sûr, comme l’Etoile Rouge de Belgrade qui a même remporté la Coupe des clubs champions européens (en 1991 contre l’Olympique de Marseille, ndlr). Mais pas seulement. Le football touchait toutes les villes et tous les niveaux. Le nombre moyen de spectateurs était particulièrement impressionnant. A Banja Luka, alors que le premier club de la ville était en deuxième division yougoslave, 20'000 à 25’000 personnes se déplaçaient tous les week-ends au stade. Dans les journaux, les colonnes étaient remplies d’informations sur le foot, tous les jours. Et les derbys entre le Partizan et l’Etoile Rouge (les deux principaux clubs de Belgrade, ndlr) attiraient parfois plus de 90’000 personnes.»

Au-delà des clubs et de la ferveur qu’ils engendraient, Ranko Jakovljevic se rappelle d’un football omniprésent, tant dans la sphère politique que sur le bitume des cours d’école: «Les clubs n’étaient pas juste des emblèmes, c’étaient de vrais symboles de puissance, comme des vecteurs de développement. A Banja Luka et dans toute la région bosnienne, le budget des clubs sportifs était financé à 60-70% par l’Etat. Les liens avec le domaine scolaire étaient également étroits. Dès l’âge de 6-7 ans, les jeunes participaient à des rencontres sportives, tous les mois. A l’école, on ne faisait jamais de gym! Balle, balle, balle… C’était aussi plus simple pour le prof. Il n’avait pas besoin d’enseigner grand-chose, car les gestes sont instinctifs. Et puis, avec un seul ballon, on occupe beaucoup de monde, et longtemps. Etre bon au foot, ça valait davantage que d’être bon en maths. Je me souviens d’un vendredi, quand j’avais 10-12 ans, j’avais demandé à mon prof si je pouvais partir plus rapidement pour aller jouer un match dans l’après-midi. Il m’avait répondu non, mais j’y étais quand même allé. Le lundi suivant, le prof est venu vers et moi pour me dire "Tu étais où vendredi dernier?" Puis, il m’a regardé quelques secondes et m’a lancé: "Vous avez gagné? Tu as été bon?" Je lui avais répondu que oui, qu’on était premier du groupe. Je me souviendrai toujours de sa réponse: "Ok, dans ce cas, il n’y a pas de problème"» L’entraîneur s’arrête, le temps de rire maigrement, puis reprend: «Sans parler d’institution, il suffisait de te balader dans la ville pour ressentir cette culture. Du vendredi au dimanche, à n’importe quelle heure, tu pouvais voir des jeunes jouer, encore et encore. D’accord, c’était dans les années 1980. Mais en Suisse, est-ce que tu as déjà vu ça?»

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