Fous d'Hussein

© Eric Lafforgue
Femmes et filles se joignent au cérémonial, enduisent leur tchador de boue puis sèchent devant le feu en compagnie des hommes. Un rare moment de mixité.

Connue pour ses images de flagellations, Achoura ne se réduit pas à ce seul cliché. Pour les chiites, ce jour marque la commémoration du massacre de l'imam Hussein et de ses proches au VIIe siècle. Les célébrations débutent tous les ans le neuvième jour du premier mois du calendrier musulman et le deuil se poursuit pendant 40 jours jusqu'à l'Arbaïn. L’occasion d’exprimer sa foi avec une rare dévotion.

Dans son minuscule atelier de Téhéran, Safar Fooladgar frappe de son lourd marteau une pièce de métal qui prend petit à petit la forme d’une main. Ce n’est pas la main de Fatma censée porter chance, mais la main d’Abbas, le frère de l’imam Hussein, petit-fils du Prophète Mahomet, adulé par les chiites: demain débute muharram, le premier mois du calendrier musulman et au dixième jour sera célébré Achoura (le chiffre dix en arabe) qui marque la commémoration du massacre d'Hussein et de 72 membres de sa famille et compagnons par le califat Omeyyade en Irak au VIIe siècle. Abbas était porte-drapeau lors de la bataille de Kerbala, à 100 km au sud-ouest de Bagdad, le 10 octobre 680. Il fut capturé et ses mains tranchées alors qu'il tentait de transpercer les lignes ennemies pour aller chercher de l’eau pour les siens assiégés. Cette main qui donne du fil à retordre à Safar Fooladgar sera placée sur un alam, le blason d'Hussein. Seuls quelques maîtres sont encore capables de réaliser ces pièces d’art confectionnées sans plan ni dessin à partir de carrosseries de voitures et de divers métaux recyclés. Au final, de véritables oeuvres d’art qui s’exportent dans le monde entier. Une fois assemblé, l’alam peut mesurer jusqu’à dix mètres de large et trois de haut, peser plus de 300 kg. Il mène les parades dans les rues.

Safar Fooladgar regrette que peu d’étrangers aient la curiosité d’assister aux commémorations. Achoura n’a pas bonne presse: les images de flagellations collectives n’aident pas. Mais cette commémoration ne se réduit pas à ce cliché violent et aux amalgames qui en découlent. Au-delà de l’apparat baroque, voire lugubre si on n’en comprend pas la signification, la période de muharram est faite d’échanges et de recueillement, le tout dans une immense ferveur et une hospitalité légendaire.

A Khorramabad, dans l'ouest de l'Iran, Madhi Tooraj, dont le talent a dépassé les frontières de son atelier, customise les voitures pour Achoura. Personne ne peint mieux que lui Abbas, réputé pour son incroyable beauté et son regard de velours, sur le capot des Peugeot. L’Iman Hussein est aussi représenté sur les tôles, mais son visage est toujours flouté ou absent. Comptez une heure de travail pointilleux et 20 euros pour afficher votre foi sur votre véhicule. Muharram est aussi le temps des vœux et de la tradition du nazr (l'offrande, ndlr) omniprésent: vous avez quelque chose à demander à Dieu? Faites oeuvre de charité et votre souhait sera exaucé. Distribuez des repas gratuits, du thé ou des bonbons pour les enfants, par exemple. Les rues éclairées de vert guident jusqu’aux lieux où collecter les repas offerts, les nazris. Plus le vœu est important, plus on doit déployer de moyens. Ainsi Peyman Reza, un commerçant aisé, distribuera 2'000 repas par jour pendant dix jours. Quiconque le demandera sera nourri gratuitement, musulman ou non. Une dizaine de cuisiniers s’activent autour de marmites géantes dans une chaleur suffocante, aidés par des enfants qui font la chaîne pour remplir les boîtes de polystyrène de riz et de poulet.

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