L’entre-deux de «plus jamais» ou «pas encore» (4/4)

© DR
La tour Azadi ou mémorial des rois est l'un des symboles de la capitale iranienne.

Les Iraniens vivent dans une situation ambivalente entre une modernité qui peine à être assimilée et une tradition qui ne sera jamais plus ce qu'elle fût. Une béance qui effrayent les uns et enflamment les autres.

C’est dans un jardin imaginaire que je rencontre Cyrus aujourd’hui. Iranien élevé en Suisse, il a tenté plusieurs retours dans son pays entre son travail de diplôme dans un quartier pauvre de Téhéran, des projets de construction, la direction de la Faculté d’architecture dans la capitale. Un regard attentionné sur la destinée de l’Iran, une langue douce comme je l’ai entendue dans ce pays. Autour d’une table nous examinons le jardin qu’il a dessiné à la demande d’une association iranienne de Genève. La cité de Calvin avait proposé un lieu proche du Palais des Nations Unies, mais des tiraillements entre administrations genevoises ont finalement enterré le projet. Un partage culturel manqué, un symbole de paix perdu dans sa signification persane de «jardin-paradis». 

Sur les plans que déroule Cyrus, pistes et idées se rejoignent. Une tradition de botanistes voyageurs, née dans l’esprit naturaliste de Genève au XVIIIsiècle, favorise l’intérêt scientifique pour les flores exotiques variées du monde, à l’image de Pierre Boissier et d’autres savants. Genève cultive une tradition de «cité verte» par ses parcs couvrant un cinquième du territoire urbain, par sa collection d’herbiers et sa bibliothèque botanique d’importance mondiale. Autre tradition ancienne de cette ville, sa vocation multiculturelle institutionnalisée aujourd’hui par le siège des Nations Unies et d’autres Offices internationaux. Un jardin persan en terre genevoise n’aurait rien d’une colonisation étrangère ni d’une implantation artificielle! Plutôt un témoignage de diversité culturelle. Sur le plan de base étalé devant moi, je retrouve quatre parties dessinées par deux grands axes perpendiculaires de canaux, avec un bassin central et des plantations aux silhouettes étagées entre plantes, arbustes et hautes futaies, et un pavillon kiosque. Le schéma que j’ai admiré entre autres au Jardin de Fin à Kashan. Cyrus et ses collègues, soucieux de rigueur scientifique, ont plongé dans les herbiers pour répertorier des espèces végétales perses adaptables à notre climat: un inventaire de deux cent vingt-cinq espèces! Se côtoient acacias, hêtres, pins, érables, chênes, cèdres et cyprès, des fruitiers tels pruniers, figuiers, arbres à kaki, et des plantes de jasmin, roses, myosotis, rhododendrons. Les planches défilent, des silhouettes s’esquissent, des ombres jouent avec le soleil, les teintes des végétaux chatoient, l’eau murmure de fraîcheur, des branchages sculptent le ciel. Un très bel espace de méditation, de rêverie, de plénitude, de convivialité. Mon imagination me ramène à Esfahân et Kashan, où les jardins vivent d’inspiration mythique et vibrent de poésie. A Genève il n’est resté malheureusement que jardin de papier.

Au cours de mon voyage je n’ai pas rencontré de pauvres, comme ceux qui sillonnent les trottoirs de nos capitales occidentales. Pourtant ils existent. En Iran, ils se concentrent dans des bidonvilles en bout de périphéries des villes, à l’écart des circuits parcourus par les bus. Cyrus a côtoyé ses habitants de fortune il y quarante ans. Aujourd’hui y vivent des Iraniens des campagnes en recherche d’une meilleure existence, ainsi que des réfugiés Afghans qui seraient environ trois millions. Petites vies en survie, petits boulots en marge dans les décharges, petits trafics illégaux. Habitants sans droits, territoires sans lois cadrés par la violence et la règle du plus fort. Ayant parcouru allées et recoins d’une quarantaine de bidonvilles sur tous les continents dans mes activités professionnelles, j’y ai vu le poids de la précarité mais aussi l’énergie créatrice et la vitalité débrouillarde des résidents. Des souffles puissants pour survivre. Les nouvelles sanctions économiques, qui assaillent le pays aujourd’hui, renforcent ces zones marginales où se réfugient des personnes de condition modeste, déclassées en «nouveaux pauvres» et refoulées dans des zones urbaines sans services ni infrastructure.

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